Depuis 1624, saint Joseph est le patron du Canada. Cependant, les Canadiens français ont un patron spécial, saint Jean-Baptiste. En effet, le 10 mai 1908, le pape Pie X déclarait: «Nous établissons, nous constituons et nous proclamons, saint Jean-Baptiste patron spécial auprès de Dieu des fidèles franco-canadiens, tant de ceux qui sont au Canada que ceux qui vivent sur une terre étrangère.»
Quel sens donner à ce patronnage, en quoi saint Jean-Baptiste doit-il être un modèle pour le peuple canadien français? Pour nous aider dans cette réflexion, voici l’homélie prononcée par Mgr Noël Simard (photo de droite) évêque du diocèse de Valleyfield au Québec, en sa cathédrale Sainte-Cécile, le 24 juin 2016, fête de la Nativité de saint Jean-Baptiste:
Aujourd’hui nous fêtons la Nativité de saint Jean-Baptiste. Savez-vous que d’habitude on célèbre la date de la mort d’un saint, le jour de son entrée dans la vie éternelle. Avec Jésus et Marie, saint Jean-Baptiste est le seul saint dont on fête la naissance.
C’est que la vie de Marie et celle de Jean-Baptiste ne s’expliquent pas en dehors de leur référence à Jésus. Ils sont nés pour Jésus ; Marie pour être sa mère, Jean-Baptiste pour préparer sa venue. C’est avec eux que les promesses de Dieu en faveur de son peuple se réalisent.
Pour mieux comprendre la signification de cette fête, regardons les textes qui nous sont proposés. Dans la première lecture, le prophète Isaïe annonce que le véritable sauveur du peuple sera un serviteur, par qui Dieu ramènera à Lui le cœur de son peuple. Si ce serviteur se manifeste pleinement en Jésus, il s’affirme déjà dans les prophètes qui guident le peuple vers la lumière, il s’affirme dans Jean-Baptiste, le plus grand des enfants des hommes.
Le texte d’Isaïe, dans ses premières phrases, s’applique bien à Jean-Baptiste: «J’étais encore dans le sein maternel quand le Seigneur m’a appelé». Jean-Baptiste a été appelé par Dieu dès sa conception. Lors de l’épisode de la Visitation, lorsque Marie visite sa cousine Élisabeth, l’enfant tressaille en présence de Marie. «J’étais encore dans les entrailles de ma mère quand il a prononcé mon nom».
Jean-Baptiste a été choisi, appelé par son nom… Alors qu’il aurait du s’appeler Zacharie, comme son père, il reçoit le nom de Jean. L’évangile nous le rappelle : son nom est Jean. (Luc 1, 63.)
Arrêtons-nous un peu à la signification des noms Zacharie, Élisabeth, et Jean. Zacharie veut dire «Dieu se souvient»: Dieu se souvient de sa promesse de susciter un Sauveur, de libérer son peuple. Et Jean-Baptiste est le prophète qui prépare la route au Seigneur. C’est également la devise du Québec: «Je me souviens».
Aujourd’hui, même si parfois nous avons l’impression que Dieu nous a oubliés, et que nous nous demandons ce qu’il fait quand on voit la haine et la violence dans le monde, rappelons-nous que Dieu ne nous oublie pas. Il se souvient de nous personnellement et en tant que peuple. Notre histoire en ce pays qui est le nôtre est une histoire sacrée, une histoire sainte, l’histoire de la foi catholique et de l’expansion de l’Évangile dans ce grand continent qu’est l’Amérique.
Oui, Dieu nous dit aujourd’hui qu’il se souvient, qu’il ne nous oublie pas, et qu’il a toujours été du côté des faibles, des opprimés, de ceux et celles qui souffrent. Il annonce, avec Jean-Baptiste, que le mal n’aura pas le dernier mot. L’important, c’est de rester fidèles à Jésus, de rester fermes dans la foi, de ne pas abandonner, de ne pas lâcher, même si parfois on rame à contre-courant. Restons attachés à ce don précieux de la foi, à ces valeurs spirituelles qui nous ont été transmises par nos ancêtres.
Et passons le flambeau aux jeunes générations. C’est tout un défi, mais il faut passer le flambeau; on ne peut pas garder la flamme pour nous-mêmes, il faut transmettre cette foi reçue.
