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En Alberta

le vendredi, 15 novembre 1940. Dans La vie créditiste

C'est en 1923, lorsque Douglas fut appelé à Ottawa pour témoigner devant le Comité de la Banque, que l'Alberta commença à s'intéresser aux propositions de l'ingénieur-économiste écossais. On entendit aussi le professeur Irving Fisher et Sir Frederick Williams-Taylor, ce dernier un banquier.

Des Albertains, en grand nombre, remarquèrent l'importance des prédictions de Douglas et la signification sociale de ses propositions. Cependant, il ne fut pas encore question de s'organiser pour faire prévaloir la volonté du peuple.

Les Fermiers-Unis d'Alberta étaient alors considérés comme le groupe le plus progressiste du Canada. Le seul fait, pour William Irvine et ses associés à la Chambre des Communes, d'avoir réussi, par leur pression, à faire appeler Douglas comme témoin, était jugé assez radical à cette époque.

La crise

Mais à partir de cette occasion, les adultes d'Alberta, les plus jeunes surtout, se livrèrent à l'étude de matières sociales avec une popularité et à un degré sans précédent. Sans trop le savoir, ils se préparaient pour le jour où ils étonneraient le monde en s'unissant pour réclamer la justice sociale.

En 1929, la sécheresse avait ruiné la récolte de blé en Alberta. Le krach financier de l'automne ruina les prix. En quelques mois, la province, qui avait joui d'une ère de prospérité à fondement réel mais artificiellement permise, tomba dans une période de pauvreté et de stagnation.

La situation s'aggrava avec les années et le spectacle de la misère au sein de l'abondance était continuellement sous les yeux de la population. Les magasins fermaient, les manufactures congédiaient leurs employés, parce que les commandes de produits faisaient défaut. Les frais de secours public aux indigents augmentaient ; les trains de marchandises étaient chargés d'hommes et de jeunes gens pérégrinant d'une place à l'autre en quête d'emploi.

Évidemment, le producteur, l'ouvrier, le commerçant, le manufacturier, commencèrent à se demander le pourquoi de toute cette anomalie. "Les gens veulent manger, disaient-ils, mais ils ne peuvent acheter de nourriture. Ils ne peuvent acheter de nourriture parce qu'ils ne peuvent trouver d'emploi. Ils ne peuvent trouver d'emploi parce que les choses qu'ils font ne se vendent pas. Pourtant, tout le monde veut ces choses qu'ils feraient."

Avec l'esprit social qui caractérise les Albertains, on commença à chercher les causes de ces difficultés, sans se contenter d'explications clichées aussi stériles que vieillies.

William Aberhart

C'est vers ce temps que M. William Aberhart s'intéressa, lui aussi, à l'économique nouvelle. Toujours attentif aux questions de sociologie, il trouvait dans l'économie orthodoxe rien qui méritât sa foi, car les faits démentaient les théories.

Un homme de son caractère, une fois bien au courant de la philosophie de Douglas, devait inévitablement chercher à la faire connaître aux masses du peuple. C'est ce qu'il fit par ses émissions dominicales. Depuis plusieurs années déjà, il donnait chaque dimanche un discours à la radio, de sa chaire du Prophetic Bible Institute. Le Crédit Social devint son sujet régulier.

L'intérêt aux propositions de Douglas s'accrut prodigieusement. Le gouvernement des Fermiers-Unis, tout en effleurant l'idée d'incorporer les propositions de Douglas dans la politique, hésitaient toujours à le faire. Cependant, pour satisfaire une demande publique, le gouvernement consentit à inviter le major Douglas à venir témoigner devant la législature provinciale. Douglas était justement en route vers la Nouvelle-Zélande. Il s'arrêta à Edmonton.

Douglas en Alberta

Le témoignage de Douglas fut radiodiffusé et entendu par des centaines de mille personnes. Dans les plus petites villes et villages d'Alberta, fermiers et ruraux se groupaient autour des radios. Lorsque le témoignage fut terminé, l'enthousiasme grandit fébrilement.

