Si le sucre est rationné ce doit être parce que le gouvernement calcule que le sucre viendrait à manquer au pays, au régime de la consommation ordinaire.
Les temps sont évidemment changés, puisque, aussi tard que 1940, en pleine guerre, les monopoleurs du sucre trouvaient la production mondiale trop considérable et craignaient une baisse des prix. Cette année-là, pour obéir à des ordres sortis des bureaux administratifs de Washington, on laissa pourrir sur place, à Porto-Rico, assez de canne pour empêcher l'extraction de 300,000 tonnes de sucre brut. On privait aussi le marché d'une autre quantité égale en réduisant les ensemencements de betteraves à sucre au Colorado et en Californie. L'État affectait de grosses sommes d'argent en octrois à des planteurs qui consentaient à diminuer leurs plantations.
La guerre finie, se propose-t-on de revenir à ces méthodes pour faire ce que les sous-marins ne feront plus ?
Reprendra-t-on, par des lois qui font reluire la bêtise de leurs auteurs, la destruction du café, du lait, des vignes, du blé, des cochons ?
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À propos de cochons supprimés, le Financial Chronicle, des États-Unis, dans son édition du 18 août 1934, publiait une lettre humoristique adressée à la rédaction. Nous la trouvons reproduite dans le livre de John Hargrave sur Montagu Norman, et nous la traduisons pour égayer le lecteur, en même temps que pour l'édifier sur un New Deal qui voulait tout conduire, excepté les banquiers :
"Monsieur,
"Le voisin d'un de mes amis a touché cette année un chèque de $1,000.00 pour n'avoir pas élevé de cochons. Cela décide mon ami à se lancer, lui aussi, dans ce genre d'affaires si payant, d'autant plus qu'il ne jouit pas précisément d'une grande prospérité à l'heure actuelle. Il me dit que, de fait, l'idée de ne pas élever de porcs lui sourit tout à fait. Il aura naturellement besoin d'un employé, et j'ai accepté ce rôle. C'est pourquoi je viens solliciter de vous quelques conseils.
"Je voudrais avoir votre opinion sur l'espèce de ferme la mieux appropriée pour ne pas élever de porcs. Pourriez-vous me signaler la meilleure race de porcs à ne pas élever et m'expliquer comment tenir l'inventaire des porcs qu'on n'élève pas ? Pensez-vous, aussi, qu'il serait possible de lever du capital pour établir une compagnie d'assurance sur le non-élevage des porcs ?
"Le voisin qui a reçu les $1,000.00 les a eus pour n'avoir pas élevé 500 cochons. Or, nous calculons qu'il nous est facile de ne pas élever 1,500 ou même 2,000 cochons. Vous voyez quels profits nous pouvons réaliser, tant qu'ils sont proportionnels au nombre de porcs qu'on n'élève pas.
"Le bénéficiaire des $1,000.00 pratiquait l'élevage porcin depuis quarante ans et n'avait jamais fait plus de $500 dans les meilleures années. N'est-ce pas lamentable de penser qu'il a gaspillé sa vie à élever des cochons lorsqu'il pouvait faire tant d'argent à n'en point élever ?
"Je vous remercierai de tout conseil que vous pouvez avoir à offrir.
"Votre tout dévoué,
" (Signé) Harold Trurman".
Il ne faudrait pas croire que les règlements absurdes de restriction fussent limités au Canada ou à l'Amérique. En Amérique, on payait pour faire produire moins ; en Angleterre, on mettait à l'amende ceux qui produisaient trop. Jusqu'à la déclaration de guerre de septembre 1939, par exemple, les producteurs de pommes de terre payaient amende si leurs pommes de terre dépassaient une grosseur fixée ! Les pêcheurs de harengs devaient rejeter leur poisson à la mer si leur pêche était trop fructueuse.
Que pensent les Anglais de tout cela aujourd'hui ?
Y aura-t-il donc toujours des fous ou des criminels, manieurs d'armes ou faiseurs de lois, pour mettre le monde à la ration en plein siècle de progrès et d'abondance ? Et quel est leur mobile diabolique ?