Le 2000e anniversaire du plus grand événement de l'histoire – l'Incarnation du Fils de Dieu, le Verbe Éternel qui s'est fait chair – apportera de grandes grâces pour l'Église et toute l'humanité, ce sera véritablement une « année de grâce », selon la définition même du jubilé dans l'Ancien Testament, un nouveau printemps pour l'Église, une nouvelle Pentecôte. Les trois années précédant l'an 2000 ont été consacrées aux trois personnes de la Sainte Trinité. 1999 est consacrée à Dieu le Père, riche en miséricorde, qui sera sûrement à l'œuvre de manière spéciale cette année, pour ramener à Lui tous Ses enfants égarés et dispersés. Pour se mettre dans l'esprit de ce jubilé, voici des extraits de la lettre apostolique de Jean-Paul II, « Tertio Millennio Adveniente », sur la préparation du Jubilé de l'an 2000 :
par Jean-Paul II
Jésus est né dans le peuple élu, en accomplissement de la promesse faite à Abraham et constamment rappelée par les prophètes. Ceux-ci parlaient au nom et à la place de Dieu... le Christ ne se limite pas à parler « au nom de Dieu » comme les prophètes, mais c'est Dieu même qui parle dans son Verbe éternel fait chair. Nous touchons ici le point essentiel qui différencie le christianisme des autres religions, dans lesquelles s'est exprimée dès le commencement la recherche de Dieu de la part de l'homme.
Dans le christianisme, le point de départ, c'est l'Incarnation du Verbe. Ici, ce n'est plus seulement l'homme qui cherche Dieu, mais c'est Dieu qui vient en personne parler de lui-même à l'homme et lui montrer la voie qui lui permettra de l'atteindre... Le Verbe incarné est donc l'accomplissement de l'aspiration présente dans toutes les religions de l'humanité : cet accomplissement est l'œuvre de Dieu et il dépasse toute attente humaine. C'est un mystère de grâce.
L'éternité est entrée dans le temps : peut-il y avoir un « accomplissement » plus grand que celui-là ? Peut-il même y avoir un autre « accomplissement » ? Certains ont pensé à des cycles cosmiques mystérieux dans lesquels l'histoire de l'univers et en particulier de l'homme se répéterait constamment. L'homme naît de la terre et il retourne à la terre (cf. Gn 3, 19) : telle est la donnée de première évidence. Mais il y a en l'homme une irrésistible aspiration à vivre toujours. Comment peut-on penser pour lui à une survivance au-delà de la mort ? D'aucuns ont imaginé des formes diverses de réincarnation, selon la manière dont il a vécu lors de son existence précédente, il connaîtrait l'expérience d'une nouvelle existence plus noble ou plus humble, jusqu'à ce qu'il ait atteint sa complète purification. Cette croyance, très enracinée dans certaines religions orientales, tend à montrer, entre autres, que l'homme n'entend pas se résigner au caractère irrévocable de la mort. Il est convaincu qu'il a une nature essentiellement spirituelle et immortelle.
La Révélation chrétienne exclut la réincarnation et parle d'un épanouissement que l'homme est appelé à réaliser au cours d'une existence unique sur terre. Cet épanouissement de son destin, l'homme l'atteint par le don désintéressé de lui-même, un don qui n'est possible que dans la rencontre avec Dieu. C'est en Dieu qu'il trouve la pleine réalisation de ce qu'il est: telle est la vérité révélée par le Christ.
Pour l'Église, le Jubilé est précisément cette « année de grâce », année de la rémission des péchés et des peines dues aux péchés, année de la réconciliation entre les adversaires, année de multiples conversions et de pénitence sacramentelle et extra-sacramentelle... Le Jubilé de l'An 2000 veut être une grande prière de louange et d'action de grâce surtout pour le don de l'Incarnation du Fils de Dieu et de la Rédemption qu'il a accomplie... Toutefois, la joie de tout Jubilé est d'une manière particulière une joie pour la rémission des fautes, la joie de la conversion.