À tout observateur, il devenait clair que les désirs du peuple se cristallisaient rapidement et qu'avant longtemps ils se manifesteraient par une demande électorale. Mais le gouvernement des Fermiers-Unis ne fit rien.

Aberhart n'avait pas lui-même témoigné devant la législature. Deux disciples albertains de Douglas, Collins et Boyd, comparurent : leur intelligente compréhension du système proposé les rendait aptes à soutenir l'interrogatoire.

En février 1935, le gouvernement des Fermiers-Unis sentit que l'électorat lui échappait. Il chercha à s'épargner un désastre politique en engageant le major Douglas comme principal conseiller pour la reconstruction financière de la province. Douglas accepta.

Pendant ce temps-là, des cercles d'étude surgissaient partout dans la province. Partout on demandait Aberhart comme conférencier, Il expliquait clairement au peuple qu'il ne cherchait aucune fonction politique. Mais il ajoutait que, si le gouvernement au pouvoir ne s'inclinait pas devant la demande de tout un peuple et n'inaugurait pas une politique créditiste, c'était le devoir du peuple lui-même de nommer un gouvernement qui le ferait.

Douglas arriva en Alberta en mai 1935. Son esprit perspicace saisit immédiatement toute la situation politique. Avant de partir, il soumit son Rapport Intérimaire qui s'est révélé depuis un important document social. Il conseillait au gouvernement de prendre le contrôle d'instruments de propagande et d'information, prévoyant que tout effort en vue d'initier une législation créditiste serait vilipendé et attaqué par la presse et les institutions financières.

Des politiciens essayèrent de faire critiquer publiquement William Aberhart, dont les exposés techniques ne s'accordaient pas entièrement avec ceux du major. Douglas fit remarquer qu'en matière de technique, les discussions ne servent pas à grand'chose. L'important est que le peuple s'unisse autour d'une demande pour des résultats ; les détails de la technique d'exécution sont secondaires.

L'élection de 1935

La province était rendue à un état d'excitation sans précédent. L'élection fut fixée au 22 août. Bien que les créditistes fussent généralement sans expérience politique, bien qu'il n'eussent aucune caisse électorale et dussent recourir à des personnes sans prestige et sans entraînement pour le discours de la campagne, leur organisation devint réellement puissante. Plus puissante même que les apparences laissaient croire, ainsi que le révéla un vote de paille pris pour sonder le terrain. On comprit que le Crédit Social comptait des milliers d'adhérents cachés, d'hommes et de femmes qui craignaient de se prononcer en public par crainte des conséquences.

Le 22 août amena une victoire complète pour les partisans d'Aberhart. Les Fermiers-Unis furent littéralement balayés et n'élurent pas un seul député. Les créditistes prenaient 57 sièges sur 63.

Aberhart, ne s'étant pas présenté comme candidat, ne faisait pas partie du parlement élu. On lui demanda quand même de former un gouvernement et on lui offrit le comté d'Okotoks-High River. Il accepta.

En prenant le pouvoir, il découvrit une province complètement en banqueroute. Il se rendit immédiatement à Ottawa, pour solliciter de l'aide financière en vue de continuer les services sociaux. Bennett le reçut bien et lui fit un prêt, mais lui imposa Magor pour "mettre les finances de la province sur un pied sain". D'où des mesures très impopulaires qu'Aberhart rappela depuis à la demande des électeurs.

La grande lutte commence

En 1937, sous la pression grandissante du peuple, manifestée par ses représentants, le gouvernement institua la Commission du Crédit Social, qu'il investit de grands pouvoirs pour la poursuite de l'objectif. Le président de la Commission se rendit immédiatement en Angleterre, pour réclamer les lumières du major Douglas. Celui-ci délégua en Alberta deux experts : l'un en politique, G. F. Powell ; l'autre en économique, L. D. Byrne.

Le premier point de leur programme fut de mobiliser la volonté du peuple, le ralliant, non autour de méthodes, mais autour d'un objectif concret : dividendes sociaux, abaissement des taxes, minimum de sécurité pour tous. Le peuple répondit sans hésitation.

