La politique - Une session provinciale

Louis Even le lundi, 15 juillet 1940. Dans La politique

Entre avant et après

La première session de la législature provinciale élue le 25 octobre dernier a pris fin. Les salles de discours sont vides. L'usine de manufacture des lois est fermée.

Sans compter les innombrables points d'ordre soulevés et réglés, nous croyons comprendre que 159 bills sont devenus lois. À dix fois moins, ce serait déjà une fécondité remarquable. Mais le degré de gonflement de nos statuts provinciaux mesure-t-il exactement le degré de prospérité dans la province ?

La veille de la prorogation, le chef du gouvernement, agissant comme chef de parti, réunissait les fidèles de son troupeau pour les remercier de leur collaboration indéfectible, cette collaboration de Pandore qui consiste à répéter : Brigadier, vous avez raison ! Et les écoliers sont partis en vacances.

Pour le peuple, le menu peuple, pour les trois millions de citoyens qui s'agitent, se démenent, se bousculent et souvent gémissent dans la province de Québec, la valeur d'une session s'établit par les résultats qu'elle leur donne.

Quelle est la différence, dans les familles, entre maintenant et avant la session ? Le niveau de vie s'est-il amélioré ? Nous parlons du niveau de vie temporelle, car il s'agit de gouvernement temporel, dont la raison d'être spécifique est de veiller à la prospérité temporelle commune.

Les enfants sont-ils mieux nourris, mieux habillés, mieux soignés, mieux instruits ? La mère de famille a-t-elle la vie moins dure, moins tracassée ? Le père de famille gagne-t-il plus facilement et plus sûrement le pain de la maisonnée ? Les jeunes gens se placent-ils mieux, peuvent-ils désormais s'assurer une carrière stable qui leur permette de fonder un foyer ?

Où est l'amélioration des conditions de vie dans la province de Québec à la suite du travail de la session parlementaire ?

Nous voyons bien quelques améliorations locales ici et là dans l'emploi : à Arvida, par exemple. Mais il s'agit d'industries de guerre et l'amélioration, dans ce cas, est bien plus redevable à l'œuvre du maître de l'Allemagne qu'à celle de nos parlementaires.

Points saillants

Il n'existe point de publication officielle des débats parlementaires à Québec, semblable au Hansard d'Ottawa. Il faut s'en remettre aux rapports abrégés parus dans les journaux, la vie mouvementée qu'entraîne notre genre de travail ne nous permet pas toujours de suivre d'un soleil à l'autre et d'analyser d'une façon juste, entre des appréciations contradictoires, ce qui se dit et se fait dans la Chambre législative. Aussi ne prétendons-nous point être complet ni infaillible dans un article de revue. Nous préférons souligner ce que nous avons plus particulièrement remarqué.

On a eu soin à Québec de s'occuper du consommateur étranger, placé au premier plan, pour consolider la position mendiante du consommateur domestique. Nous faisons allusion aux bills pourvoyant à nommer des agents payés pour chercher des touristes ou des marchés étrangers pour nos meilleurs produits. Les créditistes nous comprennent. Les orthodoxes continuent d'être dans la lune, pas au Canada.

Notons encore la correction des bills 19 et 20 — peut-être ce que nos 86 ont fait de mieux, au dire des syndicats ouvriers. Ils doivent ce redressement, nous assure-t-on, aux instances de M. René Chaloult près du cabinet provincial.

Dans le même domaine, le gouvernement a créé un conseil supérieur du travail. Initiative louable en soi, mais qui, par les dispositifs pourvoyant au choix des conseillers, semble destinée à en faire une arme politique au service du parti au pouvoir plutôt qu'un organisme véritablement et librement dévoué aux intérêts conjoints des patrons et des ouvriers.

La session a consacré un temps assez considérable à l'étude du bill pour la mise en tutelle de Montréal et à celui de son nouveau mode d'administration. Nous en avons suffisamment parlé dans notre numéro du 15 juin.

Comme couronnement, nous ne pouvons oublier les mesures prises pour soustraire plus d'argent au public et faire face aux exactions grandissantes des financiers : main-mise sur des ponts municipaux ou privés, hausse des taux de péage, nouvelles taxes, etc.

C'est avec des airs très vertueux que le gouvernement s'est décidé à imposer des sacrifices plus lourds : devoir bien pénible que ne peuvent récuser nos braves représentants ! Quant au premier devoir de tout gouvernement — établir un ordre économique dans lequel tous et chacun peuvent mener une honnête subsistance et travailler normalement à faire leur salut éternel — il n'en est pas encore question dans le pays le plus catholique de l'Amérique du Nord.

Crèvent les Canadiens !

Voyez aussi l'indulgence du gouvernement vis-à-vis des exploiteurs et sa parfaite indifférence vis-à-vis des exploités. On eut récemment la grève de Drummondville. 2,800 ouvriers cessent de se soumettre à des conditions de travail qu'ils trouvent insupportables. La compagnie refuse de reconnaître l'organisation syndicale de ces employés.

Quelle compagnie ? La Celanese.

Quels employés ? Des Canadiens.

