À l'occasion du centenaire de sa naissance, le Parlement polonais a décidé de consacrer l'année 2001 au « primat du millénaire », le Cardinal Stefan Wyszynski qui, par sa confiance inébranlable en la Mère du Christ, a courageusement défendu les droits de l'Église et des fidèles durant la dictature communiste.
Le journal Vers Demain désire aussi rendre hommage à ce géant de la foi avec cet article. La plupart des renseignements sont tirés du numéro 33 de la revue catholique française « Dieu est amour ». Les sacrifices du Cardinal Wyszynski et sa loyauté au Christ ont directement contribué à la chute du communisme en Pologne et dans les autres pays d'Europe de l'Est, ainsi qu'à l'élection d'un Pape polonais le 16 octobre 1978 - le Cardinal Karol Wojtyla de Cracovie, son fils spirituel et compagnon de travail et de lutte pour l'Église du Christ en Pologne durant les années difficiles du régime communiste.
En ce 16 octobre 1978, le Cardinal Wyszynski avait encouragé le Cardinal Wojtyla à accepter sa nomination à la chaire de Pierre, lui disant que Dieu lui avait confié la mission de mener l'Église au troisième millénaire. Le Cardinal Wyszynski avait aussi écrit ce jour-là ces quelques mots : « Réjouis-toi, Mère de la Pologne, car tu as donné à l'Église son meilleur fils, forgé dans les batailles et dans les souffrances de notre nation ».
Notre-Seigneur avait dit en 1938 à Sainte Faustine Kowalska, de Pologne, la grande apôtre de la Miséricorde Divine, qu'une grande lumière viendrait de la Pologne pour éclairer le monde et le préparer pour Sa seconde venue. Cette grande lumière, c'est le Pape actuel. Si nous avons un grand Pape en la personne de Jean-Paul II, c'est parce que ce Pape a eu un grand modèle en la personne du Cardinal Wyszynski. Et au début de son pontificat, Jean-Paul II l'a reconnu publiquement, en écrivant cette lettre au Cardinal Wyszynski, le 23 octobre 1978 :
« À toi, vénérable et cher cardinal primat, permets que je te dise avec simplicité ce que je pense : Il n'y aurait pas sur la chaire de Pierre ce Pape polonais qui, aujourd'hui, commence un nouveau pontificat, rempli de la crainte de Dieu, mais aussi de confiance, s'il n'y avait pas eu ta foi qui n'a pas reculé devant la prison et la souffrance ; s'il n'y avait pas eu ton espérance héroïque, ta confiance sans limites en la Mère de l'Église ; s'il n'y avait pas eu Jasna Góra et toute cette période de l'histoire de l'Église de notre patrie, liée à ton ministère d'évêque et de primat. »
La Pologne était sortie meurtrie et presque décimée de la Deuxième Guerre Mondiale. L'Église avait vu disparaître ses meilleurs évêques et prêtres dans les camps d'extermination. Lorsque les armées allemandes quittèrent la Pologne en 1945, les souffrances de la nation étaient loin d'être finies. À la conférence de Yalta, il fut décidé que la Pologne ferait partie du bloc soviétique, sans lui demander son avis. Une longue traversée du désert s'annonçait pour la Pologne, sans espoir immédiat d'être libérée du joug soviétique.
Le primat de Pologne du temps, le Cardinal Auguste Hlond, savait qu'en ces temps difficiles, l'Église de Pologne avait besoin d'évêques sûrs et solides qui puissent garder la foi et l'espoir parmi les fidèles, et former la jeunesse. En 1946, il propose l'abbé Stefan Wyszynski comme évêque de Lublin. Deux ans plus tard, Mgr Wyszynski succédait au Cardinal Hlond comme archevêque de Varsovie et de Gniezno, le siège primatial de Pologne. Le nouveau primat reçut avec humilité et courage cet héritage lourd de responsabilités. À ces temps nouveaux, il fallait des forces nouvelles. Très vite il enrichit son emblème d'évêque, Soli Deo (Dieu seul), par son complément essentiel, Per Mariam (Tout à Dieu par Marie).
