Notre mission, femmes... No. 5

le lundi, 01 janvier 1940. Dans Notre mission, femmes...

Jean-Paul vient nous voir tous les samedis.

Jean-Paul est un petit pauvre de 10 ans. Il va à l’école durant la semaine, et le samedi il quête.

Il quête de la nourriture, des habits, de l’argent.

Le père de Jean-Paul ne travaille pas depuis dix ans. On comprend que le Secours Direct ne suffise plus à procurer le nécessaire à cette famille de neuf personnes. C’est pour cela qu’il faut bien ajouter quelque chose au revenu fourni par le Secours Direct. Et ce quelque chose, c’est Jean-Paul qui se charge de le trouver.

Hier, Jean-Paul me dit, en arrivant : "Je suis bien content, je ne quêterai plus maintenant !"

— "Vraiment ; Qu’y a-t-il de changé, Jean- Paul ?"

Ma sœur qui a 17 ans se marie avec un soldat. Elle se marie bientôt. Son mari partira pour la guerre, après, et elle recevra une pension, et nous vivrons avec cet argent-là. C’est beau, eh ! madame, d’avoir de l’argent pour vivre ?"

Pauvre Jean-Paul ! Pauvre grande sœur ! Pauvre famille ! Pauvre société !

Nous en sommes rendus là. Combien grande est notre misère à tous !

La misère de ceux qui n’ont rien à manger fait pleurer. C’est la misère des corps.

La misère de ceux qui sont cause du malheur des autres sur lequel ils construisent leur puissance, cette misère-là, elle révolte car elle est diabolique.

Et la misère des tièdes, de ceux qui ne font pas de mal aux autres, mais qui ne leur font pas de bien non plus parce qu’ils ne veulent pas y penser ni se priver ou qui se contentent d’un secours passager pour débarrasser leur conscience des remords, la misère de ceux-là, elle fait peur, elle décourage, elle nous fait nous demander si l’Amour n’est pas parti de la terre.

Femmes, êtes-vous là encore avec votre cœur ? Mais, n’est-ce pas vous qui devez être les gardiennes de l’Amour, de la Charité ? Où donc est le trésor qui vous avait été confié ?

À côté de vous, maman riche qui donnez des jouets à vos enfants, il y a une mère qui refuse du pain à ses petits à elle. À côté de vous, épouse parée, fille choyée, il y a des lambeaux de femmes pour qui personne n’a de sourire maintenant.

Femmes, regardez, regardez bien, on vous attend partout. La charité vous réclame. Sortez de votre maison douce et chaude. Prenez les rues étroites des faubourgs. Entrez même dans les ruelles. Voyiez-vous cette maison délabrée ? Ce n’est qu’un hangar, une cave. Peut-être, mais il y a du monde comme vous là-dedans. Passez le seuil, n’ayez pas peur de regarder la misère, elle est plus belle que votre égoïsme. Bon ! respirez maintenant le moisi, la fièvre, ça vous agrandira le cœur en vous fortifiant les nerfs. Oh ! ne partez pas tout de suite. Vous n’avez pas le droit de vous éloigner avant de soulager ces êtres-là qui sont vos frères, vous savez. Vous ne saviez pas que les pauvres sont vos frères ? Mais, oui, vous le saviez, mais vous pensiez que ça ne voulait rien dire.

Je suis sûre que votre cœur est ému. Même vous ne vous contentez pas de plaindre, vous donnez des choses, de l’argent, des sourires peut-être.

Puis, vous sortez enfin, l’âme et la tête lourdes.

Revenue à votre foyer, vous parlez de vos pauvres. Vous vous apitoyez. Vous vous félicitez de votre charité au fond de vous-même.

Puis, c’est tout.

Retournerez-vous demain visiter les taudis ? Non. C est trop triste à voir. Il faut se reposer un peu.

Après-demain, peut-être ? Pas encore. Et d’ailleurs, on ne peut pas tout donner ce qu’on a, pensez-vous, ces pauvres-là seront toujours pauvres.

"Il y aura toujours des pauvres parmi vous" a dit le Christ.

Oui, le Christ a dit cela. Mais, le même Christ a passé sa vie à soulager les pauvres. Et il a dit aussi : "Si tu veux être parfait, donne tous tes biens aux pauvres, et suis-moi".

Alors, demain, vous recommencerez à visiter les pauvres. Puis, tous les jours ensuite, sans vous lasser, jusqu’au jour où les pauvres ne manqueront plus du nécessaire, car alors seulement vous aurez le droit de garder votre superflu pour vous-même.

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