"On fête l'anniversaire de l'apparition des encycliques, j'ai hâte au jour où l'on fêtera leur application". Abbé Ed. V. Lavergne, curé.
Aujourd'hui, 15 mai 1941, le monde catholique est en joie. Il y a 50 ans aujourd'hui, le Saint Père Léon XIII donnait au monde RERUM NOVARUM, ce rayon de la Justice et de la Charité divine qui venait éclairer et réconforter "l'infinie multitude des travailleurs isolés et sans défense, livrés à la merci de maîtres inhumains et à la cupidité d'une concurrence effrénée", selon l'expression même de l'encyclique.
Et Sa Sainteté écrivait :
"Nous sommes persuadés, et tout le monde en convient, qu'il faut, par des mesures promptes et efficaces, venir en aide aux hommes des classes inférieures, attendu qu'ils sont pour la plupart dans une situation d'infortune et de misère imméritée".
Par des mesures promptes et efficaces, a dit le Pape en 1891. Cinquante ans après, regardons les ouvriers dans le monde entier, regardons-les autour de nous dans la province de Québec catholique. Comment vivent-ils, les ouvriers ? dans quelle situation matérielle est l'infinie multitude des prolétaires ? Le peuple a-t-il cessé d'être asservi "au monopole du travail et des effets de commerce devenu le partage d'un petit nombre de riches et d'opulents, qui leur imposent ainsi un joug presque servile ?"
Le chômeur qui crève de faim est encore assassiné par les "monopoles des effets de commerce", qui maintiennent l'argent rare en face de produits surabondants.
L'ouvrier qui sue sept jours par semaine, voit encore sa vie raccourcie par les "monopoles du travail" qui commandent les bras et les cerveaux suivant le temps et le rythme qui servent le mieux leur cupidité.
Et cela se passe dans un pays catholique comme la province de Québec, un pays où les enseignements du Pape sont des ordres. Et cela se passe en 1941, cinquante ans après l'encyclique RERUM NOVARUM. Et l'on fête le jubilé de l'encyclique. "Quand donc fêtera-t-on son application ?" Faudra-t-il attendre encore cinquante ans ?
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En 1931, le Saint Père Pie XI dans le fameux chef-d'œuvre QUADRAGESIMO ANNO, tout en appréciant les tentatives d'amélioration du sort des ouvriers, remarque qu'avec "l'industrialisation progressive du monde, le régime capitaliste a, lui aussi, considérablement étendu son emprise". Une énorme puissance, "un pouvoir économique discrétionnaire s'est accumulé entre les mains de ceux qui, détenteurs et maîtres absolus de l'argent, gouvernent le crédit et le dispensent selon leur bon plaisir... Si bien que sans leur consentement nul ne peut plus respirer".
Il y a dix ans que QUADRAGESIMO ANNO est lu et commenté dans les églises et enseigné dans les écoles sociales. Et le pouvoir des financiers en est-il de beaucoup diminué ?
L'Église nous a donné des directives. Elle nous les explique par ses ministres. Voilà la part du corps enseignant. Elle est bien faite.
Mais la part des laïques, est-elle complétée ? Est-elle même un tant soit peu commencée ? Le domaine profane, voilà leur affaire. L'application dans le social, l'économique et la politique des principes des encycliques, c'est leur ouvrage à eux qui descendent dans le matériel. Où en sont-ils dans leur travail pour débarrasser le peuple de la dictature de l'argent ?
Qu'on nous montre, ici même encore, dans la province de Québec catholique, qu'on nous montre les institutions sociales, économiques ou politiques qui ne subissent pas l'esclavage de la piastre. Où sont-ils les hommes politiques qui travaillent pour le bien commun et non pour remplir leur gousset ? Où sont-ils les financiers qui sont au service de la société et non de leurs seuls intérêts ? Les journalistes, les entrepreneurs de programmes de radio et de cinéma, qui songent à semer la lumière et la charité au lieu d'empoisonner les esprits et les cœurs, où sont-ils ? Les directeurs d'écoles et d'universités qui n'ont pas les mains liées par le salaire ou les honneurs, où sont-ils ?
Et pourtant, nous en verrons de toutes ces catégories, célébrer avec émotion le dixième anniversaire de la naissance de QUADRAGESIMO ANNO.
Vous avez raison, messieurs, de proclamer la beauté des grands principes inclus dans cette encyclique. Mais, à quand donc la réalisation de ces principes ? Qu'est-ce donc que vous attendez ? Que les menteurs, les hypocrites et les voleurs se convertissent ? Il serait peut-être plus simple que vous-mêmes appreniez à être plus logiques et moins lâches !
Mais, hâtez-vous donc, messieurs, et dans dix ans, nous pourrons célébrer l'application des encycliques en même temps que l'anniversaire de votre naissance spirituelle.