Privations et guerres

le mercredi, 01 mars 1939. Dans Mars

Les tribus sauvages, les peuplades primitives, les barbares faisaient la guerre pour s'emparer de biens dont ils manquaient chez eux. La privation de nourriture, de vêtements, des choses essentielles à la vie les portait à des incursions chez d'autres où ils espéraient en trouver. On se battait pour des terrains de chasse, pour des plaines cultivées, pour des forêts bien fournies.

Aujourd'hui, l'abondance est partout ; ceux qui manquent de certains produits regorgent d'autres et l'échange paritaire serait la solution normale. Mais comme devant l'abondance il y a rareté d'argent, comme l'argent n'est distribué que par la participation à la production, et comme la production naît et accumule les biens en diminuant la participation du travail humain, aucun pays n'a assez d'argent pour acheter toute sa propre production. Tous donc cherchent à exporter plus qu'ils importent ; tous veulent forcer leurs voisins à recevoir un excédent de richesses, et tous érigent des barrières tarifaires contre l'entrée de la richesse des autres.

Les pays pratiquent la course aux marchés étrangers. L'Angleterre gronde l'Allemagne si l'Allemagne exporte ses produits là où l'Angleterre exporte les siens. L'Allemagne montre ses canons à l'Angleterre si l'Angleterre ne veut pas laisser le champ libre aux exportations allemandes. Les États-Unis s'arment parce que l'Allemagne ose déverser ses produits manufacturés sur les marchés de la République Argentine. On se bat, on se prépare à se battre, non pas à cause du manque de biens, mais parce qu'on en a trop. Et pendant ce temps nos familles se privent.

L'abondance est devenue la cause des guerres modernes, pas parce que c'est une abondance, mais parce que c'est une abondance non distribuée. Et elle n'est pas distribuée parce que les énergumènes qui contrôlent le système financier maintiennent la rareté d'argent en face de l'abondance de richesses de toutes sortes.

Les contrôleurs de l'argent et du crédit consentiront à laisser faucher des millions de vies humaines sur les champs de bataille, après en avoir étiolé des millions dans des taudis et dans le désœuvrement, plutôt que de renoncer à leur système d'argent rare. Et les gouvernants dansent au son de ce violon, en nous prêchant le patriotisme, patriotisme racial ici, patriotisme impérial là. Et nos économistes de renom se contentent, comme toujours, de constater des faits, de les lire tout haut de temps en temps, mais. ils restent stériles comme roche.

Nos hommes, nos femmes, nos jeunes commencent à s'émouvoir quand ils sentent l'odeur de la poudre ; mais comme ils n'ont pas pris l'habitude de réfléchir et de coaliser des forces fondées sur la conviction, ils se contentent de démonstrations bruyantes, de protestations qui ne servent à rien. Tant que la cause sera maintenue, les effets suivront infailliblement. Dénoncez la course aux armements, la course continue, parce que la canaille rothschildienne qui mène le monde reste là, parce que nous continuons d'accepter dans nos lois monétaires la philosophie de cette canaille.

La fabrication de munitions a été accrue, suraccrue en Angleterre, et le chômage y a quand même augmenté de 20 pour cent depuis l'an dernier.

La Belgique ne s'en tient pas à sa neutralité d'autrefois et développe ses moyens de défense : le chômage s'y est tout de même accentué de 70 pourcent dans une année. La France pousse ses arsenaux, le chômage y augmente de mois en mois. Les États-Unis ont entrepris un programme inouï d'armements, les chômeurs y sont passés en un an de sept millions trois quarts à près de dix millions et demi. Au Canada, on double, puis on double encore le programme d'armements, et nos milliers de jeunes qui sortent des écoles chaque année viennent quand même grossir le chiffre des chômeurs.

Que serait-ce si l'on arrêtait cette course aux armements ? Cessez de fabriquer des armements et d'enrôler des soldats, puis comptez les millions de chômeurs que ça va faire dans le monde ! Assez pour susciter la révolution mondiale immédiate... Continuez de fabriquer des canons et d'enrôler des soldats, puis dites si cela est de nature à maintenir l'esprit de paix dans le monde et si nous n'allons pas à une boucherie sans pareille, suivie d'une révolution de plus vaste envergure que celle de la Russie. Ce sera trop tard pour les momies de sortir de leur torpeur.

"Rien pour rien. Pas de pouvoir d'achat sans travail." Cette convention est acceptée et bêtement défendue même par des gens qui se piquent d'être des guides sociaux. Pendant ce temps, nos écoles, nos instituts techniques, nos universités, nos laboratoires continuent de nous préparer des chercheurs, des découvreurs qui trouvent le moyen de faire surgir la production presque automatiquement. Pour maintenir la vieille convention barbare, il faut bien trouver un moyen. On l'a dans la fabrication des mitrailleuses, et des avions de guerre. Vous faites un obus, on vous paie, mais vous n'achetez pas l'obus, vous achetez une paire de chaussure qu'une machine a faite à la place de l'ouvrier. Invention utile, comme vous voyez, que la fabrication d'obus et d'autres jouets de la même catégorie ! Aussi nos gouvernants chantent-ils triomphe lorsqu'ils réussissent à obtenir quelques contrats pour l'aviation militaire anglaise.

