Lorsqu'on arrive à parler des États-Unis, nos lecteurs n'ont pas besoin de présentation. C'est tellement voisin du Canada ; peuplé comme le Canada de descendants d'Européens (oublions les noirs) ; comme le Canada, pays de démocratie et de chaudes luttes entre partis politiques ; comme le Canada, aussi, regorgeant de richesses naturelles.
Les États-Unis sont cependant un peu plus au sud, et leur vaste territoire fournit une production aussi variée qu'abondante, celle des climats chauds comme celle de la zone tempérée. Les Américains trouvent chez eux tout ce qu'il faut pour les nécessités et même le grand confort de la vie. Comme chez nous, cependant, l'accès à ces choses est restreint, et pratiquement interdit à un grand nombre.
Il fut un temps où l'on parlait des États-Unis comme d'un pays où quiconque voulait tenter fortune devenait riche. Aujourd'hui, c'est pas mal comme chez nous : quelques opulents, une foule de gens inquiets du lendemain, des masses dans la privation, et une abondance de biens qui attendent preneur. Mais preneur sans argent perd ses droits.
Là comme chez nous, ce paradoxe de la faim en face de greniers pleins fait couler de l'encre et des larmes, inspire des sermons et des vociférations, suscite des œuvres de bienfaisance et des ferments de révolution. Mais là aussi comme chez nous, des esprits se défont du linceul du traditionalisme aveugle et scrutent les règlements de la distribution.
Les socialistes, les communistes s'y agitent et parlent de nivellement : abaisser les élévations, niveler vers le bas. D'autres, moins aveugles et plus humains, parlent de combler les vallées avec les réserves qui débordent. Les studieux, depuis Edison, Ford, le Père Coughlin, etc., jusqu'à Townsend et ses pensions, jusqu'aux leaders populaires du "ham and egg", reconnaissent que la déficience n'est point dans la production, mais dans le droit à la production, dans l'argent.
Les doigts accusateurs pointent de plus en plus vers le désordre si bien analysé par le major Douglas, et auquel le major Douglas offre le seul remède qui ait défié la critique la plus minutieuse.
Au début de 1931, le journaliste anglais Orage, du "New Age", donnait quatre causeries sur le Crédit Social à l'École du Théâtre de New-York. Une cinquantaine de personnes y assistaient. Ce fut la semence d'où sortit le mouvement créditiste aux États-Unis. Quelques-uns des auditeurs d'Orage continuèrent, en effet, d'étudier le système de Douglas et, deux ans plus tard, prenaient la tête d'un mouvement de propagande. Ce qui prouve une fois de plus le dynamisme que la doctrine porte en elle-même.
Le mouvement américain a eu ses tâtonnements, ou plutôt ses expériences cherchant sa voie, ses méthodes, se liant à certaines personnes, rencontrant des déceptions, des lâchetés et des lâchages de la part d'individus plus en quête de leur crédit personnel que du crédit social. C'est le lot de tout mouvement bénévole.
La vaste étendue du pays rend la collaboration plus difficile là où la faiblesse du nombre la rendrait le plus urgente.
Aussi bien des essais généreux ont trouvé une mort prématurée. On a enregistré l'apparition et la disparition des organisations suivantes : National Social Credit Organisation, Social Credit Party, League for National Dividends, Western Social Credit Federation, State Social Credit Association of California, etc.
Il n'y a rien d'anormal à cela si l'on songe aux facteurs en jeu. L'important est que la liquidation d'une association ne soit pas la liquidation du mouvement ; et si une nouvelle organisation profite à la fois du travail et de l'expérience de la précédente, c'est plutôt une marche en avant, souvent accompagnée de l'épu̟ration nécessaire.
L'organisation américaine actuelle s'appelle American Social Credit Movement (ASCM) et consiste surtout en un petit groupe de gens dynamiques et possédant à fond la technique monétaire créditiste, qui tentent par des efforts presque surhumains d'amener des Américains à l'étude du système de Douglas. Il n'existe pas encore de courant populaire dans ce sens.
À la fin de la période considérée, couvrant les années 1931 à 1938, on estimait entre 2000 et 5000 le nombre de créditistes aux États-Unis. Parmi eux, peut-être 500 à peu près définitivement gagnés, et 100 capables de faire du travail intelligent. Ce résultat, qui paraît plutôt maigre, avait coûté environ $50,000 de dépenses. Les ressources financières venaient en partie de gens riches qui, depuis, se sont détachés du mouvement, sans doute parce qu'ils n'y trouvaient pas la récompense personnelle immédiate qu'on trouve ordinairement dans la finance d'activités politiques.