Comment passer sous silence, par exemple, l'indifférence religieuse qui conduit beaucoup d'hommes d'aujourd'hui à vivre comme si Dieu n'existait pas ou à se contenter d'une vague religiosité qui ne leur permet pas de se confronter au problème de la vérité ni au devoir de cohérence ? Il faut ajouter que, un peu partout, on a perdu le sens de la transcendance de l'existence humaine et l'on est désorienté dans le domaine éthique, même en ce qui concerne les valeurs fondamentales du respect de la vie et de la famille. Un test s'impose pour les fils de l'Église : à quel point ne sont-ils pas eux-mêmes atteints par l'atmosphère de sécularisme et de relativisme éthique ? Et quelle part de responsabilité ne doivent-ils pas se reconnaître, eux aussi, face à la progression de l'irréligion, parce qu'ils n'ont pas manifesté l'authentique visage de Dieu en raison des défaillances de leur vie religieuse, morale et sociale ?
On ne peut nier, en effet, que chez beaucoup de chrétiens la vie spirituelle traverse une période d'incertitude qui affecte non seulement la vie morale mais aussi la prière et même la rectitude théologale de la foi. Celle-ci, déjà mise à l'épreuve par la confrontation avec notre temps, est parfois désorientée par des positions théologiques erronées, qui se répandent, entre autres, à cause de la crise de l'obéissance à l'égard du magistère de l'Église...
Ne faut-il pas déplorer, parmi les ombres du présent, la coresponsabilité de tant de chrétiens dans des formes graves d'injustice et de marginalisation sociale ? On peut se demander combien d'entre eux connaissent à fond et pratiquent d'une manière cohérente les directives de la doctrine sociale de l'Église.
En cette troisième année (consacrée à Dieu le Père), le sens du « cheminement vers le Père » devra nous pousser tous à parcourir, dans l'adhésion au Christ, Rédempteur de l'homme, un itinéraire de conversion authentique, qui comprend un aspect « négatif » de libération du péché, et un aspect « positif » de choix du bien, exprimé par les valeurs éthiques comprises dans la loi naturelle confirmée par l'Évangile. C'est dans ce cadre qu'il convient de redécouvrir et de célébrer avec ferveur le sacrement de la Pénitence, dans son sens le plus profond.
Il conviendra donc spécialement cette année de mettre en relief la vertu théologale de la charité, en se rappelant l'affirmation synthétique et saisissante de la première lettre de Jean : « Dieu est amour »(4, 8. 16). La charité, avec son double visage d'amour pour Dieu et pour les frères, est la synthèse de la vie morale du croyant. Elle a en Dieu sa source et son aboutissement.
Dans cette perspective, nous rappelant que Jésus est venu « annoncer la Bonne Nouvelle aux pauvres » (Mt 11, 5 ; Lc 7, 22), comment ne pas souligner plus nettement l'option préférentielle de l'Église pour les pauvres et les exclus ? On doit même dire que l'engagement pour la justice et pour la paix en un monde comme le nôtre, marqué par tant de conflits et par d'intolérables inégalités sociales et économiques, est un aspect caractéristique de la préparation et de la célébration du Jubilé. Ainsi, dans l'esprit du Livre du Lévitique (25, 8-28), les chrétiens devront se faire la voix de tous les pauvres du monde, proposant que le Jubilé soit un moment favorable pour penser, entre autres, à une réduction importante, sinon à un effacement total, de la dette internationale qui pèse sur le destin de nombreuses nations.
Le 29 novembre dernier, premier dimanche de l'Avent, le Saint-Père rendait publique la lettre « Incarnationis Mysterium », bulle d'indiction établissant entre autres les conditions pour gagner les indulgences du grand Jubilé. Voici des extraits de cette bulle :
Dieu vient à notre rencontre, que nous l'ayons cherché ou que nous l'ayons ignoré, voire que nous l'ayons évité. Il nous devance et vient vers nous, les bras ouverts comme un père aimant et miséricordieux. Afin de nous préparer convenablement au Jubilé, nous devons être disponibles à accueillir toutes personnes. Toutes sont nos frères et nos sœurs, car fils du même Père céleste.
