Les journaux nous apprennent que, le 31 mars, le Dr William Temple, archevêque d'York (Angleterre), succède au Dr Cosmo Lang sur le siège primatial de Cantorbéry. Il s'agit évidemment d'évêques protestants, nommés, non pas par le Pape, mais par le roi d'Angleterre. Tout de même, comme l'Église anglicane possède une grande influence en Grande-Bretagne, et comme la Grande-Bretagne possède une grande influence dans l'empire britannique, il vaut la peine de considérer le caractère du primat protestant d'Angleterre.
D'abord, celui qui s'en va, le Docteur Cosmo Lang, âgé de 77 ans, est un ami intime du grand financier-banquier américain (ou mieux international) J. Pierpont Morgan. Morgan et l'archevêque Lang ont l'habitude de prendre vacances ensemble et faire des croisières sur le yacht privé de Morgan. Qui se ressemble s'assemble. Morgan et Lang ne doivent pas trouver difficulté à communier à la même philosophie. L'archevêque Lang se trouve sans doute plus à l'aise en compagnie de millionnaires qu'avec les pauvres membres du Christ.
On se rappelle aussi que l'archevêque de Cantorbéry, le Docteur Lang, joua un rôle de premier plan dans ce qu'on appela la crise du trône, pour forcer la démission du roi Edouard VIII. Ce roi avait le tort impardonnable de critiquer publiquement un système qui tient le monde dans la pauvreté en face de l'abondance. Plusieurs y ont vu la cause principale de sa mise au rancart. Il y avait bien, il est vrai, une idylle, une juive, une divorcée ; mais cela, c'est l'occasion, et lorsque la cause existe, il est relativement facile de trouver ou faire naître une occasion qui aura l'avantage de camoufler la relation de cause à effets.
À la même époque, d'ailleurs, Stanley Baldwin était premier-ministre d'Angleterre. Âgé, Baldwin ne voulut pas se retirer avant d'avoir réglé la question d'Edouard VIII, qu'il considérait comme le principal acte de son passage au pouvoir. Or, ce M. Stanley Baldwin était l'ami intime de Montagu Norman, gouverneur de la Banque d'Angleterre et despote financier du monde. C'est aussi sous le ministère Baldwin que le gouvernement céda ses dernières prérogatives monétaires à la Banque d'Angleterre, que la figure du roi cessa de paraître sur les livres sterling pour faire place à celle de la dame mûre représentant la Banque. Cela ne parut sans doute pas un acte important à Baldwin ni à son cabinet.
Comme on voit, les dirigeants anglais d'hier s'entendaient bien : politiciens de la haute, banquiers de la haute, titulaires ecclésiastiques de la haute ; ni peuple ni roi n'y changeaient rien.
Mais le nouveau primat d'Angleterre ?
Le nouveau primat d'Angleterre, l'archevêque William Temple, alors archevêque d'York, fut à la tête du groupe d'évêques anglais de diverses religions qui énoncèrent en 1940 le fameux programme de Justice Sociale et de Reconstruction Économique pour l'après-guerre.
Un auteur anglais écrivait récemment : "L'archevêque Temple ne s'est jamais déclaré créditiste ; mais il en a le ferment. La même personne qui m'a gagné au Crédit Social a aussi orienté les idées économiques de l'archevêque d'York".
C'est l'archevêque Temple qui, blâmant la philosophie qui veut faire du travail la fin de l'économique, disait : "Si vous avez de l'argent, vous avez des loisirs ; mais si vous n'avez pas d'argent, vous avez le chômage. Personnellement, je doute passablement de la bénédiction du travail." ( dans le sens restreint ordinaire). Le nouveau primat comprend que, dans le monde motorisé actuel, le choix n'est pas entre l'emploi et le non-emploi, mais entre les loisirs et le chômage, et c'est la présence ou l'absence de l'argent qui confère au non-emploi le caractère de loisirs ou celui de chômage.
Le programme social et économique, élaboré par la Commission ecclésiastique dont l'archevêque d'York était le président, renferme des expressions comme celles-ci :
"Le programme se propose de créer une économie d'abondance, avec les intérêts du consommateur comme principal régulateur de la production... Le niveau minimum de vie et d'éducation d'avant-guerre n'avait aucun rapport avec la capacité productive de la société... L'émission de monnaie (y compris le crédit) sera scientifiquement dirigée pour conserver la stabilité de l'unité monétaire, pour maintenir un flot constant de production au meilleur niveau possible et pour garder le pouvoir d'achat du public au niveau de la production ainsi obtenue".
Le nouveau primat anglican de Grande-Bretagne est certainement moins loin du Crédit Social que son prédécesseur. Cela ne veut pas dire que le Crédit Social va recevoir de lui son investiture. Mais c'est un signe des temps. Le monde, partout, veut un changement. Même en Angleterre, où la guerre a forcé les grands à se frôler un peu aux gueux.
Un changement. Lequel ? Il y a dans maints milieux élevés une forte tendance au socialisme d'État. La présence du pro-communiste Sir Stafford Cripps au premier poste politique après M. Churchill, n'est pas sans laisser penser. Si le vent tourne, les créditistes de partout ont besoin d'être attentifs pour le prendre dans leurs voiles.