Rond-de-cuir

le dimanche, 15 septembre 1940.

Monsieur Belhumeur travaille à l'hôtel de ville de la Cité de Montréal.

Entre nous, c'est un emploi qu'il a obtenu par influence, en "graissant" un échevin. Mais, il ne faut pas le dire, ce serait incivil. Ce qui est plus civil ou plus... civilisé, paraît-il, c'est de dire ce qui n'est pas vrai lorsqu'on est payé pour.

Pour revenir à monsieur Belhumeur, ce jour-là, jour de canicule, il s'était écrasé, littéralement, auprès de son comptoir de percepteur. Absolument incapable de supporter cette chaleur suffocante, ces payeurs importuns, encore moins de supporter ce nom de Belhumeur plus suggestif que significatif.

Donc, monsieur Belhumeur, le visage boursouflé et dur, attend que sonne l'heure du départ. Qu'a-t-il d'autre à faire que d'attendre la fin du jour pour partir et la fin du mois pour retirer son salaire ? N'est-il pas à l'emploi de la grande Cité de Montréal, pupille choyée des banquiers ?

Et tout comme les valets des grands seigneurs, monsieur Belhumeur méprise l'humble plèbe des taxés qui font vivre le domaine.

Madame Estrangley se présente au comptoir : "Monsieur !"

Monsieur Belhumeur s'avance en traînant les pieds.

— Monsieur, voulez-vous me donner le compte de taxes de la propriété X, s'il vous plaît ?

— Quelle année ?

— Le compte total à payer, monsieur.

En entendant les mots de "compte total", monsieur Belhumeur se sent vaciller. "Quelle longueur à compter, mon Dieu !" Et, sans se déplacer le moins du monde, sans consulter aucun registre :

— La propriété a été vendue, sans doute.

— Oui, monsieur, la propriété a été vendue.

— Alors, qu'est-ce que vous voulez ?

— Je sais que c'est la ville qui en est propriétaire actuellement, mais l'ancien propriétaire possède encore des droits de retrait. Et je voudrais connaître le montant de taxes à payer pour que la Cité permette au propriétaire d'exercer son droit de retrait.

— Mais, la propriété est vendue, madame.

— Nous voulons la racheter, monsieur.

— Elle ne se rachète pas.

— Voulez-vous me donner le compte de taxes, monsieur ?

— Il n'y en a pas. Il n'est pas dans mon livre. Et puis, passez à l'autre comptoir.

Et madame Estrangley, qui voulait payer des taxes à la Cité, se voit refuser même le droit de payer, le droit de se faire étrangler une fois de plus. En l'occurrence. Car, on la rattrapera bien une autre fois.

Et monsieur Belhumeur retrouve son bienheureux comptoir, et son humeur épanouie ( ! ). Et il reprend son rêve interrompu de départ et de salaire.

On appelle ça un régime de patronage politique sous une tutelle financière.

MARIE

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