Aujourd'hui, fête de la St-Jean-Baptiste. Grande procession avec tambours et trompettes. Chars allégoriques évoquant les hauts faits de notre histoire nationale. Retentissants discours aux envolées émouvantes. Longues filées de dignitaires au collier éblouissant. Plus longues filées de travailleurs aux jambes amollies par le labeur. Drapeaux, bannières, écriteaux flamboyants. On fête, on fête ensemble, on se félicite, on crie. On aime bien ses compatriotes ce jour-là. On aime bien son pays, le Canada, la province de Québec, la Nouvelle-France. C'est comme ça le jour de la St-Jean, Baptiste !
Le jour des élections, c'est un peu changé. Ce jour-là, on est patriote aussi, mais pas de la même façon. On est patriote en se battant. À coups de poings et d'injures, on fête la démocratie. "Les bleus sont des voleurs ! — Pas pires que les rouges ! — Les conservateurs ont vendu le pays aux Anglais ! — King le donne aux Juifs ! — Tu dis ça parce que tu as perdu ton emploi, toi, sous notre gouvernement ! — Toi, tu dis ça parce que tu veux en avoir un !" etc., etc.
La scène recommence à chaque campagne électorale. Les Canadiens ont le droit de voter, voyez-vous, cela veut dire le droit de choisir entre deux hommes qu'on leur impose, lequel aura le privilège de taxer le peuple. Car les Canadiens ont été créés et mis au monde pour payer des taxes. Il ne peut pas être question d'unir les Canadiens pour qu'ils réclament ensemble une diminution de taxes. C'est entendu, les taxes doivent augmenter toujours. Pas de discussion là-dessus. Ce sur quoi on discute, c'est sur le choix des hommes. Ils se ressemblent tous, ceux qui se présentent devant le peuple, ils ont tous le même programme habillé autrement, mais ils n'ont pas le même... patronage. Et pour un Canadien, le patronage, c'est le seul moyen de bien vivre. Il faut bien se battre pour cela.
Mais, tous les autres jours de l'existence, on s'entend bien entre Canadiens. On va au travail ensemble. On sue, on peine ensemble. On dîne ensemble. Cette petite boîte à lunch, elle est témoin de bien des fraternités. On est mangé par le trustard tous les deux. On est volé par le trustard tous les deux. On va mourir pour le trustard tous les deux. On sympathise ensemble, chez les Canadiens, lorsqu'on a du malheur. Et on a du malheur tous les jours qui ne sont pas des jours de fête.
Gilberte CÔTÉ