A l’occasion de la canonisation du Frère André, nous aimons publier presque dans sa totalité un article de Jean Durand de la Congrégation de Sainte-Croix, qui avait été publié dans la Revue «Marie» de Nicolet, P.Q., de mars-avril 1959, revue qui n’existe plus de nos jours.
À l’ouverture du Congrès National sur saint Joseph, le 31 juillet 1955, le Cardinal Paul-Émile Léger affirmait solennellement:
«Or maintenant que brillent au firmament — et avec quel éclat — les gloires de la Vierge Marie, l’heure est venue de tirer saint Joseph de l’ombre; d’ailleurs, sa gloire ne peut qu’ajouter un nouvel éclat à celle de sa très sainte épouse».
En effet, dans le plan de Dieu, Marie et Joseph sont inséparables non seulement par les liens naturels de leur mariage, mais parce que ce mariage lui-même les a introduits ensemble au cœur même du mystère de l’Incarnation et que c’est par leur volonté réciproque d’une communauté virginale que Dieu a enfin réalisé les Saintes Écritures sur la naissance du Sauveur. Puisse un jour la Liturgie magnifier de façon continue comme pour Pierre et Paul, l’union conjugale la plus intime, la plus virginale et la plus féconde qui fut sur la terre !…
La dévotion à saint Joseph, comme on vient de l’insinuer, s’enracine dans les mêmes mystères divins qui fondent le culte de la Vierge, quoique à des degrés différents. Saint Joseph a joué un rôle irremplaçable et de premier plan dans l’Incarnation du Verbe; de ce fait, comme Marie, il possède un droit inviolable sur le Corps Mystique du Christ:
«De la même façon que Marie, écrit le Cardinal Léger, parce qu’elle était la mère du Christ, est devenue la mère spirituelle de toute l’humanité dont le Christ est la tête, ainsi saint Joseph, en cette paternité virginale qui faisait de Jésus son fils, devenait le père spirituel de tous les hommes, membres du Corps Mystique du Seigneur».
Statue de l'Oratoire Saint-Joseph |
C’est une paternité spirituelle de Joseph que l’Église a officiellement reconnue en le déclarant Patron de l’Église universelle, en 1870, et que la piété populaire avait déjà pressentie depuis plusieurs siècles. Déjà, à partir du Xe siècle, il est probable que des fêtes se célébraient en l’honneur de notre saint, mais seulement dans certains diocèses ou dans quelques ordres religieux.
Au XVIe siècle, le pieux Isidore Isolani avait bien supplié le Siège Apostolique de reconnaître universellement le patronage de saint Joseph et rêvé d’étendre partout son culte; sainte Thérèse d’Avila et saint François de Sales avaient, chacun de leur côté, popularisé cette dévotion… Mais ce n’est vraiment qu’au XVIIe siècle que l’autorité pontificale institua une fête universelle à saint Joseph, comme Époux de Marie, et il a fallu attendre à la fin du siècle dernier pour la reconnaissance solennelle et infaillible de son patronage sur l’Église.
Depuis Pie IX cependant, tous les papes ont eu à cœur de promouvoir le culte du père virginal de Jésus et dans les heures graves de l’Église, ils n’ont pas manqué de confier à son céleste Patron les problèmes les plus difficiles qu’ils avaient à résoudre: laïcisme, modernisme, communisme, action catholique, mouvements ouvriers, etc. Ce qui faisait dire justement au Cardinal Léger:
«Nous avons la conviction que plus profonde sera la dévotion à saint Joseph, plus étendu son culte, plus célébrée sa gloire, plus grande sera la puissance de l’Église».
