Où la Charte de l'Atlantique ?

le dimanche, 01 mars 1942. Dans Réflexions

Le Décalogue eut le Sinaï, avec tonnerre et éclairs. La grande charte tracée pour le monde de demain par les deux chefs d'État des deux grandes démocraties anglo-saxonnes ne devait-elle pas aus­si avoir son décor ? Et les journaux d'il y a quel­ques mois ont insisté sur l'originalité de la scène : une baie anonyme de l'Atlantique, à bord d'un puisant navire de guerre, au large de falaises ru­gueuses battues par la tempête, etc.

Il paraît que l'imagination a suppléé ce qui man­quait à la réalité. Nous apprenons maintenant que les Tables de la Loi des démocraties furent simple­ment données au monde dans une grande île où les financiers ont justement installé la misère à la pla­ce de la démocratie — Terre-Neuve.

Terre-Neuve était autrefois, comme le Canada, un dominion britannique. Pas le plus grand, mais le plus vieux. Et Terre-Neuve, dominion aussi libre que pouvait l'être un dominion de ce temps-là, n'é­pargna rien pour la défense des démocraties dans la guerre qui devait être la dernière, il y a vingt-cinq ans.

Terre-Neuve fournit généreusement les sueurs de ses hommes, les larmes de ses femmes et le sang de ses fils.

Mais, comme c'est normal sous le système ultra-­moderne, inauguré par William Paterson en 1694 et perfectionné de Paterson à Montagu Norman, lorsqu'une guerre est finie aujourd'hui, ceux qui l'ont faite, vainqueurs et vaincus, doivent la payer aux financiers.

Or Terre-Neuve, qui avait eu la témérité d'ou­blier l'état précaire de sa poche en plaçant tout son cœur au service de l'idéal démocratique, Ter­re-Neuve se trouva incapable, par la suite, de payer l'intérêt sur ses dettes. C'est que, si Terre-Neuve savait faire des hommes et les donner, elle ne fa­briquait pas l'argent et n'en pouvait trouver là où il n'y en avait pas.

Ne pas pouvoir payer, décevoir ceux pour qui la fécondité de l'argent prime toutes les religions, quel crime abominable !

Résultat : suppression du gouvernement respon­sable et mise en tutelle sous les représentants des créanciers. Fini le dominion de Terre-Neuve, on re­vient à la colonie de Terre-Neuve. Dépourvus d'ar­gent, les Terre-Neuviens ne peuvent avoir droit à la liberté. Est-on bien capable de réclamer respect et afficher liberté lorsqu'on n'a rien en porte-mon­naie ?

Et comment la population défranchisée se trou­ve-t-elle de son nouveau régime ? Voici la citation de Malcolm H. Clark, prise dans le Harper's Ma­gazine, que nous avons déjà reproduite dans no­tre numéro du 15 avril 1941 :

"Des aventuriers politiques ont pillé le trésor public. Les ressources de l'île ont été données à des intérêts étrangers. Des hommes, des femmes, des enfants, en grand nombre, dépérissent de sous-alimentation, s'ils ne meurent pas tout à fait de faim. 50 pour cent des habitants ont la tuberculose, 40 pour cent sont aux secours di­rects et touchent chacun $22 pour toute l'année (6 sous par jour pour vivre). L'industrie fores­tière, sous contrôle étranger, a rendu les salaires extrêmement bas. Exploitation brutale du peu­ple."

Tableau noir, remarquions-nous. Mais il n'a rien qui nous surprenne. Depuis quand la finance a-t-elle une âme ?

Et c'est dans cette île-là, si bien mise à la sauce des financiers internationaux, que les papes laïcs du jour ont élaboré la grande charte du monde de demain !

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