Histoire tout à fait contemporaine

Louis Even le vendredi, 15 mars 1940. Dans Élections

Le personnage au milieu de cette scène n’est pas un homme riche. Il est en salopettes, en corps de chemise, les manches retroussées. Un simple travailleur.

Pourtant, devant lui, deux hommes bien habillés, tirés à quatre épingles, s’inclinent, souriants et obséquieux. Est-ce bien souvent qu’on voit des hommes riches faire des courbettes devant les pauvres ?

Une fois tous les cinq ans, quatre et cinq semaines à chaque fois. Nous sommes justement en pareille période.

Mais pourquoi ce brave homme, au lieu de se complaire dans ces délicatesses, semble-t-il perplexe ? Il se gratte la tête. Peut- être est-ce l’embarras du choix. Les deux prétendants sont si gentils !

Non. Le brave homme les a connus tous les deux, tour à tour, leur a fait confiance l’un après l’autre, les paye successivement sans morigéner, avec une sorte de culte religieux. Mais l’expérience est amère. Bleus, rouges, bleus, rouges, et c’est toujours la même chose. Or c’est encore ou bleu ou rouge qu’on lui propose.

De plus, notre homme, devenu observateur, remarque des chaînes aux mains des deux chefs. Un mandat ? C’est le droit de l’enchaîner. Pas bien agréable !

Un autre personnage, invisible pour Baptiste, surveille en arrière. Il ne se montre pas, il surveille seulement. Lui n’a pas de soucis. Il tient aussi un paquet de chaînes en réserve. Pas un forgeron ; ce sont des chaînes d’argent. C’est Monsieur Banco !

Monsieur Banco sourit, s’amuse. Il dit dans ses yeux : "Vas-y, Baptiste, choisis qui tu voudras, tu seras content et moi aussi. Je t’enchaîne pareil."

Nous plaignons les Canadiens dans les comtés où il n’y a pas d’autres choix. Nous ne les plaignons pas moins dans les territoires où rien de différent ne surgit, sauf des mouvements de gauche. Et nous trouvons infiniment triste que des gens qui se disent Canadiens et Catholiques, qui déclarent aimer leur pays et leur religion, ne se hâtent pas, devant le dégoût qu’inspirent de plus en plus les deux vieilles cliques, de se lever avec un mouvement de réforme de droite.

On attend, on attend. On prêche la patience, la prudence, la défiance. On refroidit les zélés. Pendant ce temps-là, des meneurs moins pusillanimes s’emparent des mécontents, les enrôlent, les endoctrinent.

Nous, les purs qui ont peur de se contaminer au contact de problèmes temporels, nous lèverons les bras au ciel, nous nous scandaliserons de passions humaines en révolte, nous fulminerons contre les révolutionnaires, quand il sera trop tard.

Nous reparlerons, dans le prochain numéro de VERS DEMAIN, de ces perpétuelles carences de nos éléments catholiques.

Louis Even

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