Une théologie superficielle pourrait peut-être s’étonner de ce long retard à mettre en lumière la gloire de saint Joseph et à la proposer au peuple chrétien comme le protecteur-né de l’Église. C’est pourtant là l’expression de la pédagogie divine la plus authentique, telle que mise en œuvre dans la Bible et dans l’histoire de l’Église. En effet, c’est avec une suprême lenteur que Dieu a révélé à l’homme son visage et son plan de salut; il s’est plié à ses balbutiements; il s’est coulé dans les formes de sa civilisation; il a suivi les pentes sinueuses de sa sagesse; suivant les besoins des époques et la maturité spirituelle de l’humanité, il a fait surgir des patriarches, des juges, des prophètes, des docteurs, des saints, etc., pour éclairer certaines vérités méconnues ou oubliées, raffermir les hommes dans la pratique des vertus nécessaires en ce temps, susciter un courant de dévotion propre à ramener le monde dans la voie du salut, bref pour l’approcher davantage de Lui.
Dieu ne manque pas non plus à nos modernes et s’il a attendu jusqu’à ces derniers siècles pour nous dévoiler la splendeur incomparable de saint Joseph et nous presser d’avoir recours à sa puissante intercession, c’est que le patriarche de Nazareth est bien la réponse du ciel aux besoins majeurs de notre époque.
En effet, dans un monde ébloui par les progrès fantastiques de la science et de la technique et qui risque, faute de sagesse, de sombrer dans le plus avilissant matérialisme, saint Joseph offre le visage serein de l’homme modeste, honnête, pauvre et détaché, du juste par excellence. Dans un monde de vitesse et de bruit, cadencé au rythme de plus en plus affolant de la machine, où l’homme est devenu incapable d’émerveillement poétique, d’extase métaphysique ou de silence contemplatif, saint Joseph émerge comme l’homme du silence et de la paix, comme le "grand attentif" aux réalités profondes et enivrantes de la vie intérieure. Dans un monde hypnotisé par la créature et voilé à la lumière divine, accroché désespérément à un salut temporel et menacé de sombrer dans l’angoisse et le suicide, saint Joseph se présente comme un grand voyant de Dieu, comme le reflet du Père éternel.
Sans avoir parcouru les voies d’un mysticisme angélique ou d’une ascèse chevaleresque, lui, ce modeste père de famille et cet humble ouvrier, peut devenir un modèle attirant et imitable de sainteté: il enseignera aux époux à concilier les intimités de la vie conjugale avec les exigences de la chasteté; il apprendra aux pères de famille à exiger l’obéissance de leurs enfants tout en respectant leur personnalité; il montrera aux ouvriers enfin la valeur spirituelle de leur travail et il les empêchera de s’y avilir dans une pure fonction économique.
C’est pour toutes ces raisons, et pour bien d’autres encore, d’une actualité cuisante dans notre monde contemporain, que les derniers papes n’ont cessé d’invoquer le patronage universel de saint Joseph et de recommander aux hommes de toute condition et de tout pays de se confier à la garde du saint Patron de l’Église. Aussi, pouvons-nous affirmer sans crainte que la dévotion à saint Joseph, sans être devenue pour le chrétien une nécessité "de moyen" pour son salut, constitue pour l’Église entière un aliment indispensable et nécessaire pour sa vitalité surnaturelle et pour son rayonnement apostolique.
A gauche: la première chapelle à saint Joseph érigée sur le Mont-Royal en 1904. A droite: en 1980, les Pèlerins de saint Michel érigeaient une chapelle en l'honneur de saint Joseph sur leur terrain à Rougemont. Elle a été construite sur le même modèle que celle du Mont-Royal bâtie en 1904. |
Telle semble être, d’ailleurs la volonté de Dieu, car depuis le siècle dernier surtout, il ne cesse d’inspirer des théologiens et des historiens à écrire sur les privilèges et la sainteté de saint Joseph, comme de susciter des apôtres pour répandre sa dévotion et fonder des lieux de pèlerinage en son honneur. Un des exemples les plus émouvants de ce courant providentiel est celui du frère André.
