Le 19 octobre 2008, dimanche des missions, Louis Martin et Zélie Guérin, les parents de Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus, étaient déclarés bienheureux à la basilique de Lisieux, en France, par le Cardinal José Saraiva Martins, préfet émérite de la Congrégation pour les Causes des Saints. C’était seulement la seconde fois dans l’histoire qu’un couple marié était béatifié, le premier couple étant Luigi et Maria Quattrocchi d’Italie, en 2001. Voici des extraits de la biographie des époux Martin, lue durant la cérémonie de béatification par le Père Antonio Sangalli, carme déchaux et vice-postulateur:
Louis Martin est né à Bordeaux le 22 août 1823. Au terme de ses études à Alençon, il ne s’oriente pas vers la carrière militaire comme son père, mais il choisit le métier d’horloger. Au seuil de l’automne 1845, Louis prend la décision de se donner tout entier à Dieu. Il se rend dans les Alpes suisses pour entrer dans la Congrégation hospitalière du Grand Saint-Bernard, où le prieur l’invite à retourner chez lui pour compléter ses études de latin. Il tente de l’apprendre, mais finalement il y renonce. Après avoir terminé à Rennes et à Strasbourg ses études d’horlogerie, en 1850 il revient à Alençon, menant une vie très réglée, qui fait dire à ses amis: «Lui, c’est un saint.»
Zélie Guérin est née à Gandelain, près de Saint-Denis-sur-Sarthon, le 23 décembre 1831. Lorsque son père prend sa retraite, la famille s’établit à Alençon en 1844. Zélie suit ses études auprès des Soeurs de l’Adoration perpétuelle. Zélie pense à la vie religieuse, mais la Supérieure des Filles de la Charité, à qui elle demande son admission, lui répond que telle n’est pas la volonté divine. Devant une affirmation si catégorique, la jeune fille s’incline, mais non sans tristesse. Elle entre alors dans une école dentellière pour se perfectionner dans la confection du point d’Alençon.
Une rencontre providentielle unit ces deux jeunes assoiffés d’absolu. Un jour, tandis que Zélie passe sur le pont Saint-Léonard, elle croise un jeune homme dont la noble physionomie l’impressionne. Au même moment, une voix intérieure lui murmure en secret: «C’est lui que j’ai préparé pour toi.» L’identité du passant lui est bientôt révélée. Elle apprend alors à connaître Louis Martin.
Les deux jeunes gens ne tardent pas à s’apprécier et à s’aimer. Leur accord moral s’établit si promptement que les fiançailles religieuses scellent sans retard leur engagement mutuel. Ils n’envisagent pas leur mariage comme un arrangement normal entre deux familles de la petite bourgeoisie alençonnaise, mais en totale ouverture à la volonté de Dieu.
Dès le début, les deux fiancés mettent leur amour sous la protection de Dieu qui, dans leur union, doit être toujours le premier servi. Leur mariage est célébré à minuit le 13 juillet 1858 en la paroisse de Notre-Dame d’Alençon.
Louis et son épouse, au début de leur mariage, décident de garder la continence parfaite. Peu de temps après, ils accueillent dans leur foyer un petit garçon de cinq ans dont le père, devenu veuf, est écrasé par la charge de onze enfants à élever. Mais la Sagesse divine, qui conduit tout avec force et douceur, a d’autres vues pour ces époux, et au bout de dix mois, sur les conseils d’un prêtre ami, ils changent d’avis. Ils désirent alors avoir de nombreux enfants pour les offrir au Seigneur.
L’union de Louis et de Zélie est bénie par la naissance de neuf enfants. Le travail des deux époux leur donne une certaine aisance, mais leur vie de famille n’est pas sans épreuves. En ce temps de forte mortalité infantile, ils perdent quatre enfants en bas âge. Mais ni le deuil ni les épreuves n’affaiblissent leur confiance en la bonté du dessein de Dieu, et ils s’abandonnent avec amour à Sa volonté. (Les enfants qui survivront, cinq filles, deviendront toutes religieuses, quatre d’entre elles carmélites dans le même monastère.)
Vers la fin de 1876, Zélie remarque qu’une ancienne grosseur au sein se réveille. Pris trop tard, le cancer est inopérable. À minuit trente, le mardi 28 août 1877, elle meurt à Alençon. Louis, âgé de 54 ans, reste avec cinq enfants: Marie, Pauline, Léonie, Céline et Thérèse, qui a quatre ans et demi.
Louis accepte tout avec esprit de foi exemplaire, et la conviction que sa sainte épouse est au Ciel. Il consulte ses filles aînées, et décide de déménager à Lisieux, pour rapprocher ses filles de la famille de son beau-frère Isidore Guérin. La vie aux Buissonnets, la nouvelle maison de Lisieux, est plus austère et retirée qu’à Alençon.
Mais l’oeuvre la plus admirable de ce père, éducateur exemplaire, est l’offrande à Dieu de toutes ses filles, et puis de lui-même. Sa sainteté personnelle se révèle surtout dans sa soumission indéfectible à la volonté de Dieu. Comme Abraham, il n’oppose aucun obstacle à ces vocations, et considère l’offrande de ses enfants au Seigneur comme une grâce toute spéciale accordée à sa famille.
