L'église et la question de la dette

Alain Pilote le dimanche, 01 mars 1998. Dans Catéchèses et enseignements

Dans l'esprit du Jubilé de l'an 2000 Toutes les dettes doivent être effacées

Les gouvernements doivent créer leur propre argent sans dette au lieu de l'emprunter à intérêt des banques privées

 

Sans donner des solutions techniques aux problèmes économiques actuels — elle laisse cela aux fidèles laïcs — l'Église catholique a tout de même émis des principes de justice sur lesquels tout système économique devrait être basé, car l'Église ne peut se désintéresser de tout ce qui va contre la dignité de l'homme et empêche son salut éternel.

Les banquiers contrôlent l'argent

L'argent devrait être un instrument de service, mais les banquiers, en s'en réservant le contrôle de la création, en ont fait un instrument de domination. C'est le Pape Pie XI qui disait en 1931, dans sa lettre encyclique Quadragesimo Anno :

"Ce pouvoir est surtout considérable chez ceux qui, détenteurs et maîtres absolus de l'argent et du crédit, gouvernent le crédit et le dispensent selon leur bon plaisir. Par là, ils distribuent le sang à l'organisme économique dont ils tiennent la vie entre leurs mains, si bien que, sans leur consentement, nul ne peut plus respirer."

Puisque l'argent est un instrument essentiellement social, la doctrine du Crédit Social propose que l'argent soit émis par la société, et non par des banquiers privés pour leur profit. C'est encore Pie XI qui disait, dans la même encyclique citée précédemment :

« Il y a certaines catégories de biens pour lesquelles on peut soutenir avec raison qu'ils doivent être réservés à la collectivité lorsqu'ils en viennent à conférer une puissance économique telle qu'elle ne peut, sans danger pour le bien public, être laissée entre les mains de personnes privées.»

Réforme du système financier

Le Pape Jean-Paul II a maintes fois dénoncé la dictature de l'argent rare, et demandé une réforme des systèmes financiers et économiques, l'établissement d'un système économique au service de l'homme :

"Je tiens encore à aborder une question délicate et douloureuse. Je veux parler du tourment des responsables de plusieurs pays, qui ne savent plus comment faire face à l'angoissant problème de l'endettement... Une réforme structurelle du système financier mondial est sans nul doute une des initiatives les plus urgentes et nécessaires. (Message à la 6e session de la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement, Genève, 26 septembre 1985.)

"Il est nécessaire de dénoncer l'existence de mécanismes économiques, financiers et sociaux qui, bien que menés par la volonté des hommes, fonctionnent souvent d'une manière quasi automatique, rendant plus rigides les situations de richesse des uns et de pauvreté des autres." (Encyclique  Sollicitudo Rei Socialis,  n.16.)

Dettes impayables

Aucun pays ne peut payer sa dette dans le système actuel, puisque tout argent est créé sous forme de dette. Ce point a été expliqué plusieurs fois dans des numéros précédents de Vers Demain, mais il n'est pas inutile de le répéter, car il est de la plus grande importance de bien le comprendre : tout l'argent qui existe vient en circulation seulement lorsqu'il est prêté par les banques, à intérêt. Les banques créent de l'argent nouveau, de l'argent qui n'existait pas auparavant, chaque fois qu'elles accordent un prêt. Et pareillement, chaque fois qu'un prêt est remboursé, cette somme d'argent cesse d'exister, est retirée de la circulation.

Le défaut fondamental dans cette manière de créer l'argent est que les banques demandent aux emprunteurs de ramener à la banque plus d'argent que ce que la banque a créé. (Les banques créent le capital qu'elles prêtent, mais pas l'intérêt qu'elles exigent en retour.) Puisqu'il est impossible de rembourser de l'argent qui n'existe pas, la seule solution est d'emprunter de nouveau pour pouvoir payer cet intérêt, et ainsi accumuler des dettes impayables. Au Canada par exemple, la dette du gouvernement fédéral est seulement la pointe de l'iceberg, car il y a aussi les dettes des provinces, municipalités, compagnies et individus, pour en arriver à une dette totale quinze fois plus grosse que tout l'argent qui existe dans le pays !