Des financiers new-yorkais s'en viennent exploiter la province de Québec : nos chûtes d'eau, nos forêts, notre main-d'œuvre. La province fournit hommes et choses. Eux fournissent les chiffres ou les rectangles de papier. Ce sont eux qui comptent ; nos hommes ne comptent pas.

On a pourtant telle chose qu'un Ministère du Travail à Québec. Tout ce qu'on fait pour les ouvriers de Drummondville, c'est d'envoyer sur les lieux une escouade de police pour les menacer de la prison s'ils perdent une once de leur mansuétude traditionnelle.

Voilà où nous conduit l'esprit de parti et le respect de la caisse électorale.

Justes remarques

Malgré toutes les niaiseries qui se disent et tous les règlements restrictifs qui se tissent dans notre parlement provincial, nous sommes heureux de relever parfois quelques observations qui, quoique sans écho dans la législation, indiquent tout de même, osons l'espérer, la précursion d'idées nouvelles, de réformes longtemps attendues.

C'est dans cette catégorie que nous plaçons le courageux discours prononcé le 28 mai, en marge du budget, par M. René Chaloult, député de Lotbinière.

Nous savons que ce discours souleva des critiques, surtout en ce qui a trait aux suggestions du député de Lotbinière concernant le Conseil de l'Instruction Publique. Mais ceux qui n'ont jamais aucune idée à faire valoir ne sont jamais en butte à la critique — et ils sont légion au Parlement. Nous préférons les coups de cornes de M. Chaloult, nous souhaiterions même les voir plus fréquents : ils frappent souvent à la bonne place.

Dans son discours du 28 mai, nous citerons seulement deux passages, qui expriment des vues avec lesquelles nous concordons. Nous puisons au résumé paru dans Le Devoir du 29 mai :

Éducation nationale

"Que notre enseignement s'avère insuffisant, c'est devenu un lieu commun de le répéter. Ses insuffisances s'expliquent très bien par ailleurs : la conquête, l'absence de ressources, le milieu familial, le climat si l'on y tient. Elles n'en existent pas moins. Il importe donc de les combler. Pour notre peuple, c'est devenu une question d'être ou de ne pas être.

"Par cette éducation nationale vague, hésitante, invertébrée, trop souvent le lot de nos enfants à l'école primaire — quand toutefois elle existe — on ne pourra jamais former que des êtres émasculés, des types de Français anémiés, rabougris, indignes de vivre.

"Quand inculquera-t-on résolument dans "l'âme de nos petits Canadiens... que leur qualité de Français, loin d'être un obstacle à leur avancement économique, le favorise au contraire ; qu'ils peuvent à bon droit se vanter de leurs origines françaises et que leur titre de premiers occupants leur confère le privilège de se proclamer partout chez eux, au Canada, autant que tous et plus que bien d'autres.

"Pourquoi toutes ces vigoureuses jeunesses rurales qui ne rêvent que de fréquenter une maison commerciale afin de devenir garçons de magasin, quand ce n'est pas décrotteurs de rues dans une grande ville ?

"N'est-ce pas notre éducation reçue dans la famille ou à l'école qui nous incline à penser spontanément que nous sommes destinés aux emplois subalternes ? Voilà toute notre mystique française ? On nous a forgé une âme de serviteurs. Former nos jeunes gens à l'obéissance c'est bien ; mais les entraîner au commandement c'est beaucoup mieux.

"Qu'il importe d'obéir pour apprendre à commander, c'est une de ces naïvetés dont on nous a trop longtemps saturé l'esprit, et qui expliqua peut-être que nous obéissons toujours dans ce pays, sans jamais commander. On déplore le servilisme de nos députés — mais quelle en est donc la cause ?"

Ces dernières réflexions nous font penser naturellement aux fessées, à la 'strap', aux isolements dans un coin, au pied d'un arbre ou d'un mur, debout ou à genoux en classe, que goûte généralement tout enfant qui manifeste sa personnalité au lieu de tomber dans les rangs des disciplinés, des enrégimentés, des nivelés et des bras-croisés.

Réforme monétaire

M. Chaloult parle ensuite de la réforme monétaire :

"Scandale de notre siècle : tant d'indigence, conséquence de tant de richesse... Pas d'argent pour vivre, mais des millions pour tuer... Le Canada dépense à lui seul plus de deux millions par jour pour la guerre.

"Le peuple est pauvre parce que les biens sont mal répartis, parce que l'instrument de distribution est défectueux. Les banques contrôlent tout, même le crédit qui appartient à l'État seul, au même titre que l'administration de la justice. Notre système monétaire doit être révisé de fond en comble. L'État doit reprendre sa place et remettre la banque à la sienne. Le rôle de la banque est de servir l'État et non de l'asservir.

"Le gouvernement du Québec devrait établir, sous son contrôle unique, une banque provinciale afin de le financer et de faciliter aux Canadiens français leur juste libération économique."

Et nos députés sont retournés chez eux, au milieu de leurs commettants. Nous invitons ceux-ci, les créditistes au moins, à demander à leur député provincial ce que, pour sa part, il a fait à Québec pour gagner ses $2,500.

Louis EVEN

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