— "Moi, monsieur le Curé, j'aime autant vous le dire que de le penser, je suis bolchéviste."
L'ouvrier qui m'a dit cela n'avait pas une figure au regard dur, aux cheveux en broussailles, à la barbe hirsute. Loin de là, ses yeux exprimaient une douceur presque mélancolique, donnant à tout son visage imberbe et d'un bel oval, une mine de bon garçon qui ne ferait pas mal à une mouche.
Il était dans un groupe d'une quinzaine d'hommes qui venaient de raconter chacun ses misères : loyer pas payé, femmes et enfants mal vêtus, mal nourris, enfin tous les refrains du chômage.
Et lui n'avait presque rien dit.
Un peu surpris de cette soudaine déclaration qui contrastait avec toutes ses apparences, je lui dis, souriant :'
— "Pas sérieux !"
— "Comment pas sérieux !... Nous le sommes tous ici... Pas bolchévistes pour brûler les églises, tuer les prêtres et mettre le bon Dieu dehors... Non, Ça, c'est fou et ça mène à rien. Mais bolchévistes pour avoir notre part de logement, notre part d'habits, notre part de manger. Ça n'est pas toujours aux mêmes de tout avoir, de tout prendre, de tout garder.
"Allez-vous dire que c'est raisonnable de voir les "grosses poches" se donner à même le pauvre monde des salaires de $80,000 par année, même plus, et que nous autres, qui avons souvent plus d'enfants qu'eux autres, on ne puisse pas leur donner ce qu'il leur faut. Non ! Non !
"Vous, monsieur le Curé, vous dites en chaire : Demandez et vous recevrez... On demande et on ne reçoit rien.
"Il serait temps d'ajouter l'autre partie de la parole de Notre-Seigneur : Frappez et on vous ouvrira !
"Ça vient, on est à la veille de cogner sur tous ces riches, pour les ouvrir. Vous allez voir !"
Ayant prononcé ce petit discours tout d'un trait, il s'arrêta, pour souffler et juger de l'effet.
— "C'est correct !" crièrent les autres en chœur. "On en a assez d'aller nous morfondre à l'hôtel-de-ville pour une petite piastre !"
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Je raconte cette scène, afin qu'elle serve de leçon à ceux qui, confinés dans leur égoïsme ou dans des chambres closes, s'imaginent que les ouvriers sont tous des nigauds incapables de réfléchir sur ce qui se passe autour d'eux.
Je la raconte aussi pour le bénéfice des ouvriers qui pensent comme ceux-là. Il est temps qu'on cesse de prendre l'Église pour le paravent des riches et des trustards. Il est temps qu'on cesse de donner au communisme le mérite d'avoir inventé la réclamation des droits du pauvre.
"Bolchévistes pour avoir notre part de manger, de vêtement, de logement," disait cet ouvrier.
Certes, de telles réclamations n'ont rien d'excessif. Que l'ouvrier, sa femme et ses enfants aient droit à leur subsistance, l'Église, par la voix de ses souverains pontifes, n'a cessé en tout temps de le réclamer.
Elle veut que "la société civile prenne des dispositions économiques et sociales, de façon à ce que tout père de famille puisse gagner de quoi s'entretenir lui-même et entretenir aussi décemment sa femme et ses enfants." (Léon XIII, Rerum Novarum, 15 mai 1891.)
Et quarante ans plus tard, Pie XI, rappelant les mêmes enseignements, ne déclare-t-il pas expressément que "l'ordre économique et social sera sainement constitué et atteindra sa fin, alors seulement qu'il procurera à tous et à chacun de ses membres tous les biens que les ressources de la nature et de l'industrie, ainsi que l'organisation vraiment sociale de la vie économique, ont le moyen de leur procurer. Ces biens doivent être assez abondants pour satisfaire aux besoins d'une honnête subsistance." (Quadragesimo Anno, 15 mai 1931).
Et il y a très longtemps qu'un des plus grands docteurs de l'Église, saint Augustin, écrivait :
"Les surplus des riches, c'est le nécessaire des pauvres."
Les surplus qui se perdent ou attendent au Canada, c'est le nécessaire de ceux dont les besoins ne sont pas satisfaits, et l'État a le devoir pressant de trouver un moyen de faire les biens joindre ces besoins.
Donc, si le bolchévisme, ou le socialisme, réclame tout cela pour l'ouvrier et sa famille, c'est après l'Église catholique : ce qu'il a de bon, il le lui a emprunté.
Léon XIII, Pie X et Pie XI, en ces derniers temps, n'ont-ils pas vigoureusement dénoncé les abus du capitalisme et donné aux chefs d'État, aux chefs d'industrie, aux ouvriers eux-mêmes, tous les enseignements, toutes les directions dont la mise en pratique, aurait assuré un meilleur partage des biens de ce monde et prévenu les angoisses et les misères de la crise actuelle ? Mais personne, ou à peu près, n'a voulu les écouter.
Quelle attention donne-t-on à la dernière encyclique de Pie XI sur la restauration sociale ?...
— Répondre à cette question et à d'autres semblables, serait condamner trop de gens établis en puissance qui ne comprennent rien à leurs devoirs présents et cherchent constamment à s'abriter derrière l'autorité morale et spirituelle des hommes d'Église, pour imposer silence à ceux qui voudraient les démasquer et dénoncer leurs manœuvres.
Sachons-le bien, ce n'est pas la faute de l'Église catholique si le pauvre est aujourd'hui sous la main des jouisseurs qui ne veulent pas reconnaître que l'homme le plus pauvre a droit à la vie, au pain, au vêtement, à la famille. Elle ne cesse de le prêcher et de le redire sur tous les tons de toutes les façons.
Mon brave homme d'ouvrier se déclarait bolchéviste pour avoir sa part de manger, de vêtements et de logis. Bolchéviste pour la justice. C'est justement ce que l'Église réclame pour lui.
Elle ne l'a pas toujours obtenue. À qui la faute ?
Présentement, elle se heurte à une situation économique dure, implacable, cruelle. Ainsi l'a qualifiée Pie XI...
Éd.-V. LAVERGNE, ptre, curé
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Le Crédit Social va justement faire ce que l'Église demande dans le domaine temporel : assurer à tous et à chacun une part des biens de la terre, à toutes les familles une honnête subsistance. Et c'est pourquoi, avec le Crédit Social, le communisme ne dit plus rien à personne. Le Crédit Social tue le communisme en assainissant le régime économique. Une fois le Crédit Social devenu un fait dans notre province, c'est un bon commencement d'application des encycliques qu'on célébrera tous les jours de l'année.