Qui paie le cadeau ?

le dimanche, 15 mars 1942. Dans L'économique

Il s'agit du cadeau d'un milliard à l'Angleterre.

Un président de banque expliquait récemment, à la radio, qu'il n'est pas du tout question de faire à l'Angleterre un cadeau d'un milliard de dollars canadiens. Nos dollars n'iront pas là-bas. Nous enverrons seulement à l'Angleterre des biens, du blé, du beurre, du fromage, ou des munitions, pour la valeur d'un milliard de dollars, sans lui présenter de facture.

Il ne nous apprend rien de nouveau. Tout le monde sait que, même si on envoyait des dollars canadiens là-bas, ces dollars ne seraient utiles que pour acheter des produits canadiens.

Mais, ces produits canadiens vont venir de fer­mes, d'usines canadiennes. Qui va les payer aux fermiers, aux industriels ?

Le gouvernement canadien ne va pas saisir le blé, le beurre, le fromage des fermiers et les expé­dier en Angleterre, sans dédommager ceux qui ont travaillé pour les produire.

Le gouvernement, ou la commission de ravi­taillement agissant au nom du gouvernement, va payer ces produits aux agriculteurs, aux com­mercants. Il va les payer avec de l'argent tiré des contribuables canadiens. À moins qu'il les paie avec un emprunt fait aux banques, tirant ensuite des taxes des contribuables canadiens pour payer aux banques l'emprunt et l'intérêt. Dans l'un ou l'autre cas, ce sont les Canadiens qui paient au moins la somme d'un milliard.

Quand bien même le milliard tiré des poches des Canadiens n'est pas envoyé en Angleterre, pour que l'Angleterre s'en serve pour payer les producteurs qui fournissent beurre, fromage ou bacon, le milliard est tout de même tiré des po­ches des Canadiens en faveur des Anglais. Ce sont les Canadiens qui paient le beurre, le froma­ge, le bacon expédiés aux Anglais.

C'est élémentaire. Que le dollar de Baptiste aille en Angleterre puis qu'il revienne pour payer 3 livres de beurre envoyées à l'Angleterre ; ou que le dollar de Baptiste soit directement employé à payer les trois livres de beurre qui s'en vont en Angleterre, où est la différence pour Baptiste, et où la différence pour l'Anglais ? C'est toujours Baptiste qui paie le beurre à l'Anglais.

Nous ne voulons pas dire que le cadeau de Baptiste soit une mauvaise action, mais nous ré­pondons au banquier qui voulait insinuer que le cadeau ne nous coûte rien.

Une autre réflexion du même conférencier, à la même occasion, nous a été rapportée ainsi : "Cela ne fait qu'augmenter la circulation de l'argent."

Si la remarque est exacte, cela veut dire que, d'après ce banquier, le cadeau d'un milliard de produits canadiens à l'Angleterre ne fait qu'aug­menter la circulation de l'argent au Canada. Dans ce cas-là, pourquoi n'a-t-on pas eu l'idée de faire des cadeaux lorsque l'argent ne circulait pas ? Pourquoi, pendant les dix années de crise, n'a-t-on pas fait à la Chine, aux Indes, aux peuplades éloignées et pauvres, des cadeaux de notre blé, de nos chaussures, de nos vêtements, de tout ce qui restait invendu dans nos entrepôts et dans nos magasins ? S'il fallait cela pour faire circuler l'ar­gent et permettre aux chômeurs de travailler, pourquoi ne s'est-on pas empressé de le faire ? S'il fallait des dividendes aux étrangers pour atte­ler les Canadiens en quête d'emploi, pourquoi les banquiers et les économistes ne l'ont-ils pas sug­géré ?

Le fait est que le raisonnement eût paru ab­surde. Il ne l'est pas moins aujourd'hui. Tout de même, il trahit l'existence d'un déséquilibre. Exac­tement comme la poussée à exporter plus qu'on importe trahit la nécessité d'ajouter du pouvoir d'achat quelque part ou de donner des produits sans exiger de paiement,

Si l'on disait : "Pour que les produits s'écoulent mieux, il faut faire des cadeaux de pouvoir d'a­chat, il faut donner des dividendes, parce que les salaires ne suffisent plus pour acheter la produc­tion devenue plus abondante que le travail sala­rié," — là on commencerait à dire vrai, en même temps qu'on commencerait à parler en créditiste.

Il ne resterait plus qu'à ajouter : "Faisons des cadeaux, mais, de grâce, que ce soit d'abord aux familles canadiennes ; donnons des dividendes aux Canadiens pour acheter les produits canadiens." La situation faite par la guerre aux Anglais et à d'autres n'est pas rose, et doit certainement at­tirer les gestes humains de pays où l'abondance n'est pas tuée. Mais si l'on avait mis au rancart la finance à la vieille mode, pour instituer la fi­nance créditiste, il serait possible de faire des cadeaux de production canadienne à l'Angleterre sans tirer l'argent de Baptiste.

Qu'on paie les fournisseurs des produits choisis comme cadeaux avec des émissions de crédit ca­nadien libre de dette, au lieu de les payer avec des soustractions de crédit ou avec des dettes envers les banques. L'Anglais éprouvé mangera nos sur­plus, et nous n'en serons pas plus pauvres.

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