Le peuple reconnut très rapidement en ce primat d'une cinquantaine d'années le père du monde ouvrier et paysan, le chef de la nation, en un mot, la seule autorité morale du pays. Son entourage le plus proche lui parlait · ainsi : « Mon père » et il répondait : « Enfants bien-aimés de Dieu »,
Comme un nouveau Moïse, le Cardinal Wyszynski aidera son peuple à traverser le désert de l'athéisme communiste, aidé par la Reine de Pologne, la Vierge Noire de Czestochowa, qui marche devant son peuple comme la colonne de feu pour les Israélites au temps de Moïse. Le monde séculier essaiera de ridiculiser cette dévotion des Polonais envers la Vierge Marie, demandant : « Où est ton Dieu, toi qui es réduit au silence ? » Mais Marie a triomphé, le communisme s'est écroulé, et « le meilleur des fils de la Pologne » est devenu le Vicaire du Christ, le premier Pape non italien depuis plus de 450 ans.
Stefan Wyszynski est né le 3 août 1901 à Zuela, deuxième de cinq enfants de Stanislas Wyszynski, organiste, et Julienne Karp. Il reçut le nom du saint du jour, Stefan (Etienne). Sa mère mourut le 10 octobre 1910, alors qu'il était à peine âgé de 9 ans. (Karol Wojtyla avait le même âge lorsqu'il perdit sa mère.) Un an plus tard, son père se remaria avec Eugénie Podlewska, une bonne amie de sa première épouse.
En 1917, Stefan entra au séminaire de Wloclawek, et fut ordonné prêtre le 3 août 1924 par Mgr Owcarek. Après un an de ministère paroissial, ses supérieurs, devinant ses aptitudes l'envoyèrent à l'Université catholique de Lublin pour poursuivre ses études. Il y étudia le Droit canon et la doctrine sociale de l'Église. En 1929, il passa le doctorat avec la thèse : Le Droit à l'école de la famille, de l'Église et de l'État.
À la fin de ses études à Lublin, il voyagea en Italie, France, Belgique, Hollande et Allemagne pour en apprendre davantage sur l'enseignement social catholique. Après son retour en Pologne, il servit dans différents ministères : vicaire paroissial, rédacteur en chef de la revue mensuelle pour le clergé (Ateneum Kaplanskie), et professeur de sociologie et de Droit canon au grand séminaire de Wloclawek. II y organisa aussi « l'Université des travailleurs » pour enseigner la doctrine sociale de l'Église.
Dès le début de la guerre en 1939, la Gestapo le recherche nommément. Son évêque, Mgr Kozal, mort depuis à Dachau en odeur de sainteté, lui ordonne de quitter Wloclawek et de prendre le maquis. L'abbé Wyszynski organise des cours clandestins de catéchèse et de sciences sociales, et devient aumônier de l'armée clandestine pendant l'insurrection de Varsovie, échappe dix fois à la mort.
Une fois la guerre terminée, la situation de l'Église en Pologne était tragique : 2.500 prêtres exécutés ou morts dans des camps d'extermination, des rescapés à peine valides, d'innombrables paroisses sans desservants. À cause de ce manque de prêtres, l'abbé Wyszynski œuvra au grand séminaire de Wloclawek comme recteur, professeur, directeur spirituel, et économe.
Le 4 mars 1946, l'abbé Wyszynski fut nommé par le Pape Pie XII évêque de Lublin, et il fut consacré le 12 mai par le Primat Hlond au sanctuaire de Czestochowa. Sur ses armoiries d'évêque, Mgr Wyszynski plaça une image de la Vierge de Czestochowa, avec la devise : « Soli Deo » (Dieu seul).
En tant qu'évêque de Lublin, Mgr Wyszynski devenait aussi automatiquement chancelier de l'Université catholique de Lublin. Il y organisa un département de philosophie chrétienne, et prit une part active dans le nouvel institut sur les problèmes sociaux-économiques et ruraux. Ses sermons sur la doctrine sociale de l'Église étaient tout aussi courus qu'à Wloclawek.
Le 22 octobre 1948 mourait le cardinal Hlond, primat de Pologne. Le 12 novembre, Mgr Wyszynski prenait sa succession comme archevêque de Varsovie et Gniezno. La situation de l'Église en Pologne était très difficile, dû à la présence d'un régime communiste imposé par la force. Mgr Wyszynski offrit en vain de conclure un accord avec le gouvernement communiste pour respecter les droits de l'Église.
Au début de 1949, le Premier ministre communiste de Pologne, Jozef Cyrankiewicz, menaça de punir sévèrement quiconque parlait publiquement contre le communisme. Les autorités communistes faisaient circuler de faux rapports sur l'Église en Pologne. Ils prétendaient que non seulement le Vatican avait collaboré avec les Nazis durant la guerre, mais que certains évêques polonais avaient été des conspirateurs. Ces attaques étaient surtout dirigées contre Mgr Czeslaw Kaczmarek, évêque de Kielce, et Mgr Stanislas Adamski, évêque de Katowice.
