Le Pape François en a surpris plus d’un avec ses paroles très fortes dans sa toute dernière encyclique Laudato Si pour éveiller les consciences sur l’urgence d’une écologie « intégrale », qui prenne soin autant des êtres humains que de la nature, qui sont tous deux sacrifiés sur l’autel du dieu argent », du profit à tout prix peu importe les conséquences sur l’environnement et sur les personnes. Plusieurs sont même allés jusqu’à condamner l’encyclique avant même qu’elle soit publiée, prétextant que le changement climatique n’est pas causé par l’activité humaine, mais provient de causes naturelles. Et ils s’inquiètent aussi que le Pape fasse le jeu des promoteurs d’un gouvernement mondial qui exagèrent l’état de détérioration de la Terre pour imposer des mesures drastiques, comme une réduction radicale de la population de la planète par l’avortement, la contraception, les guerres, maladies, etc.
Le Pape François est parfaitement conscient qu’il existe un tel courant d’idées et des gens qui en font la promotion, mais il ne tombe pas dans leur panneau. Il mentionne très clairement dans son encyclique que la réduction de la population et l’avortement ne sont pas la solution aux problèmes environnementaux. Il oriente plutôt le débat d’un point de vue réellement chrétien.
Et pour ce qui de savoir si le réchauffement de la planète est dû à des causes humaines plutôt que naturelles, le Pape lui-même n’en fait pas un dogme, disant que le débat reste ouvert sur ce sujet dans les milieux scientifiques. Il écrit au paragraphe 61 de Laudato Si :
« Sur beaucoup de questions concrètes, en principe, l’Église n’a pas de raison de proposer une parole définitive et elle comprend qu’elle doit écouter puis promouvoir le débat honnête entre scientifiques, en respectant la diversité d’opinions. Mais il suffit de regarder la réalité avec sincérité pour constater qu’il y a une grande détérioration de notre maison commune. »
Autrement dit, même si on ne croit pas au réchauffement de la planète, on ne peut nier qu’il existe quand même une multitude d’exemples de détérioration de la planète et de gaspillage tout à fait inutile des ressources naturelles, entraînant une pile de déchets toxiques.
Le Pape emploie aussi des termes très directs pour dénoncer le système financier actuel, où tout est soumis au « dieu argent ». Si certains en sont scandalisés, jusqu’à accuser le Pape d’avoir des tendances marxistes, c’est qu’ils ont eux-mêmes fait un dieu et un dogme du système financier actuel, prétendant qu’il est parfait et que quiconque ose le remettre en question est un communiste ! Ils ignorent l’enseignement des papes sur le capitalisme (voir pages 26 et 27 de ce magazine), qui fait la distinction entre le système producteur (libre marché, entreprise privée) qui fonctionne très bien, et le système financier qui est la source des problèmes. Ils ignorent entre autres ces paroles très fortes du Pape Pie XI dans Quadragesimo anno en 1931 : »Ceux qui contrôlent l’argent et le crédit contrôlent nos vies, et sans leur permission nul ne peut plus respirer. »
Au paragraphe 203 de Laudato Si, le Pape parle du marché qui « tend à créer un mécanisme consumériste compulsif pour placer ses produits, les personnes finissent par être submergées, dans une spirale d’achats et de dépenses inutiles. »
Un exemple de cela, c’est ce qu’on appelle « l’obsolescence programmée » : les produits sont conçus pour durer le moins longtemps possible, afin d’obliger les consommateurs à les remplacer plus tôt que prévu. Et parfois, même si l’objet est encore fonctionnel, la publicité vous convaincra de le changer pour être à la fine pointe de la mode. On veut que les gens consomment !
On n’a qu’à penser aux imprimantes à jet d’encre pour ordinateurs : quand la cartouche d’encre est vide, il est moins cher d’acheter une nouvelle imprimante au complet que de remplacer les cartouches. Même chose pour la plupart des appareils électroniques : on ne répare pas, c’est moins cher d’acheter un nouveau modèle, même si en réalité il ne s’agit que de remplacer un petit morceau défectueux.
Si on examine le problème de plus près, on voit bien que ce sont les règlements du système financier actuel qui amènent une telle dégradation inutile des ressources de la planète — surtout le règlement qui veut lier la distribution du pouvoir d’achat à l’emploi, entraînant des situations de ce genre : des groupes écologistes voudraient que telle usine soit forcée de cesser de polluer, mais le gouvernement réplique que cela coûterait trop cher à cette compagnie, et qu’elle risquerait de fermer ses portes, et qu’il est préférable de conserver ces précieux emplois, même s’il faut pour cela sacrifier l’environnement.