Il y aurait bien un autre moyen de régler la distribution des chaussures et autres produits faits par les machines et la technique à la place des hommes : un dividende à tout le monde. Mais ça serait du crédit social ; ça ne serait avantageux qu'à la société, à la multitude ; ça casserait le pouvoir des monopoleurs de l'argent, ils ne veulent pas en entendre parler.

Les guerres peuvent terrifier les individus et les familles, elles peuvent terminer brusquement la carrière de millions d'hommes et réduire d'autres millions à l'incapacité ; mais ne sont-elles pas un moyen radical de supprimer le chômage tout en fortifiant la puissance des créanciers de l'univers ? Quelle aubaine donc ! N'allons pas supprimer les guerres !

Les dividendes émanciperaient l'humanité du joug des banques ; ils fourniraient du pouvoir d'achat sans créer de dettes. L'autre solution, celle des armements et des guerres, est autrement intéressante : elle fournit au moins temporairement du pouvoir d'achat, mais en augmentant les dettes. Les banques financent, par leur crédit-dette, la préparation des guerres (la fabrication des munitions). Par leur crédit-dette, elles financent la conduite de la guerre (il fallut $25,000 de crédit pour financer la destruction de chaque vie humaine sacrifiée pendant la grande guerre). Par leur crédit-dette, les banques financent ensuite la reconstruction des pays dévastés. À ce compte-là la grande guerre fut très fructueuse ; la guerre d'Espagne aussi : là on entre dans la troisième étape de la récolte par les créanciers.

On se garde bien de nous faire valoir ces convoitises des banquiers quand on prépare la mentalité pour le grand carnage. On vous place sous les yeux les figures de dictateurs, les lamentations de démocraties qui n'en furent jamais. On vous signale les dictateurs d'Allemagne ou d'Italie, pour faire oublier ceux qui mènent nos gouvernements par le bout du nez. Conférenciers de Munich et désavoueurs de lois albertaines ont l'air de jouer quelque chose sur la scène du monde ; ils jouent, en effet, mais le meneur du jeu ne se montre pas.

Les conversations de Hitler, Chamberlain, Daladier, Mussolini mettent le monde sur les nerfs. Un entretien de Montagu Norman et de Schlacht change le tableau : on s'entend à Munich, parce que deux financiers se sont entendus dans un bureau. La Tchéco-Slovaquie cède, mais on lui a promis un prêt ! Un peu plus tard, Hitler démet Schlacht et se défait de Brinkmann : la Banque d'Angleterre est offensée ; Chamberlain sort l'épée du fourreau. La Pologne ne tient pas à se liguer avec l'Angleterre ; on invite Beck à venir à Londres : peut-être l'offre d'un bon prêt de la Banque d'Angleterre va-t-elle gagner les bonnes grâces de Varsovie.

(Dernière minute) : On nous apprend qu'en effet l'accord s'est fait entre Chamberlain et Beck. Les dépêches, plutôt brèves, remarquent simplement qu'on a convenu à Londres que "la Pologne a un problème juif, qu'il lui faut peut-être des colonies et qu'elle a besoin d'argent pour s'armer davantage." Comme on est capable, avec la plume de la Banque d'Angleterre, de lui fournir cet argent ─ surtout si c'est pour s'armer, ce qui entre bien dans le cadre des émissions modernes de crédit ─ l'entente a été possible.

Tellement puissante, la Banque d'Angleterre, que même la noble France est devenue un dominion britannique.

Et nous, la multitude ; nous les pions ─ on nous sert tous les soirs et tous les matins des titres flamboyants dans les journaux pour préparer nos âmes à la grande immolation.

Pas si mal venue, après tout la guerre, la destruction, puisque c'est nécessaire pour sortir de la crise d'abondance. Jusqu'au premier ministre du Manitoba, proclamé un expert dans les problèmes agricoles de l'Ouest, qui déclare que seule une guerre universelle peut régler le problème du blé de l'ouest. Une guerre universelle, remarquez bien : celle d'Espagne ou de Chine sont insignifiantes, elles ne vident pas les élévateurs ni les greniers.

La guerre, c'est l'aboutissant inévitable de l'économie stupide que nous subissons. La solution pour éviter la guerre est entre nos mains, mais il faut se presser de la faire valoir, c'est la distribution de l'abondance par le dividende national. Au lieu de dépenser des énergies à grouper des jeunes qui vont clamer contre la guerre en attendant d'y aller ou de se cacher dans le bois, qu'on se hâte donc de forcer le gouvernement fédéral à changer de maîtres ; qu'on lui fasse sentir la pression du peuple un peu plus fort que celle des financiers. C'est tout le but de la Ligue du Crédit Social. Aux hommes, aux femmes, aux jeunes de dire ce qu'ils préfèrent : la continuation de la privation, avec la guerre pour la couronner ; ou bien la distribution de l'abondance, avec une vie de paix et d'épanouissement des individus et des familles.

La guerre, nous la voulons et nous la prêchons, mais contre ceux qui nous tiennent dans la pauvreté, dans la terreur et dans la désunion. La Ligue est pour une conscription, la conscription des citoyens, des consommateurs et consommatrices du Canada, pour faire la guerre aux financiers ; au lieu de la conscription de nos hommes et de nos jeunes gens pour aller se battre pour les financiers.

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