On passa immédiatement la législation nécessaire. Des lois pour soumettre les banques à des licences, pour assurer l'information exacte dans les journaux, pour placer le peuple en commande de son propre crédit, furent inscrites dans les statuts de la province. Toutes furent ou désavouées ou déclarées ultra vires.

Levée de boucliers

Pratiquement toute la législation sociale du gouvernement créditiste subit le même sort. Une campagne de dénigrement fut conduite contre Aberhart dans la presse, à la radio et, en certains cas, jusque du haut de la chaire par des ministres du culte.

Les banques entreprirent d'extravagantes campagnes d'annonce ; l'ouest fut inondé gratuitement de millions de feuillets par la poste ; l'argent coula comme de l'eau pour chercher des réactionnaires isolés, les réunir en assemblées de protestation auxquelles on donnait une grande publicité dans la presse. Cependant le peuple demeura ferme ; l'opposition des banques ne faisait qu'augmenter sa colère.

Au début de 1938, mourut le docteur Hall, créditiste, député à la Chambre des Communes d'Ottawa. Le gouvernement fédéral voulut immédiatement en prendre l'occasion de donner aux forces opposées à Aberhart une grande publicité en faisant élire un député libéral.

La campagne pour cette élection partielle amena trois ministres fédéraux dans le comté : Gardiner, Howe, Mackenzie. Les politiciens locaux firent une campagne amère. Les créditistes, de nouveau sans fonds, n'ayant l'appui que d'un journal hebdomadaire (Today and Tomorrow), combattirent joyeusement et élurent Orvis A. Kennedy avec une majorité substantielle.

Le Programme Intérimaire

Vers la fin de 1938, le gouvernement d'Aberhart inaugura son Programme Intérimaire, que VERS DEMAIN a déjà, par deux fois, expliqué à ses lecteurs et dont nous soulignerons encore quelques points dans notre prochain numéro. Le succès des premières Succursales du Trésor établies d'après ce programme fit naître la demande partout. À mesure que les banques poursuivant en cela une tactique d'intimidation, fermaient une succursale dans une ville, le Trésor en établissait une pour y rendre exactement les mêmes services que la banque, avec l'exploitation en moins. Aujourd'hui, la province est couverte d'un réseau de succursales et d'agences du Trésor.

L'élection de 1940

En mars dernier, 1940, le gouvernement d'Aberhart appela le peuple aux urnes pour un renouvellement de mandat. Les adversaires conduisirent la campagne la plus violente qu'ait jamais connue l'Alberta. Les puissances financières, qui se jouent des luttes entre partis politiques, groupèrent contre Aberhart tous les adversaires, de toutes couleurs : libéraux, conservateurs, socialistes, fermiers-unis. Elles en firent le parti dit de "l'Unité", grassement financé et avec une seule planche à sa plate-forme : "Battre Aberhart".

Peine perdue. Même le chef de la coalition perdit son siège. Aberhart reçut un mandat clair pour continuer l'œuvre entreprise et pour établir une banque provinciale.

La lutte continue

Le Crédit Social est encore une force militante en Alberta. Aberhart jouit d'un prestige que n'a jamais connu aucun de ses prédécesseurs à Edmonton. Administration pure, gouvernement progressif, objectifs sages, avance graduelle vers l'accomplissement du Crédit Social : c'est le résumé de son œuvre.

Les propositions faites par Aberhart au gouvernement fédéral pour le règlement du problème du blé étaient basées sur des principes créditistes (nous en parlerons dans un prochain numéro). Leur rejet laisse le problème sans solution, le fermier de l'ouest dans la privation en face de la richesse qu'il offre à un monde affamé.

Le refus par Ottawa d'accorder une charte pour l'établissement d'une banque provinciale en Alberta n'a fait que fortifier la détermination des Albertains. Ils ne capituleront pas. On peut s'attendre à une nouvelle phase de la lutte sous peu. Les yeux sur l'Alberta !

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