On sacrifie le réel — l’environnement — au signe, l’argent. On crée des emplois, mais au dépens de la survie même de la planète. Même si on empoisonne les gens, ce n’est pas grave, pourvu que ça paie ! Comme l’écrit le Pape François au paragraphe 195 : « Le principe de la maximalisation du gain, qui tend à s’isoler de toute autre considération, est une distorsion conceptuelle de l’économie : si la production augmente, il importe peu que cela se fasse au prix des ressources futures ou de la santé de l’environnement. »
Un proverbe amérindien décrit bien ce paradoxe : « Lorsque la dernière goutte d’eau sera polluée, le dernier animal chassé et le dernier arbre coupé, l’homme blanc comprendra que l’argent ne se mange pas. »
Et que dire de tous les besoins artificiels créés dans le seul but de tenir les gens employés, de tous ces gens qui travaillent dans la paperasse dans des bureaux, et des produits fabriqués pour durer le moins longtemps possible, afin d’en vendre le plus possible ? Tout cela entraîne un gaspillage et une destruction non nécessaires du milieu naturel.
La cause fondamentale de la pollution de l’environnement, du gaspillage des ressources de la terre, c’est le manque chronique de pouvoir d’achat, inhérent au système financier actuel. En d’autres mots, les consommateurs n’ont jamais assez d’argent pour pouvoir acheter les produits qui existent ; la population ne peut acheter ce qu’elle a elle-même produit. Il faut donc créer des besoins inutiles pour distribuer des salaires pour acheter la production utile déjà faite. (Voir en page 21 et suivantes, l’explication du théorème A + B et le manque de pouvoir d’achat.)
De là vous pouvez imaginer tout l’effet que ces politiques économiques insensées ont sur l’environnement. Par exemple, on parle de croissance, de la nécessité pour les pays de produire toujours plus, d’être plus compétitifs. En réalité, un pays devrait être capable d’augmenter, stabiliser ou diminuer sa production selon les besoins de sa population, et dans bien des cas, une diminution de la production pourrait s’avérer le choix le plus approprié.
En effet, si pendant deux années, on a pu fournir à chaque foyer une machine à laver devant durer 20 ans, il serait tout à fait insensé de continuer de produire encore plus de machines à laver ! L’industriel américain Henry Ford aurait dit que le but d’un bon manufacturier d’automobiles devrait être de fabriquer une voiture familiale de qualité qui durerait toute la vie. La construction d’une telle voiture est techniquement possible, mais l’industrie automobile prend une place tellement considérable dans notre économie, que si de telles autos étaient construites, cela créerait un véritable chaos économique : que ferait-on de tous ces travailleurs, comment les tiendrait-on employés, au nom du sacro-saint principe du plein emploi ?
Si on ne pense qu’en termes financiers, la croissance semble une nécessité, mais d’un point de vue réel, en termes de biens physiques, elle est insensée.
Ce thème du « consumérisme » (la création de besoins artificiels pour faire fonctionner l’économie) a été développé dans un article intitulé « Green — Where Money is Concerned » (L’écologie et la question de l’argent), publié dans le numéro de l’été 1991 de la publication anglaise The Social Crediter. En voici des extraits :
« Les effets de cette activité économique sur l’environnement sont énormes. Des milliers d’intrusions nuisibles sur la nature sont justifiées sous prétexte qu’elles distribuent des revenus dans les poches des gens. On accepte la production de biens de mauvaise qualité et qui, à dessein, deviennent vite démodés, parce qu’ils garantissent un remplacement rapide des biens, et soutiennent l’activité économique, en tenant le plus de monde employé possible... La production ainsi obtenue est fièrement comptabilisée dans les statistiques gouvernementales, sans se soucier de savoir si cette production dégrade les gens ou les rend fous, ou bien si elle sert réellement à quelque chose et comble vraiment un besoin des consommateurs.
« Des édifices à bureaux doivent être construits et entretenus pour loger ceux qui sont “pleinement employés” ; des montagnes de fournitures et d’équipements doivent être fabriqués pour tenir occupés ces employés de bureaux ; des systèmes pour les transporter de leur maison à leur lieu de travail, et vice et versa, doivent être installés ; une grande quantité de pétrole doit être extraite, raffinée, transportée puis brûlée pour les transporter et chauffer les édifices à bureaux, et ainsi de suite.
