Notre mission, femmes... No. 6

le lundi, 15 janvier 1940. Dans Notre mission, femmes...

Travailler à éduquer le peuple

— Ma chère Jeanne, tu perds ton temps si tu travailles à éduquer le peuple.

— Pourquoi, Paul ?

— Parce que le peuple n’est pas susceptible d’être éduqué.

— Sur quoi te bases-tu pour dire cela ?

— Sur l’expérience, ma sœur.

— L’expérience ! L’expérience de qui ? Pas la tienne ?

— Oui, la mienne.

— Toi, Paul, tu as essayé d’éduquer le peuple ? Mais, qu’as-tu fait pour cela ?

— Depuis vingt ans que je donne des cours ! Tu trouves que ce n’est pas assez ?

— Des cours à qui ?

— À des élèves d’universités, s’il vous plaît.

— Justement, ce n’est pas à la masse du peuple que tu t’es adressé, mais à un petit nombre, ceux qui s’appellent, à tort ou à raison, les intellectuels.

— Mais comment veux-tu faire l’éducation sinon en passant par les écoles ?

— Cher ami, il n’est pas nécessaire d’enseigner dans un édifice qui se nomme école et devant des élèves qui préparent un diplôme, pour enseigner. Il y a bien d’autres moyens et au moins aussi efficaces.

— Tu veux dire ?

— Tu ne penses donc pas au cinéma, à la radio, au journal ?

— Oh ! des écoles de démoralisation, celles-là.

— Si tu veux, mais des écoles tout de même, et qui influencent profondément un très grand nombre de gens sinon tout le monde.

— Des écoles qui ont abaissé le peuple au lieu de l’élever.

— Qu’est-ce que ça prouve, Paul ? Que le peuple n’est pas influençable ou que les écoles sont mauvaises ?

— Il est évident qu’il y aurait beaucoup à corriger dans le cinéma, la radio et le journal.

— Soit dit en passant si tu veux. Mais tel n’est pas le sujet de notre discussion. Nous cherchons à savoir si oui ou non le peuple est éducable. Or, je dis que oui le peuple est éducable parce qu’il est influençable. La preuve : l’immense et profonde action des grands moyens modernes de propagande. Ces moyens sont au service du diable, ils produisent une impression mauvaise. Si ces moyens étaient au service du bien, je ne vois pas pourquoi ils ne produiraient pas une bonne impression.

— Mais, ces moyens d’action, ma sœur, il nous est impossible de les mettre à notre service puisque, tu le sais bien, ils sont sous la direction des contrôleurs de l’argent et de ceux qui veulent en faire. Et l’argent étant le dieu de la terre...

— C’est entendu. Pour le moment, il nous est impossible de faire avec le cinéma, la radio et les journaux en général, des éducateurs, du peuple. Nous en reparlerons, mais revenons à nos moutons, si tu veux. Tu dis que le peuple n’est pas éducable. Et je te dis que le peuple est éducable puisqu’on réussit à le faire penser et sentir comme tout ce qu’il voit et entend partout.

— J’admets, Jeanne, que nous pourrions faire quelque chose si nous avions à notre disposition les armes voulues, mais nous ne les avons pas.

— Il y aurait donc moyen d’élever le niveau moral et intellectuel du peuple ?

— En réalisant certaines conditions, oui.

— Personne n’a donc raison de se plaindre que nos gens sont à jamais endormis dans l’ignorance et de dire qu’on ne les en tirera pas quoi qu’on fasse. Voilà un point d’acquis, Paul.

— Très bien, mais la cause reste désespérée puisque nous ne pouvons nous servir des grands moyens d’éducation.

— Défaitiste, va ! Écoute, Paul, il y a un moyen d’en sortir, c’est d’aller en chair et en os chez le peuple. C’est d’entrer dans toutes les maisons avec un mot d’ordre.

— Mais, comment veux-tu parcourir toute une province, tout un pays ?

— Il faut d’abord former des soldats, des apôtres.

— Comment les trouveras-tu ?

— Par des contacts personnels.

— Mais, tu veux des hommes et des femmes qui aillent partout et parlent sans cesse de leur idéal comme les premiers chrétiens ?

— Exactement. Je veux des éducateurs qui ne se contentent pas de rester dans leur bureau et d’écrire sans savoir s’ils seront lus, quittes à se lamenter sur le peuple ignorant et inéducable.

— Bon, bon, merci. Tu me reproches de ne pas aller de maison en maison. Mais, je ne peux pas le faire, je n’ai pas le temps.

— Très bien, tu n’as pas le temps. On ne peut rien te reprocher peut-être. Quelque bonnes que soient tes raisons de ne rien faire pour l’éducation du peuple, si tu ne fais rien, tu ne peux pas dire que tu fais quelque chose. Et tu n’as pas le droit de reprocher au peuple de n’être pas éduqué si les éducateurs ne se sont pas donnés la peine de l’éduquer. Ce serait comme de reprocher à un enfant mal élevé d’être mal élevé. Les responsables sont les parents.

— Mais, toi, tu veux que les éducateurs se mettent à passer de maison en maison ?

— Je veux, mon frère, que l’éducation du peuple se fasse. Et je dis qu’on ne peut pas dire qu’elle n’est pas faisable tant qu’on n’a pas pris tous les moyens de la faire. Or, voici un moyen de la faire, le seul à notre disposition et, je crois, le plus efficace à l’heure actuelle : les contacts personnels. C’est un moyen qui demande des apôtres. Soit, formons des apôtres. D’ailleurs aucune œuvre ne réussit si elle n’a pas d’apôtres. Et un apôtre véritable ne se décourage jamais. Quand il manque son coup, il s’en attribue la faute à lui-même, et change de méthode. Il ne s’arrête pas à dire que la chose n’est pas faisable.

— Supposons, ma sœur, que tu as des apôtres véritables qui font tout ce qu’il est humainement possible de faire. Crois-tu que le peuple répondra toujours à l’appel de l’apôtre ?

— Le peuple répond toujours à l’appel pourvu qu’on s’adresse à lui dans un langage qu’il comprend, avec un problème qui l’intéresse. Ainsi, si tu abordes nos cultivateurs qui ont quitté l’école à dix ans, qui par conséquent ne sont pas très instruits, mais qui ont bien du bon sens dans la tête, si tu les abordes en leur parlant de la hiérarchie des ordres économique, politique, religieux relativement à la fin ultime de l’homme, je ne te promets pas que tu feras sur eux une impression profonde. Mais, par exemple, si tu leur dis que les patates qu’ils cultivent sont faites pour être mangées par ceux qui en veulent, et que le gouvernement devrait faire tout l’argent nécessaire pour que les gens achètent toutes les patates et les autres choses bonnes qu’il y a à vendre, dans le pays et cela tant qu’il y aura des clients qui voudront en acheter, je t’assure qu’ils te comprendront. Et tu peux leur dire après, que l’argent est fait pour servir les hommes, et que pour cela il ne faut pas mettre les hommes au pied de l’argent, je t’assure qu’ils te suivent encore dans cette leçon de philosophie.

— Tu as peut-être raison, Jeanne, les éducateurs ne se sont pas donné la peine d’éduquer.

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