Qu'est-ce qu'un milliard ?

le mercredi, 15 avril 1942. Dans Réflexions

Dix, ça se compte sur les doigts de la main. Cent, tout adulte conçoit assez bien de quoi il s'agit. Mille, passe avec un peu de réflexion. Au million, c'est l'éblouissement. Mais un milliard, qui l'a ja­mais compté ?

Promettez la liberté à un condamné à mort, à la condition qu'il compte jusqu'à un milliard sans interruption : il ne l'obtiendra jamais.

Qu'est-ce donc qu'un milliard.

Supposons qu'un ami de Judas l'Iscariote, après avoir pleuré le suicide du traître pendant sept an­nées, se fût avisé de fonder à sa mémoire une so­ciété financière — l'Iscariotaine. Que cette société financière eût pour principale fonction de placer en réserve l'équivalent d'un dollar canadien à cha­que minute de chaque heure du jour et de la nuit : soixante dollars par heure, vingt-quatre fois soi­xante dollars par jour, semaine après semaine, mois après mois, année après année, siècle après siècle. Dans ces conditions, l'Iscariotaine fondée en l'an 40 de l'ère chrétienne, serait à même, en cette année 1942, d'offrir le montant total de la réserve ainsi accumulée, exactement un milliard, à celui des belligérants pour lequel elle éprouverait le plus de sympathie.

Et c'est cette somme fabuleuse, un milliard, que le Canada archi-endetté décide, du soir au matin, de présenter en cadeau à la nation dont les capita­listes ont couvert l'univers de leurs placements.

Qu'est-ce encore qu'un milliard ?

Disons que le ministre des Finances du Canada fasse imprimer un milliard de billets d'un dollar, puis décide de les faire compter attentivement et placer en liasses de cent par une seule personne engagée à cet effet. Disons encore que l'Honorable Ilsley, par un geste auquel nous ne sommes guère accoutumés, confie cette fonction spéciale à un Canadien français. Pour ne pas nuire au recrute­ment, pour rester dans l'esprit et dans la lettre de la loi, il va choisir un jeune homme de 17 ans. Nous allons l'appeler Arthur Robitaille, et admet­tre qu'il soit capable de compter cent billets par minute. Assumons la proposition suivante de la part du ministre

"Jeune homme, vous allez n'avoir que cela à fai­re. Vous fournirez 48 heures d'ouvrage par semai­ne, au salaire de $40.00 par semaine. Lorsque vous aurez terminé ce comptage, l'État vous mettra à la retraite et vous paiera, pour le reste de vos jours, une pension équivalente à la moitié de ce salaire."

À quel âge M. Arthur Robitaille, ayant accom­pli son travail, commencera-t-il à toucher sa pen­sion ?

— Réponse : à 84 ans.

Combien de ministres des finances d'ici ce temps-là, et où sera le mémorable cadeau ?

L'imagination se perd dans le milliard. Mais, ce qui est moins fantastique, beaucoup plus réaliste et ce qui tombe parfaitement sous nos sens, c'est que le milliard signifie une contribution moyenne de $500.00 par chaque famille du Canada.

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