Le mensuel "New Democracy" dépensait environ $5000 par an. Il réussit à atteindre le chiffre de 900 abonnés ; avec une distribution par les kiosques, il touchait un total d'environ quatre mille lecteurs par édition. Ce mensuel suspendit sa publication en août 1936. Il reprit en novembre 1937, sous forme de supplément américain au "Beacon" de Winnipeg. Le "Beacon" était publié par R. Halliday Thompson, la partie "New Democracy" par Gorham Munson (de New-York). Cette publication conjointe a cessé avec la déclaration de la guerre, en septembre 1939.
Un autre petit journal, hebdomadaire, appelé "Money" contient des articles créditistes, mais aussi des études par d'autres réformistes. Certains cercles d'étude dominicaux l'ont adopté comme organe. Nous croyons sa circulation très limitée (environ 500 en 1937) et son influence peu considérable.
L'American Social Credit Movement fut fondé le 5 octobre 1938, sous l'impulsion surtout de M. Gorham Munson. Le comité central est nommé par "co-option", non par élection, ainsi qu'il en fut décidé lors de sa fondation, rémettant à deux années la rédaction de constitutions et l'organisation plus formelle. En 1940, le comité a décidé de continuer au moins une autre année sur le même plan.
Le secrétariat fut occupé successivement par MM. Munson, Hampden et Vance.
Les membres dirigeants ont fait des contacts politiques et ont acquis de l'expérience dans un champ intéressant lors de leur appui au bill Goldsborough H.R. 7188, qui n'était pas un bill aussi créditiste qu'on le fit croire d'abord, mais qui eut l'honneur d'une étude en comité parlementaire. Ils ont aussi poussé et inspiré l'Honorable représentant Jerry Voorhis, qui fit au Congrès un discours pour réclamer une finance, en cas de guerre, assez en rapport avec les théories créditistes et présenta un bill à cette fin le 23 janvier 1940.
C'est surtout par des initiatives émanées du bureau central que l'American Social Credit Movement fait de la propagande aux États- Unis. MM. Gorham Munson, Paul Hampden, Eric Estorick, et d'autres, fournissent des articles des périodiques qui les acceptent, surtout Dynamic America.
Le bureau envoie des communications à une liste régulière de membres qui, de 700 en 1938, avait atteint 1400 une année plus tard.
Pour trouver des membres, le secrétariat recourt à l'annonce. Cette expérience a porté, la première année, sur cinq annonces, dans quatre revues, au coût total de $273.00. Du rapport annuel de 1939, nous croyons comprendre que ce mode de propagande a suscité environ 450 demandes de renseignements et que le tiers à peu près de ces personnes, après contact, finissent par se joindre au mouvement. Ce qui évalue, toujours d'après le rapport, à $2.00 la dépense préliminaire pour recruter un membre. Ce ne sont pas nos méthodes dans la province de Québec. Nous donnons ces détails pour que nos lecteurs puissent faire des comparaisons avec nos manières de procéder. Nous croyons que les chefs du mouvement aux États-Unis ne demanderaient pas mieux que d'avoir comme nous, quelque missionnaire pour aller aux multitudes. Mais ils n'en sont pas encore rendus là et font pour le mieux avec leurs moyens limités. Tous sont gens qui ne peuvent donner au Crédit Social que ce qui leur reste de forces et de loisir une fois leur primo vivere gagné.
La dernière initiative de l'ASCM est la publication hebdomadaire d'une lettre éditoriale, simple feuille miméographiée portant le titre de MEN FIRST et la signature de Gorham Munson. Commencée le 28 septembre, cette publication qui, jusqu'ici, s'adresse à l'intelligenzia américaine, est peut-être l'embryon d'un journal futur.
L'ASCM professe la plus pure doctrine. quant à la technique monétaire. Il ne semble pas autant d'accord avec Douglas pour la tactique politique et donne ses préférences aux méthodes de Hargraves. Nous n'avons pas à en juger, n'étant sur les lieux ni en Angleterre ni aux États-Unis. Nous croyons qu'il faut s'adapter aux circonstances et tirer le maximum. Ce sont les résultats qui comptent.