Neuf vies humaines pour $150

le dimanche, 15 mars 1942. Dans L'économique

Un cultivateur de Rimouski a une famille de neuf à faire vivre. Tous les enfants sont en bas âge. Donc il doit faire sa terre tout seul.

Il s'est établi sur une propriété de $4,000. Jus­qu'ici, ce cultivateur a réussi à sortir de sa terre : 1° de quoi faire vivre sa famille de neuf ; 2° de quoi payer $2,600. sur sa terre.

Mais voici qu'il doit $150 de taxes ; et parce qu'il ne peut payer ses $150 de taxes, on veut lui enlever sa ferme, la mettre en ventes pour les taxes.

Qu'on remarque et qu'on analyse un peu les réalités cachées derrière ces chiffres.

Qu'est-ce que ce cultivateur du bas du fleuve, par son travail et la bonne conduite de sa ferme, a fourni à la société du Canada, à la province de,Québec ?

Ce cultivateur a fourni sept enfants aussi bien élevés que peuvent l'être des enfants de sa condi­tion. Notre société est-elle capable d'apprécier ce bien-là ?

Ce cultivateur a fourni, en outre, $2,600 de pro­duits agricoles pour les autres membres de la so­ciété. C'est, en effet, là un surplus sur sa consom­mation de toutes sortes. Il a d'abord produit de la nourriture pour sa propre famille de neuf per­sonnes. Puis il a produit de la nourriture pour ob­tenir, par ses ventes, de quoi habiller, chausser, soigner, instruire, entretenir de toute manière, cette famille de neuf personnes. Outre cela, il a encore produit de la nourriture pour le montant de $2,600 ; et ni cette partie de sa production, ni son équivalent en produits faits par d'autres, n'a été consommée par sa famille. C'est donc bien $2,600 de produits fournis à d'autres membres de la société.

En plus de cela, le cultivateur a entretenu la fertilité d'une centaine d'acres de terre de la pro­vince, et les a empêchés de se couvrir de ronces, d'épines, de chiendent, de renoncules ou de bou­quets blancs.

Et qu'est-ce que ce cultivateur doit à la so­ciété ? $150.

La société a reçu du cultivateur sept enfants à la veille de rendre service. La société a reçu du cultivateur $2,600 de produits. Le cultivateur doit à la société $150.

Il nous semble que la situation se résout en fa­veur du cultivateur. La société lui doit sept en­fants et $2,450 net, sans compter l'amélioration d'un grand rectangle de terre.

Mais non. Notre société dit au cultivateur :

Tu m'as donné sept enfants. Tu m'as donné $2,600. Mais tu ne peux me donner aujourd'hui $150. Va dans le chemin avec ta femme et tes sept enfants... en vertu de la loi qui protège l'argent et sacrifie les hommes, même si ces hommes sont les vrais enrichisseurs de la société.

Neuf vies humaines sacrifiées pour $150, par une société enrichie par ceux-là mêmes qu'elle immole pour $150.

Et où cela ? Dans la catholique province de Québec ? Par qui cela ? Par le seul gouvernement catholique de l'Amérique du Nord. Il ne faut pas oublier, en effet, que, dans notre province, les gouvernements municipaux ne sont que des ex­tensions du gouvernement provincial.

C'est de l'administration qui n'a de catholique que le nom. Jamais nous ne reconnaîtrons dans pareils procédés ni l'esprit du Christ ni celui de son Église.

Il y a au Canada une certaine province protestante, administrée par un premier-ministre pro­testant, où ces méthodes dégradantes ne sont point admises. Cette province s'apelle l'Alberta. Ce premier-ministre a nom William Aberhart.

Jamais, en Alberta, le gouvernement d'Aberhart ne permettra de mettre dans le chemin un hon­nête travailleur et sa famille, sous prétexte qu'ils ne peuvent fournir $150. Il sait trop bien que l'argent ne pousse pas sous le soc de la charrue. C'est autre chose qui pousse là, mais les percep­teurs de taxes et les suceurs d'intérêts cherchent des piastres, pas du blé ni des pommes de terre.

Faudra-t-il conclure qu'il y a des protestants qui ont l'esprit plus chrétien que des catholiques ? Constatation humiliante, mais dont il faut cher­cher l'explication dans la religion de l'Argent qui relègue toutes les autres à la basse-cour. Et cette religion de l'Argent fait encore la pluie et le beau temps dans la province de Québec.

Neuf vies humaines pour $150. Combien d'au­tres cas semblables, et de plus noirs encore, nous pourrions aligner sous les yeux de gouvernants qui passent leur temps à se canoniser ?

Poster un commentaire

Vous êtes indentifier en tant qu'invité.