(Troisième partie d'une causerie donnée par Louis Even sur le réseau français de Radio-Canada, le 19 janvier 1945.)
Le Crédit Social, qui réclame une économie au service de tous les consommateurs, réclame aussi une politique au service du peuple. Les créditistes combattent le monopole en politique autant qu'en économique.
Le monopole en politique, c'est l'exploitation du peuple par la politique de partis. Comme le signalait le saint Père (Pie XII) dans son message de Noël 1944, les politiciens organisés et grassement financés se montrent habiles à manipuler la foule amorphe pour obtenir le vote et arriver au pouvoir, leur seul but, d'où ils oublient totalement les intérêts du peuple pour soigner les leurs propres et ceux du parti qui les a soutenus.
Toute organisation politique qui ne commence pas par éclairer et organiser le peuple, afin qu'il surveille ses représentants, est un monopole politique, le monopole de la manipulation de la foule en temps d'élection. Monopole d'autant plus perfide qu'il porte l'apparence de la démocratie, alors que c'est une véritable tyrannie.
Pour ceux qui comprennent la philosophie du Crédit Social, il est clair que ce genre de politique ne peut jamais être en faveur chez les créditistes.
Les partis, anciens et nouveaux, peuvent continuer à faire pivoter leur politique sur le résultat du vote, sur la manipulation de la foule pour avoir ce vote. Les créditistes renoncent à établir une escroquerie politique de plus : ce serait trahir tout ce qu'ils enseignent.
C'est pourquoi les créditistes du Mouvement des Pèlerins de saint Michel ont choisi comme formule politique d'éclairer et d'organiser les citoyens. Des citoyens qui se renseignent et assument leurs responsabilités pour exiger leurs droits.
Les créditistes ne sont pas intéressés à la conquête du pouvoir, mais au service des citoyens par ceux qui sont au pouvoir. C'est d'un peuple renseigné, conscient et organisé qu'ils espèrent voir sortir une force qui saura exercer les actes voulus pour que les gouvernements servent le peuple au lieu de servir les monopoles.
« Les masses, écrit le Pape, sont l'ennemi capital de la véritable démocratie et de son idéal de liberté et d'égalité. Chez un peuple digne de ce nom, le citoyen porte en lui-même le sentiment de sa personnalité, de ses devoirs et de ses droits, de sa propre liberté, joint au respect de la liberté et de la dignité des autres. »
Le sentiment de la responsabilité — voilà ce que le mouvement créditiste de Nouvelle-France essaie de développer chez les citoyens. C'est du nombre, oui, mais surtout de la qualité, du sens de la responsabilité de ses adhérents qu'il attend le succès.
D'ailleurs, point n'est besoin de réfléchir bien longtemps pour comprendre que c'est aux citoyens eux-mêmes que revient la mission d'obtenir le respect de leurs droits et de leur liberté. Ce ne sont certainement pas les monopoles, ni de l'ordre économique, ni de l'ordre politique, qui vont nous aider à obtenir le Crédit Social : leur objectif lui est diamétralement opposé.
Puis, l'histoire ne nous apprend-elle pas qu'il est vain d'attendre une réforme par le simple changement du parti au pouvoir ?
Il y a quelques jours, un chef de parti nouveau disait à la radio : « Aujourd'hui, vous avez une nouvelle équipe d'hommes qui se lève pour instaurer une politique respectueuse des principes chrétiens et de la dignité de la famille ».
Croit-il vraiment qu'il n'y a jamais eu d'équipes nouvelles avant la sienne ? Croit-il vraiment que ceux qu'il veut remplacer ne connaissent pas leur catéchisme aussi bien que lui ?
Ces phrases ont été redites cent fois dans le passé, et le peuple peut bien commencer à refuser d'y croire.
Un parti en remplace un autre au pouvoir : avec le même peuple, dans les mêmes circonstances, aux prises avec les mêmes problèmes, il y a à peu près dix chances sur dix qu'il va continuer exactement de la même manière.
N'oublions pas de considérer au moins deux éléments en présence : le gouvernement qui administre et le peuple qui est administré. Il y a assez longtemps qu'on change le gouvernement qui administre : si l'on faisait un petit changement dans le peuple qui est administré ?
Traite-t-on de la même manière un chat et un lion ? Quelles que soient les personnes qui s'occupent des chats ou des lions, la différence de traitement dans les deux cas vient plus de la bête que de son maître.
Nous ne croyons pas nous tromper én faisant la même remarque au sujet de la politique. Les politiciens n'agiront pas, avec des électeurs renseignés et organisés pour les surveiller et les rappeler à leurs devoirs, de la même manière qu'avec des électeurs qui se contentent de voter selon le courant du jour.
Il se peut qu'il soit difficile et long d'habituer un peuple à s'occuper intelligemment et efficacement de la chose publique. Mais quand donc a-t-on essayé ? Ce ne sont toujours pas les politiciens de partis qui s'y sont appliqués. Jamais les exploiteurs n'essaient d'organiser leurs victimes pour qu'elles résistent à leurs exploitations.
Nous n'attendons pas du diable qu'il nous apporte la grâce de Dieu. De même, si l'on veut une politique et une économique au service de tous et de chacun, ne l'attendons pas de ceux qui visent un autre objectif : c'est à tous et à chacun de nous de travailler à l'organiser.
La première chose à faire, c'est certainement de savoir de quoi il est question. Donc, l'étude de littérature appropriée. Les créditistes possèdent la littérature à cette fin.
Puis, de la lumière, on passe à l'action si l'on veut des résultats. On passe à l'action en éclairant les autres et en se groupant : politique véritablement nouvelle, puisque c'est pour la première fois la politique des électeurs eux-mêmes, pour obtenir une économie véritablement nouvelle : l'économie du dividende périodique et gratuit à tous et à chacun, sans enquête, sans conditions et sans le prendre dans la poche de personne.