« En réalité, la seule manière de faire face à ce problème de pollution et de détérioration est d’enlever l’incitatif à l’abus. Le principal moteur de gaspillage économique est l’emphase mise sur la production comme une fin, pour faire face au défaut dans le système de distribution du revenu. Enlever ce défaut du mécanisme de distribution amènerait les gens à cesser de construire des biens de capital que personne ne désire. Cela permettrait une évaluation rationnelle et équilibrée de notre situation environnementale, et offrirait la plus grande gamme possible pour corriger la situation.
« La première étape vers une régénération économique et environnementale est d’augmenter le revenu des consommateurs. Par “revenu”, nous voulons bien sûr dire “pouvoir d’achat réel” — pas une dette recyclée. Les banques créent des milliards de dollars chaque jour, basés sur les richesses réelles produites par la population, et en conséquence, le pays patauge dans les dettes. On pourrait ordonner à ces mêmes institutions de créer de l’argent sans dette et, pour équilibrer les prix et le pouvoir d’achat, distribuer cet argent sous forme de dividendes payables à tous les citoyens.
« Contre le souhait de pratiquement toute personne consciente, notre belle planète est ravagée et polluée de façon intensive et, dans une manœuvre pour nous tromper, des gens affamés de pouvoir se servent de ces problèmes environnementaux pour servir leurs propres fins politiques. Lorsque nous remontons jusqu’à la source des causes de la situation actuelle, nous découvrons un système financier défectueux. Nous n’avons pas besoin de détruire le système d’argent — agir ainsi serait en effet une grave erreur — mais il est d’une importance cruciale que nous réformions ce système, afin qu’il devienne le serviteur, et non le maître, de nos aspirations. » (Fin de l’extrait de l’article du Social Crediter.)
À la toute fin de son encyclique, le Saint-Père parle du besoin de changer de style de vie et de réduire notre consommation. Mais parler de simplicité volontaire, de consommer moins, va à l’encontre du système financier actuel, et entraînerait la fermeture d’usines et la mise à pied de milliers de travailleurs. Le Pape admet lui-même d’ailleurs que pour appliquer les changements qu’il demande dans son encyclique, un changement du système financier doit d’abord avoir lieu, pour l’adapter à l’économie réelle et au bien commun.
Nous sommes entièrement d’accord avec le Saint-Père, et nous prétendons que le système de Démocratie Économique, ou Crédit Social, tel que proposé par C.H. Douglas et Louis Even, rendrait réalisable tout ce qui est souhaité par le Pape François dans son encyclique, tout en mettant fin au gaspillage des ressources et permettant en même temps l’épanouissement de la personne humaine.
C’est tout notre environnement qui serait changé si le système financier était adapté aux besoins de la population. On n’aurait pas besoin d’usines immenses ni de gens quittant la campagne pour les villes à la recherche d’un emploi. (Douglas faisait observer que les grandes usines ne sont pas plus productives que les petites, et que si elles existent, c’est tout simplement parce que les banques préfèrent financer de grandes entreprises au lieu d’entreprises familiales.) On pourrait revenir à une production à l’échelle humaine, une production à l’échelle locale.
Le Pape n’est pas contre l’usage des machines, du progrès, mais l’homme doit passer en premier, avant le profit. Il écrit, par exemple, au paragraphe 114 : « Personne ne prétend vouloir retourner à l’époque des cavernes, cependant il est indispensable de ralentir la marche pour regarder la réalité d’une autre manière, recueillir les avancées positives et durables, et en même temps récupérer les valeurs et les grandes finalités qui ont été détruites par une frénésie mégalomane. »
Tout juste avant, au paragraphe 112, on peut lire : « Il est possible d’élargir le regard, et la liberté humaine est capable de limiter la technique, de l’orienter, comme de la mettre au service d’un autre type de progrès, plus sain, plus humain, plus social, plus intégral... par exemple, quand des communautés de petits producteurs optent pour des systèmes de production moins polluants, en soutenant un mode de vie, de bonheur et de cohabitation non consumériste ; ou bien quand la technique est orientée prioritairement pour résoudre les problèmes concrets des autres, avec la passion de les aider à vivre avec plus de dignité et moins de souffrances. »
« Des systèmes pour les transporter de leur maison à leur lieu de travail, et vice et versa, doivent être installés ; une grande quantité de pétrole doit être extraite, raffinée, transportée puis brûlée pour les transporter et chauffer les édifices à bureaux, et ainsi de suite. » |
Quelle part donner à la machine, quand doit-elle remplacer l’homme, et quand l’homme est-il préférable à la machine ? C’est là qu’il faut définir ce qui fait la dignité du travail, et quand un emploi devient déshumanisant et ne respecte plus la dignité du travailleur. Certains emplois nécessitent un contact humain : médecin, professeur, soins des personnes âgées, l’éducation des enfants, et d’autres peuvent être mieux faits par des machines, surtout lors de travaux exigeant des gestes répétitifs sur des chaînes de montage, où la créativité de la personne ne peut s’exprimer.