En effet, le 27 décembre 1870, quelques semaines à peine après la proclamation solennelle du Patronage de saint Joseph par Pie IX, Alfred Bessette devenait Frère André, au noviciat de la Congrégation Sainte-Croix au Canada. Cet humble religieux devait devenir le plus grand apôtre de saint Joseph au XXe siècle et lui ériger un sanctuaire qui, selon l’expression du Card. Tisserant, est devenu la «capitale mondiale de la dévotion à saint Joseph».
Quand la Providence destine quelqu’un à une mission spéciale et importante dans l’Église, elle prépare avec soin les avenues qui conduiront l’élu à l’exercice de ses hautes fonctions. Ce plan providentiel se découvre assez facilement dans la vie du frère André. En effet, le futur apôtre de saint Joseph voit le jour au Canada, en 1845, dans un pays qui, aux toutes premières heures de son histoire, dès 1624, se consacre solennellement à saint Joseph et le prend spontanément comme son patron principal. Cette dévotion devait fleurir intensément au sein des familles canadiennes-françaises; aussi rien de surprenant à ce que la sainte maman du petit Alfred lui ait appris jeune à prier saint Joseph. Un témoin au procès informatif, M. Adelard Fabre, nous dira:
«Je me rappelle qu’il (le frère André) m’a dit que, dès son jeune âge, il avait une dévotion à saint Joseph et qu’il n’avait jamais manqué de le prier, que cette dévotion lui avait été enseignée par sa mère».
C’est un autre dévot à saint Joseph, le bon curé Provençal de Saint-Césaire, qui habituera le jeune homme à causer si bien avec saint Joseph que, devenu religieux, il confiera un jour à un intime: «Quand le curé Provençal avait besoin de mes services, il venait me chercher à l’église, au pied de la statue de saint Joseph».
Le Frère André entra à 25 ans dans la Congrégation de Sainte-Croix |
Devenu orphelin à l’âge de 12 ans, l’adolescent souffreteux fut hébergé ici et là par des parents, puis vers l’âge de 20 ans, il émigra aux Etats-Unis pour s’engager comme ouvrier dans différents métiers: il connaîtrait donc comme son grand patron les souffrances de l’exil et il s’attacherait déjà à un pays où saint Joseph voulait un jour se faire connaître !
A son retour au Canada, trois ans plus tard, le curé Provençal remarqua sa vertu et lui causa une vive joie quand il lui apprit qu’il pouvait devenir religieux, malgré sa faiblesse de santé et son ignorance. Justement, la jeune Congrégation de Sainte-Croix venait de s’installer à Saint-Césaire sur la demande du curé et celui-ci y dirigea le jeune Alfred.
Là encore, son amour de Saint-Joseph devait s’accroître. En effet les frères de saint Joseph avaient reçu de leur premier père, l’abbé Jacques Dujarié, la dévotion à ce grand saint, leur patron et leur modèle.
Mais c’est surtout avec l’abbé Basile A. Moreau, qui prit la relève de l’Institut défaillant et qui l’unit à ses prêtres auxiliaires pour former, en 1837, la Congrégation de Sainte-Croix, que la dévotion à saint Joseph connut dans l’Institut un essor remarquable: lettres circulaires nombreuses où le fondateur revient sur ce sujet, prédications fréquentes, prières spéciales en son honneur, fêtes grandioses, recours incessant à saint Joseph dans les affaires importantes, fondation de deux associations pour laïques en vue de propager son culte, publication des Annales, etc. Le fondateur de Sainte-Croix, ne faisait-il pas ce rêve prophétique, le 6 février 1861:
«Que ne m’est-il donné d’établir à notre Solitude de Charbonnière un pèlerinage en l’honneur de ce digne époux de la Reine des Vierges».
