Le rire, baromètre de civilisation

le samedi, 01 mars 1941. Dans Réflexions

Il y a grande comédie, ce soir, au théâtre. Le célèbre comique Fridolin présente sa "Revue" des événements de l'année.

La salle est comble.

Tout le monde s'apprête à rire. N'est-ce pas pour cela qu'on est venu ? Rire, c'est bon de temps en temps. Ça repose. Ça chasse les idées noires. Et les idées noires foisonnent en ce temps de guerre, de chômage et de surtaxe.

Ce soir donc, on est venu au théâtre pour rire. Et on rira.

Et de fait, on rit. Tout le monde rit. Il y en a qui rient moins. Il y en a qui rient peu. Mais de gens qui ne rient pas, il n'y en a point. Ce qui porte à croire que la comédie est réussie, puisqu'étant faite pour faire rire, elle fait rire en effet.

Que des gens rient plus que d'autres, ma foi ! ça peut s'expliquer par ceci qu'il y a des gens qui, par tempérament ou par habitude, ou par les circonstances, sont plus disposés à rire que les autres. Voilà qui est normal.

Mais, il y a cela de curieux : c'est que tout le monde ne rit pas en même temps. Tout le monde n'est pas d'accord pour trouver drôles telles scènes, tels mots de la comédie.

Dans la comédie, il y a des allusions de la vieille histoire, qui font rire une très petite partie de l'assistance. Ce qui signifie que la salle contient peu de personnes renseignées sur les temps passés.

La comédie illustre des faits de l'histoire politique contemporaine, l'histoire que tout le monde vit, et dont tout le monde souffre. Ces scènes-là font rire à peu près toute la salle, et la font applaudir. Ce qui prouve que le cœur de tous les assistants bat à l'unisson.

La comédie explique parfois très spirituellement la cause de ces faits. Un très petit nombre des assistants rient : ignorance et courte vue de la masse.

Et lorsque la comédie est grivoise, et elle l'est beaucoup trop, éclats de rires fous et prolongés. Voilà un signe évident que notre degré de civilisation n'est pas encore très élevé.

De tout ceci, on peut au moins conclure qu'on tire souvent plus de leçons à regarder et étudier les spectateurs qu'à regarder et étudier le spectacle lui-même.

MARIE

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