Beaucoup de pays, spécialement les plus pauvres, sont opprimés par une dette qui a pris des proportions telles qu'elles rendent pratiquement impossible leur remboursement.... (Que) tous – spécialement les pays riches et le secteur privé - assument leur responsabilité à travers un modèle d'économie qui soit au service de chaque personne. Il ne faut pas remettre encore une fois à plus tard le temps où le pauvre Lazare pourra lui aussi s'asseoir à côté du riche pour partager le même banquet et ne plus être obligé de se nourrir de ce qui tombe de la table (cf. Lc 16, 19-31). L'extrême pauvreté est source de violence, de rancœurs et de scandales. Lui porter remède est faire œuvre de justice et donc de paix.
Le Jubilé est un nouvel appel à la conversion du cœur par le changement de vie. Il rappelle à tous qu'il ne faut considérer comme absolus ni les biens de la terre, car ils ne sont pas Dieu, ni la domination ou la prétention de domination de l'homme, car la terre appartient à Dieu et à Lui seul : « La terre m'appartient et vous n'êtes pour moi que des étrangers et des hôtes » (Lv 25, 23). Puisse cette année de grâce toucher le cœur de ceux qui ont entre leurs mains le sort des peuples !
La mémoire des martyrs est un signe permanent, mais aujourd'hui particulièrement éloquent, de la vérité de l'amour chrétien. Il ne faut pas oublier leur témoignage. Ils ont annoncé l'Évangile, donnant leur vie par amour. Le martyre, surtout de nos jours, est signe du plus grand amour qui récapitule toutes les autres valeurs. Son existence reflète la parole suprême prononcée par le Christ sur la Croix : « Père, pardonne-leur : ils ne savent pas ce qu'ils font » (Lc 23, 34). Le croyant qui prend au sérieux sa vocation chrétienne, pour laquelle le martyre est une possibilité déjà annoncée dans la Révélation, ne peut exclure cette perspective de l'horizon de sa vie. Les deux mille ans écoulés depuis la naissance du Christ sont marqués par le témoignage persistant des martyrs.
(Dans sa lettre Tertio Millennio Adveniente, Souverain Pontife, écrivait : « L'Église du premier millénaire est née du sang des martyrs... Au terme du deuxième millénaire, l'Église est devenue à nouveau une Église de martyrs ». En fait, les martyrs sont plus nombreux en ce 20e siècle que durant les trois premiers siècles de l'Église.).
Ce siècle lui-même, qui arrive à son terme, a connu de très nombreux martyrs, surtout à cause du nazisme, du communisme et des luttes raciales ou tribales. Des personnes de toutes les couches sociales ont souffert en raison de leur foi, payant de leur sang leur adhésion au Christ et à l'Église ou affrontant avec courage d'interminables années de prison et d'autres privations de tout genre, parce qu'elles ne voulaient pas céder à une idéologie qui s'était transformée en un régime de dictature impitoyable. Du point de vue psychologique, le martyre est la preuve la plus éloquente de la vérité de la foi, qui sait donner un visage humain même à la plus violente des morts et qui manifeste sa beauté même dans les persécutions les plus atroces.
Inondés de la grâce lors de la prochaine année jubilaire, nous pourrons faire monter avec plus de force l'hymne d'action de grâce au Père et chanter : Te martyrum candidatus laudat exercitus. Oui, c'est là l'armée de ceux qui « ont lavé leurs robes et les ont blanchies dans le sang de l'Agneau » (Ap.7, 14). C'est pourquoi, partout sur la terre, l'Église devra rester attachée à leur témoignage et défendre jalousement leur mémoire. Puisse le peuple de Dieu, raffermi dans sa foi par les exemples de ces modèles authentiques de tous âges, de toutes langues et de tous pays, franchir avec confiance le seuil du troisième millénaire ! Qu'à l'admiration pour leur martyre soit joint, dans le cœur des fidèles, le désir de pouvoir, avec la grâce de Dieu, suivre leur exemple si les circonstances l'exigent !
Jean-Paul II