La politique - Sommes-nous des révolutionnaires ?

Armand Turpin le jeudi, 15 janvier 1942. Dans La politique

Le dictionnaire Larousse définit ainsi le mot ré­volutionnaire : "Qui a rapport aux révolutions po­litiques, qui est favorable à ces révolutions. Mesu­res révolutionnaires : mesures le plus souvent vio­lentes et extra-légales qu'on n'adopte qu'en temps de révolution pour satisfaire à des exigences impé­rieuses." Et le mot révolution : "Changement considérable dans le gouvernement d'un État ; transformation de ses institutions."

À la lumière de ces définitions, peut-on dire avec charité et justesse que les créditistes sont des ré­volutionnaires ? Sans hésitations, nous pouvons ré­pondre que le créditiste n'est pas un révolutionnai­re dans le genre de Diderot, de Mirabeau ou de Danton. Mais il désire et veut tout de même une révolution qui apportera, dans la paix, un chan­gement profond dans l'orientation des activités économiques de la société et des résultats qu'elles recherchent.

La révolution créditiste

Le mouvement créditiste, et surtout celui de la province de Québec, par sa doctrine, sa philoso­phie, sa technique, tend vers une profonde modifi­cation des relations humaines. L'ensemble des ré­formes qu'il cherche révolutionnerait la fin pour­suivie par la technique monétaire actuelle.

Cette révolution contribuerait à faciliter celle des mœurs, à extirper du monde l'esprit de libéra­lisme économique qui le domine depuis 150 ans et qui a plongé l'univers dans l'épouvantable catas­trophe dont nous sommes les tristes spectateurs et, pour la plupart, les innocentes victimes.

Qu'on le veuille ou non, l'Ordre Nouveau que les grands du jour nous promettent, mais que les cré­ditistes préparent soigneusement, ne se réalisera pas sans une révolution fondamentale des institu­tions économiques. Il faudrait être insensé pour croire que la reconstruction sociale d'après-guerre se fera selon les théories surannées de certains éco­nomistes, les plans criminels de certains arrivistes ou les réformes académiques à l'eau de rose de cer­tains professeurs.

Quelle attitude prendre ?

Faut-il craindre, condamner ou approuver ceux qui veulent et préparent les révolutions ? Il faut s'entendre. Nous ne donnerions pas notre bénédic­tion à tous ceux qui veulent des révolutions. Mais aurions-nous aimé être parmi ceux qui crièrent "Crucifiez-le !" ? Et le Christ n'a-t-Il pas été l'au­teur de la plus grande révolution de toute l'histoi­re ? Ou bien, parmi les imbéciles qui ridiculisèrent Pasteur et sa théorie microbienne "révolutionnai­re" ?

Au cours de l'histoire du monde, tous ceux dont la pensée lumineuse a fait jaillir la lumière ou fait réaliser des bonds prodigieux à l'humanité, ont été essentiellement des "hommes de révolution". Ils ont eu à combattre les attaques de réactionnaires dont les intérêts étaient menacés ou les calomnies d'imbéciles qui ont de tout temps, par stupidité, barré la route au progrès.

Mais d'après quelles mesures pouvons-nous ju­ger ceux qui réclament des réformes ? Notre juge­ment doit être motivé par deux considérations : a) la valeur des principes sur lesquels s'échafau­de la révolution désirée ; b) la sincérité et la droi­ture des individus qui organisent cette révolution.

La doctrine créditiste

Que valent les principes de la doctrine créditiste ? Le Major C. H. Douglas, son auteur, a fait l'énon­cé de sa théorie en 1919. Il a étalé son plan de ré­volution économique dans de nombreux ouvrages, dans des milliers de conférences publiques et d'en­tretiens privés. Il a parcouru le monde pour faire connaître les principes de sa théorie. Et il continue toujours d'Angleterre à batailler par l'intermédiai­re de sa revue "Social Crediter".

Les prévisions lumineuses de cet homme sur les grands événements sociaux des deux dernières décades : la crise économique, le chômage, les dicta­tures, la guerre, la centralisation politique et finan­cière, se sont toutes réalisées. Il demeure l'un des esprits le plus génial de notre époque, et sans au­cun doute le plus grand économiste du siècle.

