Le cas du marchand

Louis Even le mercredi, 15 juillet 1942. Dans L'économique

Dans l'article publié en page 6 du présent nu­méro, M. Armand Turpin souligne l'importance du marchand détaillant comme facteur possible de notre renaissance économique.

Dans notre Association Créditiste, le marchand détaillant est le premier homme auquel les asso­ciés ont affaire.

L'Association commence par grouper des con­sommateurs, puis cherche un marchand et dirige les consommateurs associés vers ce marchand as­socié.

Le marchand détaillant qui accepte les trans­ferts de crédit des associés ne trouvera probable­ment pas immédiatement le moyen d'écouler ces transferts, parce qu'il est habitué à s'approvi­sionner chez des grossistes et que les grossistes, en général, se montrent pour le moment réfractaires à l'appel de l'Association. Ils sentent plus la pres­sion d'en haut que celle d'en bas.

Certains marchands détaillants nous écrivent et nous pressent de leur trouver un débouché dans le gros, afin de ne pas souffrir trop longtemps de l'accumulation d'un crédit inutilisé.

Augmentation de clientèle

L'Association est au service de tout le monde, mais ce n'est pas à elle de faire l'ouvrage des in­dividus. Comme Association, elle s'efforce de créer une condition dans laquelle chaque associé peut tirer avantage de son association ; mais encore faut-il que l'associé pose les actes personnels né­cessaires pour tirer cet avantage.

Ainsi les consommateurs associés auront beau avoir un crédit à leur disposition, une liste de marchands associés sous les yeux, s'ils ne se don­nent pas la peine de choisir leur marchand en conséquence, ils ne tireront pas parti de leur crédit.

De même, c'est au marchand détaillant qu'il appartient de poser lui-même les actes pour tirer avantage de son association.

Nous avons déjà souligné que le marchand peut temporairement obtenir compensation d'un crédit qu'il n'écoule pas, par l'augmentation du chiffre de sa clientèle. L'augmentation de la clientèle, sans augmentation proportionnelle des frais géné­raux, tels que loyers, taxes, commis, transport, livraison, etc., apporte une augmentation intéres­sante au profit net.

Mais, diront certains marchands associés, ma clientèle n'a pas augmenté.

Soit. Mais qu'avez-vous fait pour la faire aug­menter ? Il ne suffit pas de donner votre nom. Posez des actes. Avez-vous affiché dans votre vitrine que vous acceptez les transferts de l'Asso­ciation Créditiste ? Si vous annoncez dans des journaux locaux, avez-vous spécifié dans votre texte d'annonce que vous acceptez les transferts ? Si vous passez des circulaires de temps en temps, y signalez-vous que vous êtes membre de l'Asso­ciation Créditiste et que vous acceptez les trans­ferts ?

Si vous cachez tant que vous pouvez le fait de votre association, si vous avez l'air d'un pénitent dans un confessionnal lorsque vous acceptez un transfert, ne soyez pas surpris que votre clientèle n'augmente pas !

Proclamez au grand jour que vous êtes membre de l'Association. Puis profitez de toutes les occa­sions pour enrôler de nouveaux membres dans l'Association, vous vous ferez autant de clients. Même si le pourcentage de votre profit était ré­duit de 5 pour cent, avec une clientèle augmentée de 20 ou 40 familles, vous ne seriez pas le perdant.

Approvisionnements organisés

Il y a aussi la question des approvisionnements. Où le marchand détaillant fait-il ses achats ? Ne peut-il pas les faire plus avantageusement ail­leurs ? Ne peut-il pas modifier ses méthodes ? Ne peut-il pas, chez les mêmes fournisseurs, obtenir des conditions plus avantageuses ?

Là encore, l'Association Créditiste ne fera pas l'ouvrage pour lui ; mais elle peut lui être d'un grand secours, non seulement par des conseils, mais en mettant une force à sa    disposition.

Ainsi, pour ce qui est des produits alimentaires, plusieurs de ces produits sortent de nos fermes : pourquoi ne pas les acheter là ? Le marchand n'a certainement pas le temps d'aller d'une ferme à l'autre, chercher les légumes, les œufs, la viande. Mais il peut susciter un service à cette fin.

Actuellement, c'est l'agent des maisons de gros souvent éloignées qui vient prendre les comman­des du marchand. Le marchand doit bien savoir qu'il paie son prorata des dépenses de ces commis-voyageurs. Pourquoi ne pas prendre un rôle actif au lieu de ce rôle passif pour l'approvisionnement ? De même que l'agent du grossiste visite plusieurs marchands détaillants, de même plusieurs mar­chands détaillants associés pourraient coopérer pour se faire donner un service indépendant qui les mettrait en liaison plus directe avec les pro­ducteurs eux-mêmes, surtout avec les cultivateurs associés de la région.

Il y a de la force dans l'union. Notre Bottin Créditiste présente assez d'éléments pour former des associations spécifiques efficaces.

Exemple : à Hull, il y a dix épiciers dans l'As­sociation. Ces dix épiciers s'approvisionnaient de différentes choses à différentes sources. Sur l'ini­tiative de M. Turpin, les dix se sont entendus pour acheter leur sucre d'un même fournisseur. Ce fournisseur, à cause du volume des achats, leur consent un rabais qui équivaut à 4 pour cent du prix payé par les détaillants séparés. Les dix épiciers bénéficient de ce rabais sur tout leur sucre, pas seulement sur celui qu'ils vendent aux asso­ciés. Cela fait plus que couvrir les ventes pour du crédit.

Il ne s'agit pas là d'un marchand en gros gagné à l'Association ; le marchand en gros n'accorde pas le rabais sur une considération de crédit social et ne prend point de transferts ; mais il reste que les dix épiciers ont été unis par l'Association Crédi­tiste, et ils tirent profit de leur association.

Ce que les dix épiciers de Hull ont fait, les 9 de Rouyn, les 17 de Sherbrooke, les 55 de Qué­bec, etc., peuvent le faire. On peut même prévoir le jour prochain où tous les épiciers associés de la province prendraient leur sucre non plus du même marchand en gros, mais du jobber provincial qui représente les raffineurs — dans le cas actuel une compagnie de sucre de betteraves d'Alberta — en attendant un développement de l'industrie sucriè­re chez nos propres cultivateurs associés.

Ce qui se fait dans le cas du sucre peut se répéter dans le cas du savon et d'autres produits qui ne sont pas encore manufacturés directement par nos associés. Le volume des commandes ob­tiendrait un rabais qui compenserait pour le cré­dit accordé aux associés.

Le nombre des marchands détaillants associés peut aussi devenir assez fort, soit pour déterminer un marchand en gros à entrer dans l'Association et accepter les transferts, soit pour décider un créditiste d'initiative et d'expérience à entrepren­dre un commerce de gros, ou au moins un comp­toir d'achats, pour servir ces nombreux mar­chands.

Nous comptons beaucoup sur les marchands détaillants, et l'Association, tout en profitant de leur service établi, fait leur publicité, leur prépare une clientèle et leur offre une magnifique occasion de rendre leur commerce payant sans devenir des exploiteurs. Mais il reste la part personnelle du marchand : sa réflexion, son énergie, son patriotis­me, son sens de la coopération avec ceux qui poursuivent le même idéal social que lui.

Louis Even

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