Mgr Wyszynski s'opposa catégoriquement à ces fausses accusations, et écrivit deux lettres pastorales destinées aux fidèles, dans lesquelles il expliqua la véritable situation de l'Église en Pologne, ce qui déplut grandement aux autorités communistes. Le régime communiste aurait voulu éliminer les activités sociales de l'Église catholique en Pologne, mais ne le pouvait pas en raison de l'attitude courageuse de Mgr Wyszynski.
En 1951, Mgr Wyszynski visita pour la première fois le Vatican en tant qu'évêque. Ses demandes précédentes avaient été refusées par les communistes. Pour ce voyage, Mgr Wyszynski apporta avec lui un peu de sol polonais qui contenait du sang, le sang des martyrs de la guerre, et un rosaire qui avait été fabriqué avec du pain par des prisonniers de guerre.
Un an plus tard, les communistes commencèrent à fermer les petits séminaires et les noviciats religieux. Ils érigèrent aussi de nombreux obstacles pour obtenir la permission de construire de nouvelles églises. Lorsque Mgr Wyszynski devint cardinal le 29 novembre 1952, le régime communiste augmenta ses attaques hostiles contre l'Église. Le 9 février 1953, il émit un décret stipulant que l'État avait le dernier mot dans la nomination des évêques et des prêtres. Puis l'État exigea de chaque prêtre un serment de fidélité au gouvernement communiste. Bien entendu, le cardinal s'opposa fermement à ce nouveau geste de l'État.
La terreur stalinienne sévit et multiplia les victimes. En septembre 1953, la Cour militaire de justice de Varsovie condamna l'évêque Kaczmarek, de Kielce, à douze ans de prison, sous prétexte qu'il aurait collaboré avec les Nazis, et travaillé à renverser le gouvernement communiste. Plusieurs prêtres qui s'opposèrent au régime furent aussi mis en prison. La presse catholique fut supprimée.
Par ces actions, les autorités communistes espéraient influencer les autres évêques. Le Cardinal Wyszynski resta ferme dans son attitude, et le 25 septembre 1953, en la fête de saint Ladislas, patron de Varsovie, il prononça une homélie à l'église de Sainte-Anne, où il prit la défense de Mgr Kaczmarek, et déclara que l'Église en Pologne combattra toujours pour la vérité et la liberté.
C'en était trop pour les communistes. Le soir même, à 22 h 30, quelques heures après son sermon, des agents armés de l'U.B. (sécurité policière) firent irruption, tous feux éteints, devant la résidence du cardinal, pour l'amener à la prison de Rywald. Peu de temps après, les autorités communistes firent emprisonner cinq autres évêques, y compris le coadjuteur du primat, Mgr Baraniak, futur archevêque de Poznan. On le destinait comme témoin dans un procès contre le cardinal primat, mais ni la prison, ni les mauvais traitements, ni les tentatives de lavage de cerveau ne purent briser la volonté de fer de Mgr Baraniak, qui dut cependant payer trois ans de détention par sa santé à jamais compromise.
Pendant trois ans, le Cardinal Wyszynski fut transféré d'une prison à l'autre, toujours de nuit, dans le plus grand secret. Nuit et jour, vingt sentinelles faisaient le guet. Ce temps passé en prison fut une période de travail intensif pour le cardinal. Il y prépara un programme spécial pour renouveler la nation polonaise, sous l'égide de la Vierge Marie. Durant ses méditations en prison, il se rappelait les différents événements dans l'histoire de la nation qui l'avaient persuadé de choisir la voie de Marie comme programme pastoral pour l'avenir de la Pologne.
Le 8 décembre 1953, le Cardinal Wyszynski conclut un pacte définitif avec Notre-Dame, en se consacrant esclave de Jésus par Marie, selon la doctrine de saint Louis-Marie Grignion de Montfort. Le cardinal attribuait à cette consécration la grâce de « n'avoir jamais gardé une ombre de rancune à l'égard de qui que ce soit »,... À Komancza, le dernier lieu de son internement, le cardinal avait écrit d'un trait, le 16 mai 1956, le texte du « serment de Jasna Góra », qui devait être la pierre angulaire du renouveau spirituel et moral de la Pologne, en préparation de la célébration du millénaire de la conversion du pays au christianisme, en 966. Profitant d'une certaine relâche dans la surveillance, il avait réussi à envoyer à Czestochowa le texte de la consécration.