Les institutions comme le Fonds Monétaire International (FMI) et la Banque Mondiale prétendent venir en aide aux pays en difficultés financières avec leurs prêts, mais à cause des intérêts que ces pays doivent payer, ces prêts les appauvrissent encore davantage. Par exemple, le 20 janvier dernier, le Dr. George Carey, Archevêque de Cantorbery et chef de l'Église anglicane, déclarait en Éthiopie que pour chaque dollar donné en aide aux pays du Tiers-Monde, trois dollars étaient demandés en intérêt. Ce n'est plus de l'aide, mais de l'usure, de l'escroquerie la plus éhontée !

Les méfaits de l'intérêt

En 1995, lors d'une conférence tenue à Rome, il a été déterminé qu'en dix ans, de 1980 à 1990, les pays de l'Amérique latine avaient payé $418 milliards d'intérêt sur un emprunt original de $80 milliards. Le capital a été remboursé cinq fois en intérêt, mais ils le doivent encore ! C'est ce qui amenait 75 évêques de l'Amérique latine à dénoncer, en mai 1995, le fait que leurs pays "obéissent aveuglément aux institutions financières internationales qui n'ont produit qu'une extrême pauvreté et des politiques de restructuration économique qui asphyxient nos peuples."

Le Canada ne fait pas exception aux terribles effets de l'intérêt sur la croissance de la dette. Dans son rapport de novembre 1993, le vérificateur général du Canada disait que plus de 90% de la dette du pays était le résultat d'intérêts composés : sur une dette nette de $423 milliards accumulée par le gouvernement canadien de 1867 à 1992, seulement $37 milliards avaient été dépensés pour des biens et services, alors que le reste ( $386 milliards, ou 91% de la dette) consistait en frais d'intérêt, ce qu'il en avait coûté au gouvernement pour emprunter ce $37 milliards. (C'est comme si le gouvernement avait emprunté ce $37 milliards à un taux de 1043%) En novembre 1995, une étude du Mouvement Desjardins arrivait à la même conclusion : sur la dette fédérale de $543 milliards en date du 31 mars 1995, $487 milliards (ou 90%) étaient le résultat d'intérêts composés.

Le capital original emprunté représente moins de 10% de la dette. En d'autres mots, la dette du Canada a déjà été payée dix fois, mais à cause de l'absurdité du système financier actuel, nous devons continuer à payer des intérêts sur cette dette. Ne pensez-vous pas que payer dix fois une dette est plus que suffisant ? La vraie justice, c'est de rembourser le capital qu'une seule fois, et non pas cinq ou dix fois à cause des intérêts !

La chose la plus absurde dans tout cela est que le gouvernement s'obstine à emprunter à intérêt des banques privées l'argent qu'il pourrait créer lui-même, sans intérêt, obligeant ainsi les Canadiens à payer des intérêts sur une dette de $583 milliards, alors qu'il ne devrait pas y avoir du tout de dette ! Le premier devoir de tout gouvernement souverain est de créer, d'émettre sa propre monnaie pour les besoins de sa population. L'abandon de cette fonction à des compagnies privées (banques à charte) est la plus grande trahison de l'histoire.

Effacer les dettes

Nous voyons maintenant combien ont raison ceux qui demandent une réforme du système financier, et l'effacement de toutes les dettes. Le 27 décembre 1986, la Commission Pontificale Justice et Paix émettait un document intitulé Une approche éthique de l'endettement international, qui disait, entre autres :

« Les pays débiteurs, en effets se trouvent placés dans une sorte de cercle vicieux : ils sont condamnés, pour pouvoir rembourser leurs dettes, à transférer à l'extérieur, dans une mesure toujours plus grande, des ressources qui devraient être disponibles pour leur consommation et leurs investissements internes, donc pour leur développement.

