Le contrôle invisible

Louis Even le mercredi, 15 octobre 1941. Dans Réflexions

Lorsque le contrôleur de l'essence, M. Cottrelle, décrète une forme quelconque de rationnement de la gazoline, on sait qui ordonne le rationnement, on sait d'où partent les ordres. C'est un contrôle visible. Les automobilistes peuvent en être agacés ; mais au moins ils savent d'où viennent les règlements. D'ailleurs ceux qui les font et le gouvernement qui les sanctionne expliquent les raisons de ces règlements.

Lorsqu'un gouvernement, fédéral ou provincial, impose une taxe, on sait d'où vient la taxe. On vous fait payer 50 sous pour vous servir d'un bout de route de 100 pieds au-dessus d'une rivière : vous savez que le péage du pont est exigé par le gouvernement de Québec. Là encore, content ou mécontent, celui qui paie sait tout de même qui le fait payer.

Lorsque Adolf Hitler entre en Pologne, occupe toutes les villes l'une après l'autre ; lorsque Joseph Staline pousse ses hordes contre la vaillante petite Finlande, Polonais comme Finlandais crient à l'injustice, à la force brutale. Mais ils savent certainement qui accuser. Ils ont affaire à un ennemi visible, trop visible.

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Mais lorsque, au beau milieu d'un monde qui travaille, qui transporte ses produits, qui échange, tout à coup, sans déclaration d'aucune guerre, sans tremblement de terre, sans sécheresse, tout arrête, tout languit ; lorsque, comme en 1929, sans que les consommateurs se mettent en grève pour ne plus acheter, les produits cessent de se vendre ; lorsque des industriels, fiers jusque-là d'augmenter leur personnel, se trouvent contraints de renvoyer leurs ouvriers ; lorsque des machines dont on avait loué la perfection de rendement et qui faisaient honneur au cerveau humain sont soudain montrées du doigt et dénoncées comme des ennemis de l'humanité ; lorsque toutes ces choses arrivent du jour au lendemain, comme un orage dans un ciel auparavant serein, on se regarde, on s'inquiète, on perd la tête, on s'accuse les uns les autres, on blasphème le Ciel, et l'on semble ignorer que là, comme dans les actes précédemment cités, des hommes sont intervenus.

Tout est subitement paralysé, faute d'argent dans un monde qui n'en manquait pas la veille. Mais on n'a pas vu le décret qui retirait un tiers de l'argent de la circulation. On n'a pas lu de signature. Le contrôleur est invisible ; on s'imagine qu'il n'y en a pas. On croit que la crise est venue toute seule ; et on attend patiemment qu'elle arrête toute seule.

Le contrôleur est invisible, mais il existe. Il n'y a pas d'effets sans cause. Il n'y a pas d'effets humains sans cause humaine. "Ceux qui contrôlent l'argent et le crédit", écrit le Pape.

Leur œuvre est diabolique. Les auteurs ne s'annoncent point, mais ils sont là quand même.

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En 1926, un comité de banquiers faisait un rapport et déclarait utile (pour les banquiers sans doute) de rétablir l'étalon-or supprimé en 1914. L'étalon-or fut rétabli, et toute l'Angleterre en souffrit. Montagu Norman était alors gouverneur de la Banque d'Angleterre, l'âme financière de l'Angleterre. Churchill, alors Chancelier de l'Échiquier, n'avait qu'à s'incliner.

En 1931, Montagu Norman étant encore gouverneur de la Banque d'Angleterre, l'étalon-or fut jugé mauvais. On le supprima. Et il en est encore qui enseignent la nécessité de l'étalon-or ! Lorsque Montagu Norman jugera l'étalon-or indispensable, l'étalon-or reviendra sans doute.

Ce même Montagu Norman, toujours gouverneur de la Banque d'Angleterre, prêtait des millions de livres sterling anglaises à l'Allemagne, il y a quelques années. Il savait, disait-il, que l'Allemagne ne rembourserait jamais ; mais, ajoutait-il, il fallait financer le nazisme, parce que l'effondrement du régime nazi serait une catastrophe pour l'Europe.

Voici maintenant l'Angleterre en guerre contre l'Allemagne nazie. Et voici Churchill et Roosevelt en retraite fermée pour élaborer une charte pour l'univers de demain.

Les journaux du monde entier ont parlé et reparlé de la rencontre des deux grands chefs. Mais ils n'ont pas même mentionné le nom du chef du gouvernement invisible, pourtant bien là, avec eux, sur l'océan. Dix hommes accompagnaient M. Churchill, et Montagu Norman était du nombre. Les autres, on peut publier leurs portraits, détailler leur habillement, proclamer leurs moindres gestes. Mais le banquier, lui, doit demeurer invisible. L'univers pourra se ressentir, souffrir de sa présence, mais devra l'ignorer totalement.

Au Vatican, bien visible, le chef de 300 millions de catholiques vit dans la prière, la méditation, la pénitence, et porte l'assurance des inspirations de l'Esprit-Saint. Plus d'une fois, sa voix autorisée a rappelé au monde les éléments d'une véritable charte de paix.

Mais le Saint-Esprit pâlit devant le financier, et les Huit Points de l'Atlantique retiendront bien plus l'attention de la presse universelle que les Cinq Points du Pontife Romain.

Le monde détraqué, humilié, ensanglanté, va-t-il encore marcher à la lumière des torches sorties des loges maçonniques et des arcanes de la finance internationale ?

Louis Even

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