Son pieux désir allait être réalisé en plénitude par un de ses plus modestes fils, le frère André, dans cette ville même de Montréal où Mgr Ignace Bourget, un autre homme de Dieu, avait exprimé le même souhait prophétique:
«Il est donc évident que le pays tout entier doit rendre au glorieux saint Joseph de grands honneurs, et que ce doit être là sa dévotion journalière… Il lui faut donc une église qui fasse en quelque sorte son service pour toutes les autres, et dans laquelle il pourra recevoir tous les jours, des honneurs publics dus à ses éminentes vertus… Nous devons vous déclarer ici que Nous voulons consacrer à le faire honorer, dans cette église, tout ce qui Nous reste de force et de vie, en faisant de cette église un lieu de pèlerinage, où l’on vienne le visiter…»
Le saint évêque, à son insu, avait déjà commencé à réaliser ce projet — celui de saint Joseph, en somme! — quand, en 1846, il était allé frapper chez le P. Moreau pour lui demander des Sainte-Croix à Montréal. Il devait y travailler encore de plus près quelque vingt-cinq ans plus tard. En effet, le frère André, à peine entré au noviciat, voit sa vocation en danger à cause de sa santé; surmontant sa timidité, il court se jeter aux pieds de l’évêque en visite à Saint-Laurent, pour le supplier d’intervenir. Mgr Bourget le rassure en disant: «Ne craignez pas, mon enfant, vous serez admis à la profession religieuse».
Le frère André, toujours guidé mystérieusement par saint Joseph, fit ainsi sa première profession religieuse en 1872. Il reçut aussitôt son obédience de portier au Collège Notre-Dame où, pendant trente-six ans, il devait lentement se préparer à sa grande mission. Avant de m’y arrêter, je voudrais résumer les grands traits de sa dévotion personnelle à saint Joseph.
Commencée sur les genoux de sa pieuse mère, comme on l’a vu, sa piété envers son grand ami n’a cessé de s’exprimer qu’avec son dernier soupir, dans une prière murmurée à saint Joseph. Cette piété ne consistait pas seulement en des élans de l’âme ou en des formules de prière, mais elle atteignait la nature intime de la véritable dévotion, qui est dévouement, imitation, consécration de tout son être à un autre; c’est bien ce que veut nous dire un de ses témoins les mieux renseignés sans être pourtant théologien: «Le frère André avait l’air d’avoir la dévotion à saint Joseph parce qu’il avait pratiqué lui-même la vie cachée et qu’il s’en faisait un modèle.»
Plutôt simple, comme il convenait à un religieux de son rang, la piété du frère André reposait néanmoins sur de solides assises doctrinales. Il honore le Patron de l’Église universelle et répand partout sa dévotion parce qu’il comprend cette vérité: comme Jésus fut confié aux soins de saint Joseph, ainsi l’Église, «le Christ répandu» est sous la garde de ce protecteur» Son biographe va jusqu’à dire avec raison: «Ce qui individualise la piété du frère André, c’est le lien intime entre la dévotion de saint Joseph et celle de la passion; tel est le nœud de sa spiritualité».
En conséquence, un autre trait caractéristique de la dévotion du frère André à saint Joseph est qu’elle est hiérarchisée. «Il est formellement opposé à la spiritualité marécageuse des ‘dévotionnettes’, qui s’arrête aux saints, sans remonter en pratique à l’unique terme du culte liturgique chrétien, la Trinité, en passant par l’humanité du Christ». Aussi, peut-on trouver sans peine parmi ses témoins au procès informatif, des affirmations comme celle-ci:
«Sa principale dévotion était à la Passion de Notre-Seigneur. Il enseignait qu’il ne fallait jamais séparer la dévotion à la Sainte Vierge de celle de saint Joseph… Il était aussi un dévot de la Très Sainte Vierge… Il avait aussi une grande dévotion à Notre-Dame des Sept-Douleurs… Toutes les autres dévotions qu’il avait m’ont toujours semblé basées sur la dévotion à la Passion de Notre-Seigneur.»
Un autre témoin rapporte encore:
«Il parlait souvent de la passion de Notre-Seigneur, il avait une grande dévotion à saint Joseph, à la Sainte Vierge, il faisait souvent le chemin de la Croix, il avait une grande dévotion eucharistique… Sa dévotion toute spéciale était à la Sainte Eucharistie.»