Vous savez qu’une nation ne peut pas reposer que sur la préservation de la langue, si belle et si riche soit-elle. Il faut plus, il faut une culture basée sur des valeurs fondamentales de respect, d’entraide, de recherche du bien commun. Au Québec, nous sommes présentement trop individualistes et trop soucieux de nos droits individuels, oubliant le bien commun, le bien de la collectivité.
Souvenons-nous que les Canadiens français ont tenu bon grâce à leur foi, à leur Église, à leur paroisse, qu’ils ont bâties avec tant de générosité, de don et de courage. Aujourd’hui, nous sommes placés devant un choix: celui d’accueillir à nouveau cet héritage chrétien comme un formidable don de Dieu et de continuer à fonder notre avenir sur les valeurs de la foi catholique, ou bien de mettre de côté cet héritage en le renvoyant à la sphère du privé, en refusant à la foi et à l’Église une place dans la vie publique.
De par notre foi, nous sommes de la race de Jean-Baptiste. Le nom de Jean signifie «Dieu fait grâce». Tout comme Dieu fait grâce à Élisabeth et Zacharie en leur donnant la joie d’avoir un fils, tout comme Dieu fait grâce à son peuple et à l’humanité en leur offrant la libération.
Dieu a encore des surprises pour nous. Oui, Dieu a encore des surprises. Il voit nos souffrances et nos craintes, nos aspirations, et il est venu pour nous dire qu’il marche avec nous.
Dans la première lecture, le prophète Isaïe écrit (49, 2): «Il a fait de ma bouche une épée tranchante. Il a fait de moi une flèche acérée». Dans la deuxième lecture du livre des Actes des Apôtres, l’auteur rapporte que Jean le Baptiste a préparé la venue de Jésus en prêchant un baptême de conversion. La mission de Jean le Baptiste sera précisément d’annoncer et de préparer la venue du Sauveur. Il le fera par le rappel de la vérité et de la justice dans un monde superficiel et souvent cruel. Jean-Baptiste appelle à la conversion, au retournement des cœurs.
Jean le Baptiste a préparé la venue du Christ en le montrant aux foules de son temps et en les renvoyant vers Lui: « Voici l’Agneau de Dieu… Il vient, celui qui est plus puissant que moi »… «Ce n’est pas moi le Messie, c’est lui.» À la suite de Jean-Baptiste et de tous nos ancêtres, nous avons la responsabilité de montrer Jésus au monde, et nous effacer devant le Seigneur. Le montrer comment? Par nos engagements, par notre manière d’être, par notre manière de vivre : une manière de vivre qui doit être au goût de l’Évangile; une manière de vivre qui doit être basée sur l’entraide, le pardon, la justice, et le souci particulier pour les petits et les faibles. Oui, à nous d’annoncer aujourd’hui le message de Jésus et de dénoncer ce qui est «croche»...
Et vous savez qu’Élisabeth – je n’ai pas oublié Élisabeth – son nom signifie «Dieu est servant, Dieu tient promesse». Dieu a tenu sa promesse, il a penché sa miséricorde sur Élisabeth et lui a permis d’avoir un enfant qu’elle attendait avec Zacharie. Et n’oublions pas que Dieu tient toujours ses promesses; nous, peut-être, la fidélité, c’est pas toujours notre fort, mais avec le Seigneur, nous pouvons tenir promesse et être fidèle.
Oui, préparons les chemins du Seigneur, apportons ce message, et n’ayons pas peur de l’indifférence que nous pouvons rencontrer dans le monde d’aujourd’hui. Le pape n’arrête pas de dire : «Il faut créer des îlots de miséricorde dans une mer d’indifférence». Il ne faut pas avoir peur de l’indifférence, il faut arriver convaincus et convaincants.
Oui, souvenons-nous de notre foi. N’ayons pas peur de l’afficher, de la proclamer et d’en vivre, de la montrer dans des gestes de partage, de justice et de respect de l’autre.
N’oublions pas que c’est en nous, dans nos vies, que le Christ veut naître. Il nous envoie encore dans le monde pour annoncer à tous que Dieu fait grâce. Nous sommes nés pour être disciples de Jésus, pour préparer, comme Jean-Baptiste l’a fait, le cœur des hommes à l’accueillir et à se convertir.
Encore une fois, le Seigneur vient à nous dans l’autre pour nous faire grâce de sa Présence, de sa Vie, de son Amour, de sa Paix! Ouvrons-lui nos cœurs. Il saura les combler.
Bonne Saint-Jean-Baptiste! Amen!
Mgr Noël Simard