«Le service de la dette ne peut être acquitté au prix d'une asphyxie de l'économie d'un pays et aucun gouvernement ne peut moralement exiger d'un peuple des privations incompatibles avec la dignité des personnes... S'inspirant de l'Évangile, d'autres comportements seraient à envisager, comme consentir des délais, remettre partiellement ou même totalement les dettes... En certains cas, les pays créanciers pourront convertir les prêts en dons. »

Jean-Paul II écrivait aussi dans son encyclique Centesimus Annus (1er mai 1991, n. 35) :

«Il n'est pas licite de demander et d'exiger un paiement quand cela reviendrait à imposer en fait des choix politiques de nature à pousser à la faim et au désespoir des populations entières. On ne saurait prétendre au paiement des dettes contractées si c'est au prix de sacrifices insupportables. Dans ce cas, il est nécessaire, comme du reste cela est en train d'être partiellement fait, de trouver des modalités d'allégement de report ou même d'extinction de la dette, compatibles avec le droit fondamental des peuples à leur subsistance et à leur progrès. »

Et plus récemment, en novembre 1994, dans sa lettre apostolique Tertio Millennio Adveniente, pour la célébration du jubilé de l'an 2000, le Saint-Père proposait, dans l'esprit des jubilés de l'Ancien Testament, l'effacement total de la dette internationale :

"Ainsi, dans l'esprit du Livre du Lévitique (25, 8-28), les chrétiens devront se faire la voix de tous les pauvres du monde, proposant que le jubilé soit un moment favorable pour penser, entre autres, à une réduction importante, sinon à un effacement total, de la dette internationale qui pèse sur le destin de nombreuses nations."

Des marionnettes

Du 16 novembre au 12 décembre dernier se tenait à Rome l'Assemblée spéciale du Synode des évêques pour l'Amérique, où plusieurs évêques, surtout ceux provenant de l'Amérique latine, n'ont pas manqué de mentionner combien le problème de la dette pesait sur leurs nations et entraînait la misère de leurs peuples.

Une des interventions les plus frappantes durant ce synode fut celle de Mgr Henri Goudreault, o.m.i., archevêque de Grouard-McLennan (Alberta), au Canada, qui disait ce qui suit, le 24 novembre dernier, au sujet de la globalisation de l'économie (NDLR. Mgr Goudreault est décédé subitement le 23 juillet suivant, à 70 ans; n'est-ce pas bien étrange ???):

« La course au profit fait en sorte que la personne est mise au service de l'économie, alors que celle-ci devrait être au service de la personne... Les géants de la finance mettent les gouvernements en état de concurrence pour obtenir des garanties et des avantages toujours plus généreux.

« Je parlerai de quelques gestes à poser pour une meilleure gestion de l'économie. Parmi ceux-ci : éduquer les personnes par l'enseignement de la doctrine sociale de l'Église ; cesser, pour les gouvernements, d'être des marionnettes dans les mains des géants de la finance ; considérer, dans l'esprit du Jubilé, la question de la remise partielle ou totale des dettes extérieures des pays pauvres. »

Les gouvernements sont effectivement des marionnettes dans les mains des géants de la finance lorsqu'ils empruntent à intérêt des banques ce qu'ils peuvent créer eux-même, sans intérêt. Les politiciens n'agissent plus selon le bien commun, mais pour le bien d'une poignée de financiers.

Le vice de la corruption

Nous pouvons alors franchement parler de corruption de la vie publique. Déjà en 1931, le Pape Pie XI n'hésitait pas à dire que l'État était tombé au rang d'esclave, et devenu le docile instrument des intérêts financiers (Encyclique Quadragesimo Anno).