Le saint équilibre de la dévotion chez le frère André est souligné avec force par son témoin le plus autorisé, le R.P. A.-F. Cousineau, alors supérieur général, qui résume bien toute sa pensée par cette remarque: «La formule bien connue Ad Jesum per Mariam (À Jésus par Marie) le Frère André semble la compléter par la suivante: Ad Jesum per Mariam et Joseph (À Jésus par Marie et Joseph)».
Une si riche dévotion et un si grand amour envers saint Joseph ne devaient pas, dans la pensée de Dieu, rester cachés aux yeux des hommes. Cet humble frère, déjà courbé par l’âge et la maladie, dénué de toutes les ressources matérielles et, ce qui plus est, sans instruction et sans protection, allait être conduit par la main de Dieu et de saint Joseph dans l’une des plus fantastiques aventures spirituelles des temps modernes. Rien d’étonnant à cela pour les yeux de la foi, car c’est par des voies toujours aussi paradoxales que Dieu fait davantage éclater sa puissance.
Le frère André aimait saint Joseph; c’est bien la seule puissance qu’il possédait, comme il le déclare lui-même un jour à l’archevêque de Montréal, Mgr Bruchési, qui s’enquérait s’il y avait du surnaturel (visions, révélations, etc.) dans ses projets: "Il n’y a rien de tout cela. Je n’ai que ma grande dévotion à saint Joseph; c’est elle qui me guide et qui me donne entière confiance". Dieu allait jouer toutes les cartes.
À la sortie du noviciat, le jeune religieux est nommé portier au Collège Notre-Dame; ainsi sans le vouloir, il est mis en contact avec tout le personnel de la maison, avec les parents des élèves et les visiteurs de passage. Discrètement, il parle à tous des bontés de "son" saint préféré. Sa bonté, sa douceur, son humilité lui gagnent le cœur des pauvres, des malades et des affligés. Il leur recommande de se confier à saint Joseph dans leurs peines. Il prie avec eux.
Un jour, Dieu l’investit de la puissance de guérir les malades; c’est alors une affluence ininterrompue d’infirmes, si bien que le pauvre frère, critiqué par les autorités, est obligé de les rencontrer sur un terrain en face du collège qu’on avait réussi à acheter en 1896, grâce à l’intercession de saint Joseph. Là, le frère André avait placé une statuette du saint et il venait y prier avec des élèves et ses malades.
Des épreuves de toutes sortes n’ébranlèrent pas sa foi et sa confiance, comme d’ailleurs durant toute sa vie. En 1904, il obtint la permission d’y ériger un minuscule oratoire et d’y continuer son apostolat, au cours de ses temps libres. Les pèlerins ne cessent d’affluer en ce lieu béni; aussi, un premier agrandissement s’avère-t-il nécessaire en 1908 et, au printemps de l’année suivante, le frère André se voit nommé exclusivement à son œuvre.
À partir de ce moment, c’est un développement si prodigieux qui se produit que l’archevêque s’inquiète et institue une enquête; rassuré par les conclusions, il laisse se poursuivre l’œuvre de Dieu. À la fin de 1917, la crypte est ouverte au culte; sept ans plus tard, la première pierre de l’église supérieure est bénite; durant la crise du travail, les travaux furent interrompus, mais pour reprendre avec un essor accru après la mort du frère André, qui, avant de partir, avait assuré que saint Joseph verrait à aplanir toutes les difficultés.
Tout alla bon train et, lors des fêtes grandioses du cinquantenaire en 1955, le pape Pie XII daigna élever l’Oratoire au rang de Basilique mineure et, quelques mois plus tard, en juillet, il chargea le Card. Paul-Émile Léger, archevêque de Montréal, d’une légation spéciale pour ceindre d’une couronne d’or la célèbre statue de saint Joseph, jadis bénite par saint Pie X.