Après l’entrée de Thérèse au Carmel de Lisieux, au cours d’une visite au parloir du monastère, Louis raconte: «Mes enfants, je reviens d’Alençon, où j’ai reçu, dans l’église Notre-Dame, de si grandes grâces, de telles consolations, que j’ai fait cette prière: ‘Mon Dieu, c’en est trop! Oui, je suis trop heureux. Il n’est pas possible d’aller au Ciel comme cela. Je veux souffrir quelque chose pour Vous’, et je me suis offert...» Louis n’ose pas prononcer la parole «victime», mais ses filles le comprennent bien, surtout Thérèse qui, quelques années plus tard, s’offrira victime à l’Amour miséricordieux de Dieu (9 juin 1895).
Les dernières années de la vie du patriarche sont marquées par plusieurs problèmes de santé. Il connaît l’humiliation de la maladie: une artériosclérose cérébrale avec une longue hospitalisation à l’hôpital Bon Sauveur de Caen (en 1889), où il suscite l’admiration et le respect de tous ceux qui l’entourent. Quand il peut s’exprimer, il répète: «Tout pour la plus grande gloire de Dieu.» Ou encore: «J’avais toujours été habitué à commander, et je me vois réduit à obéir. C’est dur, mais je sais pourquoi le bon Dieu m’a donné cette épreuve: je n’avais pas eu d’humiliation dans ma vie, il m’en fallait une.» Rentré à Lisieux en mai 1892, désormais paralysé et ne pouvant presque plus parler, «Au revoir, au Ciel!», peut-il juste dire à ses filles lors de sa dernière visite au Carmel. Il s’éteint doucement le dimanche, 29 juillet 1894.
La renommée de sainteté de Louis et de Zélie est effective déjà de leur vivant, et immédiatement après leur mort. Mais cela ne dépasse pas le cercle de la famille et des intimes qui les ont bien connus. La parution d’Histoire d’une âme, l’autobiographie de Thérèse, contribue à diffuser la sainteté de ses parents incomparables partout dans le monde. Dès 1925, un procès de béatification est demandé par des évêques, des prêtres, et des simples fidèles du monde entier. (Ce procès débutera en 1957.)
Le 26 mars 1994, le Serviteur de Dieu, Jean-Paul II reconnaît l’héroïcité des vertus des deux époux Martin. Le 17 janvier 2008, la commission médicale de la Congrégation pour les Causes des Saints déclare inexplicable pour la science la guérison du jeune Pietro Schilirò, de Monza, en Italie. Né le 25 mai 2002, Pietro était atteint, peu après sa naissance, d’un grave syndrome d’aspiration de meconium, entraînant des complications pulmonaires importantes. La guérison imprévue survenue le 29 juin 2002, après une neuvaine de prières, est attribuée à l’intercession des vénérables Serviteurs de Dieu Louis et Zélie Martin. Le 3 juillet 2008, Sa Sainteté le Pape Benoît XVI approuve le miracle de la guérison de Pietro, et fixe au 19 octobre la date de la béatification des époux Martin, et le 12 juillet date de leur fête au calendrier liturgique.
Dans son homélie, le Cardinal Saraiva Martins, préfet émérite de la Congrégation pour les Causes des Saints, déclara que pour les temps actuels où la famille est en crise, le couple Martin constitue un véritable modèle, entre autres pour ceux qui font face à la maladie et la mort. Voici des extraits de cette homélie:
Thérèse écrivait à l’abbé Bellière: «Le bon Dieu m’a donné un père et une mère plus dignes du Ciel que de la terre.» C’est une grande première que cette béatification de Louis Martin et Zélie Guérin, que Thérèse définissait comme parents sans égaux, dignes du Ciel, terre sainte, comme toute imprégnée d’un parfum virginal.
Mon cœur rend grâce à Dieu pour ce témoignage exemplaire d’amour conjugal, susceptible de stimuler les foyers chrétiens dans la pratique intégrale des vertus chrétiennes, comme il a stimulé le désir de sainteté chez Thérèse. Pendant que je lisais la Lettre Apostolique du Saint Père, je pensais à mon père et à ma mère et je voudrais, en ce moment, que vous aussi pensiez à votre père et à votre mère et qu’ensemble nous remercions Dieu de nous avoir créés et fait chrétiens à travers l’amour conjugal de nos parents. Recevoir la vie est une chose merveilleuse mais, pour nous, il est plus admirable encore que nos parents nous aient amenés à l’Église qui seule est capable de faire des chrétiens. Personne ne peut se faire chrétien soi-même.
Parmi les vocations auxquelles les hommes sont appelés par la Providence, le mariage est l’une des plus nobles et des plus élevées. Louis et Zélie ont compris qu’ils pouvaient se sanctifier non pas malgré le mariage mais à travers, dans et par le mariage, et que leurs épousailles devaient être considérées comme le point de départ d’une montée à deux.
Aujourd’hui, l’Église n’admire pas seulement la sainteté de ces fils de la terre de Normandie, elle reconnaît dans ce couple la sainteté éminente de l’institution de l’amour conjugal, telle que l’a conçue le Créateur Lui-même. L’amour conjugal de Louis et Zélie est un pur reflet de l’amour du Christ pour son Eglise; il est aussi un pur reflet de l’amour dont l’Eglise aime son Epoux : le Christ. Le Père nous a choisis avant la fondation du monde, pour que nous soyons saints et irréprochables sous Son regard, dans l’amour (Ep 1,4).