Un colon écœuré

le lundi, 15 juin 1942. Dans Réflexions

"Voici six ans que je suis sur un lot en Abitibi, et on menace de me l'enlever, parce que je ne puis trouver d'argent pour payer mes taxes. J'ai beau travailler, l'argent ne pousse ni sous ma hache ni sous ma charrue.

"Il me fallut travailler toute une année pour payer le transport de ma famille ici. On ne nous avait jamais parlé de ces frais auparavant, lors­qu'on faisait campagne pour nous enrôler comme colons. Au bout d'un an d'ouvrage, tous les comp­tes nous arrivèrent : $10.00 pour ceci, $15.00 pour cela ; jusqu'à $7.00 pour nous avoir conduits de la maison à la gare — ce qui pouvait tout au plus valoir $1.00. Nous réservait-on cette surprise pour nous décourager, ou pour le simple plaisir, de nous exacerber, nous sans défense et sans recours, loin de nos parents et de nos amis ?

"Dans sa campagne électorale, Monsieur God­bout nous a promis que tous les colons seraient payés pour le travail qu'ils feraient sur leur pro­pre lot. De l'ouvrage, en effet, il n'en manque pas pour mettre un lot en état de rendre. Mais pour les primes, il faut travailler un an avant de les toucher. Et pendant ce temps-là, il faut tout de même vivre. Je vous assure que faire de l'abattis, manier hache et scie dix à douze heures par jour, avec presque rien à manger que du pain et de la graisse, puis n'être payé qu'un an après, ce n'est pas très encourageant.

"Le gouvernement Duplessis, lui, nous avait promis une vache à chaque colon. Or, jamais on n'en a vu arriver une seule tant qu'on n'a pas soi-même, de peine et de misère, réussi à épargner cent pour cent de la somme qu'il faut pour s'en acheter une.

"On est monté ici sur le plan Vautrin. Mais nous, les colons, l'avons toujours appelé le plan vaut-rien. Vautrin avait, en effet, fait voter 10 millions pour la colonisation. Mais quand la part du petit colon arrive, il ne reste plus rien. Tout est allé aux chefs de l'organisation. On nous avait promis des marchés, on n'en a pas encore après six ans. Pas de beurrerie. On ne peut rien vendre par ici, les colons ont tous les mêmes choses, que voulez-vous qu'ils échangent entre eux ? Sans compter que, dans le nord, c'est juste pour avoir des pommes de terre avant que viennent les gelées d'automne. Quant aux choses qu'il nous faut né­cessairement acheter, elles coûtent bien plus cher ici qu'à Québec.

"On ne gagne à peu près rien. Les terres qu'on nous a données avaient été dépouillées de leur bois par les exploiteurs de la forêt. À peine s'il reste du bois de chauffage. Et il faut vivre avec cela. Cet hiver, et l'hiver précédent, je suis allé aux chan­tiers pour faire quelques piastres pour les besoins de ma famille. À peine les ai-je en mains, que la corporation scolaire m'envoie une facture de taxes. Payez, ou l'on saisit votre lot, et vous aurez travaillé six ans pour rien. Vous vous êtes fait mou­rir pour le défricher, on va quand même le vendre au conseil du comté pour les taxes : l'argent passe avant l'homme, avant toute la famille.

"J'ai une femme avec 8 enfants, tous en bas âge, que je laisse tout seuls tout l'hiver pour aller gagner de quoi les habiller, et on me prend cela pour les taxes. La santé de ma femme est ruinée de cette vie-là : à part de sa famille, elle a quatre bêtes à cornes à entretenir pendant que je suis au bois. C'est trop dur pour la nourriture peu sou­tenante dont elle doit se contenter.

"Je puis bien en vouloir aux taxes. Ce que les taxes m'ont pris aurait fourni des habits, des bas et des chaussures à ma femme et à mes enfants.

"L'argent est encore plus rare ici que les pre­mières années. Dans les premières années, on trouvait à gagner, de ci de là, à peu près 7 à 10 piastres par mois. Mais aujourd'hui, rien. Plus rien que les primes de défrichement, à $15.00 l'a­cre. Plusieurs d'entre nous ne font plus que deux repas par jour, et toujours au pain et à la graisse. Cela ne donne pas beaucoup de forces pour le dé­frichement. L'été dernier, j'ai fait cinq acres. Cal­culez jusqu'où l'on peut aller avec le montant que cela m'a valu : $75.00 pour une famille de dix. Et il faut faire l'année avec cela : moins de deux piastres par semaine pour dix corps à nourrir et à vêtir.

"Si l'on se permet de se plaindre aux autorités, on se fait dire de travailler plus dur et de ménager davantage au lieu de critiquer. Si l'on insiste, on est invité à quitter les lieux : le gouvernement ne vous tient pas ici ! Non, mais c'est encourageant de se faire montrer la porte après qu'on a plu­sieurs acres de terre finis !

"J'aime beaucoup VERS DEMAIN, parce qu'il prend la part du pauvre, la part du bafoué, de celui qui est traité avec injustice, comme le colon surtout. Et j'ai confiance dans le Crédit Social : Les partis politiques ont donné l'un après l'autre la mesure de leur veulerie ; les hommes qu'ils ont pétris n'ont ni cœur ni échine. Nous avons tous hâte à un grand nettoyage."

—Un résident de Mont-Brun.

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