L'Oratoire Saint-Joseph aujourd'hui |
Quelle distance entre le minuscule oratoire de 1904 et l’imposante basilique d’aujourd’hui qui, comme un phare géant, s’élance vers le ciel pour clamer bien haut la puissance divine, donner rendez-vous à la prière de tout un peuple et accrocher solidement l’espérance d’un monde angoissé. Je m’en voudrais ici de ne pas citer quelques extraits de l’éloquente homélie du Cardinal Légat, le jour même du couronnement:
«(Ce sanctuaire) n’est pas construit de main humaine. Il n’est pas l’hommage de la créature à son Créateur. Au contraire, il est tombé du ciel sur cette montagne, semé pierre à pierre par la Puissance de Dieu, don du Créateur à la créature, port de salut où le Seigneur nous reçoit… Quand on pense qu’une telle œuvre a été réalisée en un demi-siècle par un homme dépourvu de ressources humaines normalement requises à de tels développements, on comprend que c’est Dieu qui a tout fait en ce lieu. Au-dessus de cette montagne, on dirait qu’il a ouvert le ciel pour planter comme son signe à lui, cet Oratoire gigantesque dont on ne peut comprendre comment il se tient là. Ce miracle de pierre, il est le signe de la puissance et de la bonté de Dieu».
Si le frère André a été choisi comme la vraie pierre d’angle de ce colossal «prie-Dieu sur la montagne», c’était surtout, dans le plan de Dieu, pour mettre enfin dans une lumière éblouissante l’ouvrier caché de Nazareth et pour le faire rayonner partout de ce haut-lieu comme un modèle de l’homme contemporain. La grande œuvre du frère André, à notre avis, plus encore que d’avoir fait sortir de terre cet apothéose de granit, a été d’avoir incarné dans sa vie un message du ciel et de l’avoir chevillé au cœur de millions de pèlerins qui sont entrés en contact avec lui et qui déferlent encore, chaque année, au sanctuaire du Mont-Royal.
En effet, «avant que le frère André commence son œuvre, la dévotion à saint Joseph n’était pas aussi répandue. C’est à lui que l’on doit l’expansion de cette dévotion à Montréal et partout» (J. Pichette dans Summarium). Le premier ministre de la province de Québec, l’hon. M. Duplessis, qui, petit garçon, a connu intimement le frère André au Collège Notre-Dame, dira au banquet de clôture des fêtes: «Par une inspiration évidemment providentielle, il a éveillé, développé, activé la dévotion à un grand oublié: saint Joseph».
Le thaumaturge du Mont-Royal attribuait à saint Joseph toutes les guérisons |
Toute sa vie, en plus d’avoir été un portrait vivant de saint Joseph, le frère André n’a cessé de recommander sa dévotion à tous ceux qui l’approchaient; comme portier au Collège Notre-Dame, à son bureau de l’Oratoire où il fut assidu au moins six heures par jour de 1904 à 1936, dans ses nombreuses visites aux malades, surtout le soir, il n’avait qu’un but: faire aimer et faire prier saint Joseph, pour mieux conduire les âmes à la Sainte Vierge et au Christ. Ses moyens ordinaires étaient la prière, des médailles de saint Joseph et de l’huile d’olive qui avait brûlé devant la statue du saint Patriarche. Voici comment son compagnon intime des quinze dernières années de sa vie, raconte sa méthode habituelle:
«Il faisait prier en disant qu’il ne suffisait pas de lui demander à lui, le frère André, de prier saint Joseph, il fallait qu’on priât avec lui. Le frère André utilisait des médailles de saint Joseph, qu’il distribuait abondamment, mais ne manquait pas de dire que la prière était ce qu’il y avait de plus important. Le frère André se servait aussi d’huile qui avait brûlé devant la statue de saint Joseph, recommandait de se frictionner avec cette huile».
Ces procédés bien ordinaires opéraient des merveilles, grâce à saint Joseph, et augmentaient sans cesse le nombre de visiteurs. Toutefois, — Dieu a ses secrets, — ce qui explique l’extraordinaire mouvement de pèlerins vers cet homme de Dieu fut le charisme de guérison qu’il exerça jusqu’à la fin de sa vie. Sa renommée fut si grande qu’il a été appelé partout «le thaumaturge du Mont-Royal».
