Dès qu'on eut annoncé dans les journaux qu'il y aurait une usine de munitions à Ste-Thérèse (comté de Terrebonne) et que les travaux de construction devaient y débuter sans retard, une file quotidienne de chercheurs d'emploi commença d'encombrer les lieux. L'un de ces chercheurs d'emploi qui gratte des bouts d'occupation de bord et d'autre depuis deux ans, vient justement de passer à notre bureau. Selon lui, c'est au régime de 200 par jour que les hommes se présentent à l'office de Ste-Thérèse.
Et l'on dira :
1° Qu'il n'y a plus de chômeurs ;
2° Que les gens ne veulent pas travailler.
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Il n'y a plus de chômeurs... Ceux qui le disent savent parfaitement le contraire. Rayer quelqu'un d'une liste, ou ne pas l'enregistrer, ne lui confère pas un emploi.
M. N. travaillait pour le gouvernement sous le règne de M. Taschereau. Pas un gros salaire, mais il vivotait tout de même.
Vint M. Duplessis, et M. N. perdit sa job.
M. N. se tourna vers le fédéral, où l'on était encore rouge, et s'en fut rencontrer M. Ernest Lapointe, qu'il connaissait personnellement.
M. Lapointe : Je regrette beaucoup, mais les positions sont encombrées ; puis pour avoir un emploi au fédéral, il faut savoir l'anglais.
(À noter qu'un Anglais peut ne parler qu'une langue, mais qu'un Canadien-français doit en comprendre deux).
Or, M. N. ne sait pas l'anglais.
M. Duplessis sort et M. Godbout rentre.
M. N., qui connaît aussi personnellement M. Godbout, s'en va le voir en personne.
M. Godbout : Si je te place, il faudra bien en placer plus de mille autres. Impossible maintenant, mais prends patience...
Et ça fait plus d'un an que M. N. prend patience. Il a maintenant trente-six ans. Il décide de s'enrôler dans l'armée. Là, au moins, on n'exige ni anglais, ni couleur, et on ne vous fait pas patienter trop longtemps avant de vous donner une job.