Je poursuis, dans le présent article, la démonstration en quelque sorte descriptive et spéculative à la fois, de l'énoncé déjà développé dans mon dernier article : le système monétaire actuel est la manifestation principale du corps mystique de l'Antéchrist, sur le plan social.
Toute la lutte entre le Christ et Satan, entre les soldats des deux camps, tourne autour de la personne humaine. C'est qu'elle est la plus haute réalité, réalité surélevée encore en raison de la vocation surnaturelle à laquelle il a plu à Dieu d'appeler les hommes. Aussi n'y a-t-il pas de plus sûr et de plus rapide moyen de juger d'une doctrine, selon la place qu'elle fait à la personne humaine. C'est là le critère infaillible qui nous indique si cette doctrine est d'en-haut ou d'en-bas, de la lumière ou des ténèbres.
"Les hommes admirent la hauteur des montagnes, l'agitation des flots de la mer, la vaste étendue de l'océan, le cours des fleuves, et le mouvement des astres ; et ils ne pensent point à eux-mêmes, et n'admirent pas ce qui est admirable."
Ce passage de saint Augustin, dans ses Confessions, s'adresse à ceux qui sont demeurés aptes à l'admiration sincère et intégrale des beautés réelles de la création, ce dont un grand nombre d'entre les hommes ne sont plus capables. Aujourd'hui ? Les automates et les scientistes de nos sociétés s'extasient d'abord devant les géniales folies d'un monde sans âme, devant le construit de leurs thèses livresques, au mépris du donné naturel.
Toujours la domination de l'artificiel et du signe. L'homme s'est désincarné pour se carnifier, il oscille entre les deux pôles de l'idéalisme et du matérialisme. Nous rêvons un cauchemar.
Prenez une doctrine sociale, économique, monétaire ; étudiez-la, creusez-la jusqu'à sa métaphysique, car les doctrines — comme les hommes — ne peuvent échapper à la métaphysique ; déterminez la place qu'elle fait à la personne humaine, et vous aurez sa valeur.
C'est là un critère universel. C'est dans le sens de la personnalité humaine que s'orientent les lignes forces. Pour ou contre !
Les doctrines qui relèvent de la vérité, sont personnalistes et tendent à l'unité organique, dans la liberté, toujours relative ici-bas, d'exultation et d'autonomie. Les doctrines qui relèvent de l'erreur, sont apersonnalistes ou antipersonnalistes, ça revient au même, et tendent à l'unité de fer d'un collectivisme niveleur, d'un socialisme plus ou moins mitigé.
Deux extrêmes : socialisme et personnalisme. Et toute doctrine économique du monde moderne entre forcément dans l'orbite d'un de ces deux astres centraux.
Ainsi le capitalisme vicié, je ne dis pas le capitalisme tout court, par ce par quoi il est vicié, entre dans l'orbite du socialisme et y mène fatalement. Regardez les faits, même chez nous, partout. Que celui qui a des yeux voit !
Et toute doctrine erronée ne peut éviter cette ligne de force, car c'est en cette dernière que se trouve l'unité diaboliquement mystique de toutes les doctrines politiques et économiques fausses :
Elles sont toutes d'accord contre la personne humaine.
On n'échappe pas à la logique des essences : c'est d'une physique absolue. L'on ne veut pas d'une doctrine vraiment personnaliste, et intégralement ! On aura ce qu'on verra, l'on a ce que l'on voit.
En passant, appliquons notre critère au Crédit Social. Quelle place fait-il à la personne humaine ? La place qu'elle mérite, la première, puisque ce sera elle qui polarisera l'argent nouveau, au moyen du dividende. C'est assez pour faire blêmir le soleil de Satan.
Et c'est là justement le signe de contradiction qui divise, de façon radicale, les hommes en deux groupes vis-à-vis du Crédit Social : partisans et adversaires. Parce que le problème de la personne humaine perce ici à plein, et concrètement, existentiellement, pas dans les nuages.
L'adversaire ne peut avaler cette audace, bien pusillanime encore, parce qu'il vit l'adage classique : Rien pour rien !
Le créditiste doit l'être surtout parce que le Crédit Social dit : Quelque chose pour rien, et même le plus possible pour rien.
Entendez-vous les clameurs !
"Mais c'est terrible", dira-t-on, "vous monnayez la personne humaine, ce qui équivaut pour elle à une déchéance."
Il faut s'entendre. Il peut répugner de monnayer une chose, pour deux raisons : 1.) parce qu'elle est sans valeur ; 2.) parce qu'elle en a trop. L'objecteur nous signifie certainement ici que la personne a trop de valeur pour être monnayée. Qui oserait prétendre le contraire ?
Alors, si la personne humaine a tant de valeur, en quoi répugne-t-il, non pas de l'évaluer adéquatement en monnaie, il ne s'agit pas du tout de cela, mais de travailler à lui assurer au moins la monnaie nécessaire au minimum vital, et gratuitement si le progrès des conditions économiques l'exige ? Ne vaut-elle pas assez pour cela ?
Ces objecteurs estiment et aiment tellement la personne humaine qu'ils l'étouffent sous leur amicale étreinte. C'est là une tendresse passionnelle et aveugle. De l'égoïsme plutôt que de l'amour.
D'ailleurs il ne s'agit pas de monnayer la personne. Qui ne voit que le Crédit Social empêche ainsi, au contraire, que la personne ne soit monnayée, comme elle l'est aujourd'hui où l'on ne calcule que par signes de piastre ? En effet, de nos jours, l'homme sert l'argent, dont il doit alimenter les intérêts usuriers, à cause d'une fécondité intrinsèque contre nature, de ses sueurs, de son sang, ou de ses privations, même de ses enfants.
(À suivre)