Le Pape François écrit dans son encyclique, au paragraphe 128 : « Nous sommes appelés au travail dès notre création. On ne doit pas chercher à ce que le progrès technologique remplace de plus en plus le travail humain, car ainsi l’humanité se dégraderait elle-même. Le travail est une nécessité, il fait partie du sens de la vie sur cette terre, chemin de maturation, de développement humain et de réalisation personnelle... Le grand objectif devrait toujours être de leur permettre d’avoir une vie digne par le travail. Mais l’orientation de l’économie a favorisé une sorte d’avancée technologique pour réduire les coûts de production par la diminution des postes de travail qui sont remplacés par des machines. C’est une illustration de plus de la façon dont l’action de l’être humain peut se retourner contre lui-même. »
Les robots ne sont pas un fin en soi, ils sont là pour accomplir les tâches difficiles, pour aider l’être humain, lui donner du temps libre. Le problème, c’est que lorsqu’on lie le revenu à l’emploi, l’introduction d’une machine signifie la perte de revenu pour le travailleur qui perd son emploi. Comme on l’explique en pages 21 et suivantes de ce magazine, le Crédit Social pourvoirait à ce problème par l’allocation d’un dividende à tous, basé sur le double héritage des richesses naturelles et du progrès, qui mettrait l’individu « en position de choisir l’activité qui l’intéresse. Sous un système de Crédit Social, il y aura une floraison d’activités créatrices. »
Des choix de société sont donc à faire, mais le fait est que, dans les conditions économiques actuelles, toute la production essentielle est produite malgré des taux de chômage de 10, 20 pour cent ou même davantage. De plus, les grandes entreprises déménagent leurs usines dans des pays où la main-d’œuvre est moins chère, où les règlements environnementaux sont moins stricts. (C’est ce qu’on appelle la délocalisation.) Comment voulez-vous qu’un pays d’Europe ou d’Amérique du nord fasse compétition avec des pays comme la Chine, le Bangladesh ou d’autres pays asiatiques où les salaires pour l’industrie du textile ne sont pas de 38 dollars de l’heure, mais 38 dollars... par mois ! Et avec des conditions de travail qui en font ni plus ni moins des esclaves.
L’introduction d’un dividende à tous ne signifierait pas que les gens ne travailleraient plus ou seraient tous remplacés par des machines, mais que grâce à ce pouvoir d’achat supplémentaire, on stimulerait l’initiative personnelle et la création d’emplois locaux. Le Pape François écrit au paragraphe 129 de Laudato Si :
« Pour qu’il continue d’être possible de donner du travail, il est impérieux de promouvoir une économie qui favorise la diversité productive et la créativité entrepreneuriale. Par exemple, il y a une grande variété de systèmes alimentaires ruraux de petites dimensions qui continuent à alimenter la plus grande partie de la population mondiale, en utilisant une faible proportion du territoire et de l’eau, et en produisant peu de déchets, que ce soit sur de petites parcelles agricoles, vergers, ou grâce à la chasse, à la cueillette et la pêche artisanale, entre autres. »
Le dividende du Crédit Social permettrait cette « créativité entrepreneuriale. »
Tous ceux qui se soucient de l’environnement, et par conséquent de l’avenir de l’humanité sur terre, tous ceux qui désirent « sauver la planète », devraient donc étudier et propager la philosophie du Crédit Social, le seul système qui mettrait l’argent au service de la personne humaine, tout en mettant fin au gaspillage des ressources naturelles.