Le 26 août 1956, fête de Notre-Dame de Czestochowa, plus d'un million de pèlerins s'étaient massés autour des remparts du sanctuaire de Jasna Góra. Tous les évêques polonais entouraient une chaise vide sur laquelle le cardinal Wyszynski aurait dû siéger. Mgr Keplacz lut le texte du cardinal, que toute la foule répéta : « Nous promettons d'être fidèles à Dieu, à l'Église, et à l'Évangile ».
À la même heure, à Komancza, le cardinal célébra sa propre messe. Les assistants furent frappés par l'expression de son visage. « Il était transfiguré et rayonnant comme le soleil. » Plus tard, il confia à ses amis : « Pendant la messe, j'ai éprouvé une joie comme jamais encore. J'ai eu l'impression qu'on m'enlevait un poids immense des épaules. Ce fut comme une pierre qui roulait au fond de l'abîme et qui ne me pèse plus... »
Après les célébrations solennelles à Czestochowa et les émeutes ouvrières à Poznan en 1956, les autorités communistes décidèrent, le 26 octobre 1956, de libérer le cardinal, ainsi que tous les autres évêques et prêtres encore emprisonnés. Le gouvernement annula le décret de 1953 concernant la nomination des évêques, puis annonça le retour de l'enseignement religieux dans les écoles, le retour des moines et religieuses à leurs œuvres sociales, et l'annulation du reste de la sentence de Mgr Kaczmarek.
Le 3 mai 1957, le cardinal inaugura la grande neuvaine pour le millième anniversaire du christianisme en Pologne : neuf années de préparation pour le renouveau moral de la patrie, basé sur les vérités de la foi et les sacrements. L'icône miraculeuse de Notre-Dame de Czestochowa fut reçue dans chaque paroisse du pays. Ce programme aida à sauver la nation de la démoralisation et du laïcisme.
Les communistes n'apprécièrent pas du tout ce programme du cardinal Wyszynski, et recommencèrent à traiter l'Église avec hostilité, et organisèrent une formation spéciale pour détruire les membres de l'Église dans leur milieu de travail et dans les écoles, et pour créer des conditions de relâchement semblables à celles des pays de l'Ouest, pour créer des catholiques tièdes et matérialistes qui abandonnent la pratique religieuse.
En 1964, le cardinal primat avait invité le Pape Paul VI à participer aux célébrations du millénaire en Pologne, mais les autorités communistes refusèrent au Saint-Père l'autorisation d'entrer au pays. À la fin de 1965, l'épiscopat polonais invita les évêques de 56 pays pour les célébrations du millénaire, qui culminaient avec la grandiose cérémonie du 3 mai 1966 à Jasna Góra. À la demande du cardinal, avant la récitation du Notre Père, toute la foule cria : « Nous pardonnons, nous pardonnons ». Dans son homélie, le cardinal primat dit :
« Oui, il faut tout transformer en amour ! Je prie toujours pour ceux qui me calomnient et je pense que la prière de leur évêque leur servira à quelque chose. Peut-être oublierais-je de prier pour eux s'ils ne m'insultaient pas !...
« Jamais, nous, catholiques, ne renierons nos responsabilités à l'égard de la nation et à l'égard de l'Église dans cette nation ! La famille chrétienne nous a beaucoup donné mais nous lui avons déjà beaucoup rendu ! En ce moment historique, pleinement conscients, remplis de libertés d'esprit et empreints d'amour pour la patrie, nous remettons la Pologne entre les mains de Marie, nous la lui donnons en douce servitude, le peuple du deuxième millénaire se sentira en sécurité auprès d'elle. Pleine d'amour pour l'Église universelle et pour l'Église de Pologne, nous remettons notre nation à Marie pour l'Église, afin de servir l'Église universelle ! »
Pour le 600e anniversaire de la présence de l'icône miraculeuse de Notre-Dame à Jasna Góra, le Cardinal Wyszynski débuta en 1976 « six années de reconnaissance pour six siècles de présence de Marie ».
L'élection du Cardinal Karol Wojtyla comme Pape le 16 octobre 1978 fut un grand triomphe pour l'Église de Pologne. Durant sa première visite en Pologne en juin 1979, à la cathédrale de Varsovie, Jean-Paul II appela le Cardinal Wyszynski la « clé de voûte de l'Église de Pologne », le remerciant pour sa confiance en Marie, la Mère du Christ.
Le Cardinal Wyszynski est mort à Varsovie en la fête de l'Ascension, le 28 mai 1981, 15 jours après l'attentat contre le Saint-Père. En raison de sa grande foi et de son rôle remarquable dans l'Église et la nation polonaises, le Cardinal Wyszynski mérite réellement le titre de « Primat du millénaire ».