Quelques réflexions seulement à la suite du verdict électoral du 25 octobre. Quelques orientations préliminaires en vue du prochain appel au peuple.
C'est pour un parti, non pas pour les meilleurs hommes, que le peuple de la province de Québec a voté. Seuls le nieront ceux qui mesurent la valeur d'un candidat à son degré d'affiliation au parti.
Le public a voté pour un changement, comme d'ailleurs à la double élection de 1935-36, parce qu'il n'est pas satisfait des conditions régnantes. Il a cent fois raison de n'être pas satisfait, comme il ne l'était pas non plus en 1936. Mais est-ce bien par le simple retour à la vieille équipe, qu'il a des chances d'être mieux servi ?
Quel gouvernement - rouge, bleu ou unioniste - peut donner satisfaction, lorsqu'il est impossible d'augmenter l'actif de la province, de diminuer le chômage, d'atténuer la misère, sans endetter la province et alourdir son fardeau financier ?
Nous serons les premiers surpris si le nouveau gouvernement nous déprend de l'étreinte des puissances d'argent. Nous aurions plus espéré d'un gouvernement acculé au mur par les banques mais refusant de se soumettre. Il eut sans doute songé à prendre d'autres moyens. Avec un chef provincial patronné par ceux qui bafouent la législation albertaine pour sauvegarder les prérogatives des maîtres de l'argent, on peut s'attendre à continuer sous le même régime d'asservissement.
Dès le soir de l'élection, le nouvel élu nous avertit que la première chose à faire sera d'assainir nos finances et que le peuple sera appelé à faire des sacrifices. Bon écolier, va ! Les banquiers ne demandent que cela au monde, des sacrifices ! On ne leur a pas encore assez immolé ! Ils sont bien exigeants, ces dieux-là ! Privations et pauvreté dans un pays qui crève d'abondance !
L'Honorable Lapointe à félicité l'élu, les électeurs, la province, le Canada. Il a oublié de féliciter les fournisseurs de la caisse électorale et les organisateurs des deux machines libérales - la provinciale et la fédérale - qui ont su s'en servir si adroitement.
L'Honorable Taschereau se juge vengé et croit bon de chanter son antienne, de se moquer de Paul Gouin, de l'A. L. N. et des dépôts perdus. Comme si une doctrine et ses adhérents devaient s'évaluer selon l'accueil reçu de la multitude ! À ce compte, la religion chrétienne et ses apôtres ne valaient pas grand'chose lorsqu'on recevait saint Paul avec des pierres. Nous croyons que, même écrasé, Paul Gouin peut se flatter d'avoir plus fait pour un commencement d'éducation politique parmi ses compatriotes que M. Alexandre Taschereau avec toutes ses victoires électorales.
Nous soulignons une juste remarque de M. Horace Philippon : la plupart des chefs de nos associations nationales, si éloquents, dans les occasions d'apparat, pour prêcher le patriotisme pratique, s'absentent immanquablement lorsque vient l'heure de la lutte.
Mais nous refusons de croire que la routine de l'électorat, que sa fidélité moutonnière à suivre des courants déclanchés à coups d'argent, de parades et de démonstrations, nous dispensent de travailler à l'élever. Au contraire, si le résultat du 25 octobre démontre quelque chose, c'est qu'on est plus près du commencement que de la fin dans l'œuvre de l'éducation politique ; et quand on en est encore là, ce n'est pas le moment de freiner, mais celui d'accélérer.
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Nous recevons à nos bureaux une lettre datée du 28 octobre, ainsi conçue :
Messieurs.
Auriez-vous l'obligeance de me dire où et à quel prix je puis me procurer les brochures de M. Even sur le Crédit Social. Quoique défait dans mon comté comme candidat de l'A. L. N., ayant été pris par surprise, nous voulons dès le moment commencer notre organisation pour la prochaine élection fédérale. Je voudrais faire une étude plus approfondie du Crédit Social.
Félicitons ce candidat, non de sa défaite, mais de sa résolution. C'est tout de suite qu'il faut s'organiser pour la prochaine élection. Quand c'est avec une idée, et non avec de l'argent, qu'on entreprend une lutte, il faut savoir fournir de la préparation, de l'énergie, des efforts intenses et soutenus.
Nous l'expliquons ailleurs - et nous reviendrons là-dessus ce n'est pas avec un nouveau parti politique qu'on combattra les partis politiques. Pas avec une centrale seulement qu'on évangélisera le pays. S'il n'y avait pas d'évêques dans les diocèses, pas de prêtres dans les paroisses, que ferait la curie romaine pour conduire l'œuvre de l'Église ?
Une école d'idées, oui. Des écoles d'idées dans différents domaines, oui. Qu'on s'y inspire. Mais que, dans chaque comté, au moins un citoyen se mette en tête d'étudier et de faire étudier par ses concitoyens les problèmes politiques, économiques et sociaux. Qu'il établisse une organisation d'éducation, de contacts pour échanges d'idées.
Qu'un homme véritablement éclairé et dévoué ait ainsi en main cent ou deux cents équipes d'instruction dans son comté, il sera le choix naturel de ceux qui auront appris à le connaître et à recevoir de lui des lumières qui les ennoblissent. Ce sont ces "cives prœclari", dont parle Maritain, qui peupleront nos parlements de "faiseurs d'ordre".
Nous voilà loin des partis politiques et de leurs méthodes. Souhaitons que surgissent partout ces géants qui nous manquent. Ils formeront le FRONT INDÉPENDANT contre les puissances cachées et leurs polichinelles visibles.
Louis EVEN