Dans son dernier message pour la Journée mondiale de la paix du 1er janvier 1998, ayant pour thème « De la justice de chacun naît la paix pour tous », le Pape Jean-Paul II dénonce courageusement le vice de la corruption » :

"On ne peut passer sous silence le vice de la corruption, qui mine le développement social et politique de nombreux peuples. C'est un phénomène en croissance, qui s'insinue dans beaucoup de secteurs de la société, bafouant la loi et ignorant les normes de la justice et de la vérité. Il est difficile de lutter contre la corruption, car elle revêt de multiples formes : étouffée dans un secteur, elle renaît bien des fois dans un autre. Il faut du courage même pour la dénoncer. Et pour l'éliminer, en plus de la volonté tenace des autorités, il faut le soutien généreux de tous les citoyens, animés par une forte conscience morale."

Dans ce même message, le Saint-Père faisant aussi mention d'une forme d'injustice particulièrement grave : l'absence de moyens pour accéder équitablement au crédit :

« Il y a d'autres formes d'injustice qui menacent la paix... à commencer par l'absence de moyens pour accéder équitablement au crédit. Les pauvres sont bien souvent contraints de rester en dehors des circuits économiques normaux ou de se livrer à des trafiquants d'argent sans scrupule, qui exigent des intérêts exorbitants, le résultat étant l'aggravation d'une situation déjà précaire en elle-même. Aussi est-ce un devoir pour tous de s'employer à ce qu'il leur soit possible d'accéder au crédit dans des conditions équitables et avec des intérêts préférentiels. À la vérité, il existe déjà, en différentes parties du monde, des institutions financières qui pratiquent le micro-crédit avec des taux de faveur pour ceux qui en ont besoin. Ce sont là des initiatives à encourager, car c'est par cette voie que l'on peut arriver à éradiquer la plaie honteuse de l'usure, en faisant en sorte que tous puissent accéder aux moyens économiques nécessaires pour le développement convenable des familles et des communautés. »

Sous un système de Crédit Social, des prêts sans intérêt seraient disponibles pour tous, en plus du dividende remis à chaque citoyen sans aucune condition, qui n'a pas à être remboursé. (Ce système est expliqué plus en détail dans la brochure de Louis Even, Une finance saine et efficace.)

Est-ce réaliste d'effacer la dette ?

Les défenseurs du système bancaire actuel diront qu'il est irréaliste de vouloir effacer la dette, qu'on ne peut changer les règles du jeu, car cela pénaliserait les épargnants qui détiennent des obligations. Mais quand on comprend que l'argent prêté par les banques est créé à partir de rien, d'un simple trait de plume, alors il est facile de comprendre que les dettes peuvent être effacées, sans que personne ne soit pénalisé.

Voici une solution réaliste, qui pourrait être appliquée demain matin par n'importe quel pays : Dans un système juste, le gouvernement cesserait d'accumuler des dettes, en créant lui-même son propre argent au lieu de l'emprunter à intérêt. Et pour ce qui est de la dette existante, les seules obligations à reconnaître seraient celles des épargnants, de ceux qui n'ont pas le pouvoir de créer l'argent, et non pas les obligations acquises par l'argent créé par le banquier, qui ne sont que des dettes fictives, créées d'un trait de plume. La dette diminuerait au cours des années, au fur et à mesure que ces obligations viennent à échéance.

Le gouvernement ne rembourserait que les obligations de ceux qui ont réellement dû débourser de l'argent pour acheter ces obligations, et non pas les obligations achetées avec de l'argent créé d'un trait de plume par les banquiers. Les banques ne perdraient absolument rien, car l'argent qu'elles avaient créé pour acheter ces obligations n'existait pas avant.

En ce qui concerne la dette de $583 milliards du gouvernement canadien, il est juste de dire qu'on ne la doit pas, puisque c'est une dette fictive qui représente injustement comme une dette (passif) tous les développements (actif) de notre pays. De plus, comme il a été mentionné plus haut, le capital a déjà été remboursé plus de dix fois !

Pour citer la prière du « Notre Père » (Matthieu 6, 9-13), que nos dettes nous soient remises, et que le pain quotidien soit distribué à tous, avant l'an 2000, par l'application d'un système d'argent honnête et sans dette, tel que préconisé par la philosophie du Crédit Social, diffusée par le journal Vers Demain.

Alain Pilote

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