Une voix de Jésuite

le samedi, 15 mai 1943. Dans Catéchèses et enseignements

Ce n'est pas un chef créditiste, mais bien le Ré­vérend Père Alexandre Dugré, de la Société de Jésus, qui, dans le Messager Canadien du Sa­cré-Cœur de mai, sous le titre "Pour quelques libertés", écrit un article de dix pages dont nous extrayons pour aujourd'hui les passages suivants  :

Ceux qui trouvent curieux et pas intéressant de se voir rationner le sucre, la viande, les habits, ap­prendront que les pauvres de toujours, et les chô­meurs de 1929-1939 par suite de l'argent ration­né, ne trouvaient pas ça drôle non plus.

Rationner ce qui nourrit, ou rationner ce qui paie ce qui nourrit, revient au même. C'est encore plus choquant, plus provocant de se voir imposer le rationnement de la monnaie au milieu de l'a­bondance des biens créés qu'on détruira, qui ne circuleront pas sur les tables parce que l'argent ne circule pas dans les foyers.

Ceux qui tirent des plans d'après-guerre n'ou­blieront pas que l'argent aussi est une liberté, une libération, un élément de bonheur ; qu'il est là pour la famille, et la famille pour Dieu ; qu'il est un moyen, non une fin ; que le foyer, qui prie vaut mieux que la Bourse qui spécule ; enfin que la Finance au front d'airain ne doit pas mener le monde, mais le servir.

Contre toute dictature

Ceux qui luttent et meurent pour défendre la démocratie et la liberté veulent savoir pour quelle démocratie et pour quelle liberté... On n'a pas le droit de se battre pour une liberté divorcée de la justice.

Une vraie démocratie remplace le droit divin des rois par le droit divin des hommes, créés de Dieu, baptisés enfants de Dieu, allant à Dieu, soutenus des biens de la terre dans leur recher­che des biens du ciel. Qu'on sauve cela, tout sera bien. Qu'on ne sauve que la liberté des abus d'hier  : écrasement des pauvres, chômage et pri­mauté de l'argent, rien ne va plus, on n'en est pas... On veut être indépendant, oui, indépendant de toutes les formes de tyrannie, de dictature, aussi bien de celle de l'argent que de celle de Sta­line ou d'Hitler.

On ne devra plus jamais connaître de crises ab­surdes où l'ouvrier chôme à côté de la machine qui rouille et de la banque qui regorge ; et où l'a­griculteur est payé pour semer moins de blé, alors que les citadins crient la faim, ne se marient pas, ne naissent pas, mais se bolchévisent. On n'avalera plus les mots savant d'inflation, de déflation, de «  change, de signe de richesse, de revirements, de réescompte, etc., quand il y a surproduction de nourriture et que les enfants se couchent sans souper...

(Ici le R. P. Dugré cite les paroles de Pie XI qui "flétrissent l'effarante grève des rationneurs de l'argent qui abusent des hommes au profit des sombres intérêts", les maîtres de l'argent et du crédit qui le dispensent à leur gré et sans la per­mission desquels nul ne peut respirer.)

Système faussé

Qui sont-ils, ces quelques hommes qui mènent l'argent à leur gré, qui permettent ou non au peu­ple de souffler, de travailler, de s'établir, de jouir de la suffisance de la vie ? Sont-ils des rois ? des premiers-ministres ?

Non. Ce sont des êtres mystérieux, souterrains ou stratosphériques, pas connus, pas photogra­phiés dans les journaux, pas réunis en parlements avouables, désignés sous les noms de Haute Fi­nance, Haute Banque, Finance Internationale, et capables de créer la prospérité ou la ruine de tel ou tel pays, grâce à des trucs de change, d'infla­tion ou de déflation, de prêts et de retraits, sa­vamment combinés. Ils ne sont pas responsables au peuple, pas élus par le peuple, encore moins élus de Dieu et sacrés comme les anciens rois...

Ne traitons personne de voleurs, surtout pas nos gérants de banque, honnêtes exécutants d'or­dres venus de loin. C'est le système faussé, com­pliqué à plaisir, inhumain, contraire à l'Évangile, béni de Mammon, destiné à rendre les riches plus riches et les pauvres plus pauvres, à tout glisser aux monopoles où les gros mangent les petits, où les faillites se multiplient dans la pléthore des produits, au cri de "L'argent est rare".

Pourtant, si vous discutez avec les champions de la finance, ils vous clouent de mots compliqués alors que vous plaidez réalité, chose très simple  ; ils vous écrasent en alléguant que l'argent n'est pas la richesse, mais le signe de la richesse. On le sait bien  ! La richesse est terre, maison, blé, vian­de, coton, vêtements, routes, pays. Mais si vous ne possédez pas le signe qui achète cela, vos en­fants meurent, ne naissent pas, ne s'établissent pas en mariage, et c'est la vie chrétienne, morale, humaine de chacun et de la nation qui étouffe.

La Révolution Française a jailli de la famine : des accapareurs détenaient un grand prisonnier, "le seigneur blé". Récemment, on le brûlait, avec d'autres denrées nécessaires aux sous-alimentés, afin de garder les prix élevés.

Nous, catholiques ?

Le Pape sait cela, il le dit, il le condamne à fond. Et nous, comme catholiques, nous devons clamer cette parole fondamentale de l'encyclique, un peu tenue sous le boisseau. Il ne faut plus for­cer les pauvres à s'allier aux mécontents pour ré­clamer justice. On réclamera comme catholiques. Jamais on ne devra plus parler chez nous "d'al­liance du goupillon, du château, du sabre et du coffre-fort", — du prêtre bénissant l'usure vorace.

Et puisque même les plus dévouées initiatives, comme les syndicats catholiques, les coopératives et le corporatisme, peuvent aboutir à des échecs, à moins de réformer la monnaie qui se met en travers ; puisque l'instabilité de l'argent peut au­jourd'hui noyer un concurrent ou demain l'assé­cher ; puisque le détenteur de l'argent détient le pouvoir réel, et, sans mandat, gouverne les gou­vernants ; puisqu'il est impie que ce "petit nom­bre d'hommes", qui peut à plaisir dispenser ou non le sang et la respiration nécessaires, mijote, paraît-il, une super-banque internationale pour définitivement régenter les peuples que le Christ-Roi ne leur a absolument pas confiés, nous de­mandons que le pouvoir et la mission de paître les peuples, non de les tondre, reviennent aux gouvernements responsables, connus, élus, asser­mentés, remplaçables au besoin, pour que le chô­mage et le rationnement de l'argent ne reviennent jamais, pour que les pauvres ne blasphèment plus Dieu qui leur multiplie des surabondances, alors que ce sont de mauvaises combines qui leur sous­traient les moyens d'en jouir et d'en rendre grâces.

R. P. Alexandre DUGRÉ, S.J.

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