Nous ne faisons que le répéter, le Crédit Social n'a point donné lieu, dans la province de Québec, à la formation d'un parti politique ; ou, si tel parti existe, nous ne le connaissons pas. Un mouvement créditiste, oui ; mais un parti créditiste, non. Y en aura-t-il un plus tard ? Nous ne le savons pas, mais nous ne pensons pas que telle chose soit nécessaire. L'idée de parti s'accorde si peu avec l'idée de Crédit Social ! Même un parlement créditiste peut se concevoir sans un parti créditiste. Nous comprenons mieux un parlement représentant les intérêts des divers corps naturels de la société, qu'un parlement représentant des intérêts de partis.
Il n'y a pas de parti créditiste dans la province de Québec. Un parti suppose un chef, élu dans une convention par les membres du parti. Nous ne sachions pas que cela ait jamais eu lieu dans la province de Québec pour les adhérents au Crédit Social. Le mouvement créditiste a bien ses meneurs, il a ses maîtres en doctrine, il a son organe de propagande. Les coopérateurs aussi ont cela, les syndicats ouvriers aussi ont cela, L'Union Catholique des Cultivateurs aussi a cela ; et personne ne songe à dire qu'ils constituent des partis coopératistes, travaillistes, agraires.
Mais les créditistes cherchent des réalisations ! Oui, exactement comme ceux dont nous venons de parler.
Mais ne les cherchent-ils pas dans le domaine politique ? Ils cherchent des réalisations économiques et se mêlent de politique dans la mesure où c'est nécessaire pour obtenir ces réalisations.
D'ailleurs, nous ne nions pas que nous avons l'intention de faire, et que nous faisons déjà, dans un sens, de l'action politique. L'organisme formé autour de VERS DEMAIN ne s'appelle-t-il pas Institut d'Action Politique ? Mais l'action politique peut très bien s'exercer autrement qu'à la manière des partis politiques. Nous croyons même qu'elle sera mieux conduite autrement que par un parti politique.
Un parti politique, avec son chef, avec sa caisse électorale, vise principalement à conquérir ou retenir le pouvoir, le gouvernement. Toute sa technique, sa discipline, ses péchés mêmes tendent à cela. Le machiavélisme y est science, les faveurs ou l'attente de faveurs y sont moteur.
Comme les créditistes font consister la politique en la poursuite du bien commun, de la prospérité temporelle commune, pour tous et chacun, ils ne voient pas bien comment cela peut s'accorder avec la conception ordinaire d'un parti politique.
Comme les créditistes sont d'esprit pour le moins indépendant vis-à-vis des détenteurs de l'argent, comme ils ne s'appliquent point à recruter des adhérents dans les couches fortunées, ils ne prennent guère les moyens de se monter une caisse électorale.
Le journal VERS DEMAIN est même assez idiot — selon la sagesse ordinairement reçue dans les milieux analogues — pour refuser des annonces payées.
Mais les créditistes sont-ils donc dans la lune, en politique, comme on aime leur répéter qu'ils y sont en économique ? Que prétendent-ils faire avec un Institut d'Action Politique, composé d'exaltés qui travaillent sans rémunération et sans même une promesse de faveur ?
Notre Institut n'est pas un parti. C'est plutôt, si l'on veut, une sorte de fraternité politique dans le sens où l'entend Jacques Maritain dans son Humanisme Intégral.
Notre Institut groupe des hommes autour d'une doctrine, puis dans une organisation vivante, bien décidée à poursuivre l'assainissement de l'économique et de la politique.
Dans l'économique, nous nous orientons actuellement vers l'établissement d'une coopérative d'argent, pour combattre le trust de l'argent en nous passant de lui.
Dans la politique, nous comptons agir comme ferment pour faire lever et promouvoir, en tout temps, au sein de la multitude, une meilleure philosophie de la politique ; pour faire pression, au besoin, sur les représentants attitrés, dans la mesure où ils sont capables de subir des pressions saines ; pour éclairer et guider le peuple, en temps de campagne électorale.
Nous sommes une formation minoritaire comme nombre, mais qui compte déjà comme force et qui grossira encore, nous n'en doutons pas. Notre fraternité politique s'attache moins au nombre qu'à la valeur et à la solidité de ceux qui en font partie. Nous ne définissons pas le mot "valeur", l'ayant fait trop souvent déjà.
Depuis une demi-douzaine d'années, des créditistes font œuvre d'éducation dans les masses du peuple. Depuis un an et demi, l'Institut d'Action Politique fait œuvre d'organisation. Actuellement, avons-nous dit, notre organisation tend vers la formation concrète d'une coopérative d'argent : cela, c'est de l'ordre économique. Mais cette coopérative sera formée d'hommes animés d'un même objectif, se rencontrant en politique comme en économique, puisque, dans les deux domaines, la philosophie créditiste en est une de coopération.
Si, dans le domaine politique, nous nous en tenons, pour le moment, à un travail d'éducation, de fermentation, d'orientation, rien n'empêchera, la nécessité se posant, d'agir comme formation politique extérieure, pour placer des hommes compétents aux charges de responsabilité.
La guerre a résolu partiellement et momentanément des problèmes que nos politiciens de partis, incapables ou liés, ne parvenaient pas à solutionner. Cette solution partielle, hélas ! n'est que temporaire, comme la guerre elle-même, car, Dieu merci, l'état de guerre n'est pas une condition normale à envisager.
La guerre finira. Et, du jour au lendemain — les ministres du Cabinet d'Ottawa nous le disent eux-mêmes — du jour au lendemain, 40 ouvriers sur 100 devront se trouver un autre emploi. Où ? Ils devront se trouver un autre emploi, parce que les usines qui les occupent actuellement seront ou fermées ou désaffectées.
Que deviendront-ils pendant le rajustement de l'industrie ? Et comment l'industrie sera-t-elle encouragée à se rajuster pour la production de biens utiles, en face d'un public consommateur dont les deux-cinquièmes des sources de gain seront taries ?
Pour peu qu'on s'arrête à méditer sur une telle situation, celle d'un demain qui n'est pas éloigné, et pour peu qu'on songe que ces hommes, ces soldats démobilisés et ces 40 pour cent de la population ouvrière sans emploi, ces 1,224,000 gagne-pain, avec tous leurs dépendants, sont des êtres de chair et d'os qui ne peuvent guère tenir trois jours sans manger, qui ne prendront peut-être pas même ce temps-là pour s'exaspérer, on résiste mal au frisson.
Si les embourgeoisés n'y pensent pas, s'ils ne s'éveillent au danger que lorsque éclate la bombe, les créditistes, eux, habitués à penser en termes de réel, se représentent parfaitement et vividement la situation. Ils savent très bien aussi que, si une révolution violente ne trouve pas en face d'elle des hommes organisés pour une contre-révolution immédiate, capables de mater l'anarchie surtout en supprimant le désordre économique qui l'a fomentée, on peut avoir à subir une dictature communiste pendant un quart de siècle comme en Russie, ou la guerre civile pendant deux années comme en Espagne, pour ne parler que d'exemples récents.
Les créditistes savent cela. Mais ils ont une ressource précieuse : ils possèdent dans leur dynamisme une force qui s'impose et dans leur technique un moyen de faire face à une situation économique même cahotique, tant qu'il y a encore moyen de produire les choses nécessaires à la vie. Aussi doivent-ils se tenir prêts, tout en demeurant une fraternité polifique édifiée sur l'étude et le dévouement, à prendre leurs responsabilités où et quand les événements l'exigeront.