Déjà en 1912, l’archevêque de Montréal s’écriait devant la foule: «Puis-je dire que des miracles s’opèrent ici ? Si je le niais, ces instruments (ex-voto), témoins de toutes les douleurs, parleraient à ma place». Les témoins de son apostolat n’en finissent pas de raconter des faits merveilleux qui rappellent vraiment les scènes évangéliques; sa biographie est comme un florilège de récits savoureux et touchants. Azarias Claude, son fidèle portier au bureau pendant quinze ans, témoigne: «Presque tous les jours, des guérisons extraordinaires s’obtenaient au bureau ou à la chapelle de l’Oratoire».
Malgré toute la renommée qui entourait le «thaumaturge», il restait toujours très humble et il n’attribuait toutes ces faveurs qu’à Dieu par l’intercession de saint Joseph, dont il n’était qu’"un vil instrument", le "petit chien", comme il aimait à s’appeler. La plupart des témoins rapportent à peu près dans les mêmes termes du Père Cousineau:
«A ceux qui venaient lui demander: Frère André, guérissez-moi», il répondait impitoyablement: «Ce n’est pas moi qui guérit, c’est saint Joseph».
Le frère André n’a vécu que pour la gloire de Dieu et pour celle de saint Joseph: ce qui rendait sa figure si attachante et ce qui explique le triomphe inouï que fut la mort du fervent religieux — on estime à près d’un million les visiteurs qui voulurent le voir une dernière fois !
Aujourd’hui encore, son souvenir reste vivace parmi les fidèles qui, privément, lors d’une visite à l’Oratoire, ne manquent pas de venir prier à son tombeau, et son message continue d’être entendu puisque le rayonnement de l’Oratoire Saint-Joseph va sans cesse grandissant en Amérique et au-delà des mers, comme le constatait un sociologue sérieux dans un article retentissant.
Comment ne pas terminer ce long article par ces paroles élogieuses et autorisées du Cardinal Légat, dans son homélie de clôture aux fêtes du couronnement, en 1955:
«La figure du frère André est toujours présente en ces lieux bénis; sa foi y rayonne plus vivement que jamais; sa puissance d’intercession s’y impose de plus en plus. Vienne bientôt le jour, — et c’est notre souhait le plus vif — où selon le prudent jugement de Rome, nous pourrons l’invoquer comme un saint. (Ce souhait s’est réalisé le 17 octobre 2010)
«Nous avons la certitude que c’est lui, qui, en ce jour, du haut des cieux, adressera à Dieu nos actions de grâce; que c’est lui aussi qui remettra à saint Joseph l’hommage de l’Église qui symbolise ce couronnement de la statue. Si le frère André était vivant, le Représentant du Pape serait heureux de s’approcher de lui, bien humblement, pour lui donner le baiser de la paix et recevoir l’assurance de ses prières».
À Jésus par Marie ! À Marie par Joseph ! À Joseph par le frère André !
Jean Durand, c.s.c.
Dans un livre sur la vie du saint Frère André, apôtre de saint Joseph et grand thaumaturge, nous lisons des passages qui s’appliquent très bien à notre société actuelle: «Son expérience des âmes lui a fait sentir profondément cette grande lézarde (crevasse) dans le mur de la civilisation chrétienne: l’esclavage de la femme envers les modes païennes. ‘Si ça va mal, ça dépend de la femme, dit-il, crûment.’ Les ruines accumulées dans les âmes, il a pu les toucher dans les confidences qu’il a reçues. Il a vu des familles désorganisées. Après cette génération oublieuse de la modestie chrétienne, de l’esprit de sacrifice, si chers à nos ancêtres, il entrevoit une génération, où non seulement le masque, mais l’âme elle-même serait païenne.» N’a-t-il pas vu juste? |