Un orateur

Gilberte Côté-Mercier le mercredi, 15 mai 1940. Dans Réflexions

— Qu’est-ce qu’un orateur ?

— Un homme dont on dit qu’il parle bien en public, sans doute.

— Qu’est-ce que bien parler en public ?

— Ah ! tu m’embarrasses, là.

— Donne-moi donc des exemples d’orateurs.

— Ernest, le regretté Fernand...

— Tu les as entendus tous les deux ?

— Oui, tous les deux.

— Trouves-tu une grande différence entre eux ?

— Non. c’est à peu près la même chose.

— Et pourquoi es-tu prêt à dire que ce sont des orateurs ?

— Je le dis parce que tout le monde le dit. Et puis, tu ne peux pas dire qu’ils ne parlent pas bien ?

— Encore une fois, ça dépend de ce que tu veux dire par "bien parler".

— Je veux dire "parler facilement, avec des accents spéciaux et des gestes de grand homme".

— Même si tes orateurs disent des grandes phrases creuses, pourvu que les mots claironnent, ça te va ?

— Ça me va, non. Il faut que ce qu’ils disent soit de belles choses.

— Il faut qu’ils te parlent de civilisation, de dévouement, du grand et beau Canada ?

— Justement. De ce qui fait vibrer les cordes sensibles, et de ce qui fait venir les larmes aux yeux.

— Et s’ils font vibrer les cordes sensibles rien que pour t’hypnotiser et te passer les pires mensonges, tu trouves encore que ce sont de grands orateurs ?

— Mais, oui, puisqu’un orateur, c’est quelqu’un qui émeut.

— Eh ! bien, cher ami, je ne partage pas tes vues. Pour moi, un orateur, ce n’est pas un homme dont la voix ébranle mon système nerveux, fût-ce en passant par les cordes des nobles sentiments. Un orateur, c’est un homme qui s’adresse à ma raison, exprimant si clairement la vérité qu’il me la fasse voir comme dans un miroir. L’éloquence, c’est, pour moi, l’art d’exprimer avec lumière la vérité. Tu vois que je suis loin d’admettre qu’Ernest soit un orateur, ni le regretté Fernand.

Gilberte Côté-Mercier

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