Depuis vingt années des milliers d'hommes et de femmes, de toutes les classes et de toutes les con­ditions, des Lords anglais et de simples commis, de grands journalistes et d'humbles ouvriers, des hauts dignitaires religieux et de simples ministres de Dieu, de grands professeurs d'Université et de petits instituteurs ont inlassablement répété par leurs écrits et leurs paroles les solides principes de cette merveilleuse théorie. Toujours de plus en plus nombreux, toujours de plus en plus tenaces, ils ne dérogent pas des grandes lignes tracées par l'auteur.

Ses principes sont là exposés à la critique de toute personne sincère. Y a-t-il un économiste sé­rieux qui ait réussi à en ébranler un seul ? Nous ne le connaissons pas. Quelques-uns ont vainement tenté de le faire du point de vue moral. Mais de savants théologiens ont eu vite fait de réfuter pu­bliquement ces pseudo-économistes.

Une armée de journalistes, il est vrai, a souvent attaqué la doctrine créditiste dans des articles vio­lents où la passion tenait lieu de science. Mais ces opinions n'étaient étayées sur aucune considération scientifique.

Nous avons eu aussi les calomnies mensongères des représentants des grosses institutions financiè­res et des partis politiques intéressés à défendre un précieux monopole. Mais quel esprit sérieux consi­dérerait cette critique comme libre d'égoïsme ou de parti-pris en la matière ?

Un prêtre savant, le Rév. Père Peter Coffey, théologien et économiste, professeur de Métaphy­sique et de Logique au fameux Collège catholique Maynooth d'Irlande, a fait, il y a quelques années, une étude minutieuse des principes du Crédit So­cial. Dans un fameux article intitulé "God or Mammon" il en accepte toutes les données fonda­mentales et les recommande fortement.

Le critique sérieux chercherait en vain dans les travaux de Douglas ou de ses adeptes des principes malsains ou un programme de mesures extra-léga­les pour obtenir l'instauration du régime créditiste. Tous réclament dans l'ordre la liberté politique et la sécurité économique. Mais nulle part y recom­mande-t-on, la lutte des classes, le nivellement des salaires, la suppression de la propriété privée ou de l'initiative individuelle ? Nous n'avons jamais lu une seule phrase contre la religion ou contre les ministres de Dieu dans les ouvrages des auteurs créditistes. Si on avait pu y découvrir la moindre allusion à des principes ou à des mesures de cette catégorie, il y a belle lurette que la foule des valets de la finance nous aurait cloués au pilori de l'opi­nion publique.

Les chefs créditistes

Celui qui signe cet article a été lié au mouve­ment créditiste de la province de Québec depuis ses humbles débuts. Il connaît personnellement et intimement les chefs qui ont façonné avec peines et misères les cadres solides de l'organisation qui s'étend maintenant aux quatre coins de la Provin­ce. Il connaît l'importance des sacrifices, l'étendue du travail, la grandeur du dévouement et la som­me de volonté, de courage et de ténacité mises dans le creuset de cette gigantesque entreprise.

Il a eu, en plus, de longues entrevues avec le pre­mier ministre Aberhart de l'Alberta, avec le Tréso­rier provincial, l'Hon. Solom Low et le ministre des Affaires municipales, l'Hon. Lucien Maynard de cette même province. Le chef et les principaux dé­putés créditistes du Parlement fédéral lui sont per­sonnellement connus, ainsi que les deux aviseurs que le Major Douglas envoya d'Angleterre pour conseiller le gouvernement d'Alberta, Messieurs L. D. Byrne et G. F. P. Owell avec qui il eut de lon­gues entrevues. Depuis plusieurs années il connaît le Président du "Douglas Social Credit Bureau of Canada", M. Ralph Duclos et le Secrétaire Géné­ral de l'American Social Credit Movement", M. Gorham Munson, journaliste et économiste des États-Unis. Il a, en plus, rencontré des personna­lités dirigeantes du mouvement créditiste d'Angle­terre, de l'Australie et de la Nouvelle-Zélande.

Après avoir évolué dans ce milieu pendant plu­sieurs années, il ne craint pas d'affirmer qu'il n'a jamais rencontré ailleurs un groupe d'hommes aus­si sincère et désintéressé. Tous, sans exception, ont le sens social exceptionnellement développé et sont imbus de principes chrétiens. Pour eux le spirituel prime sur le temporel ; la matière doit être au ser­vice de l'homme, de tous les hommes. Leur concep­tion de la vie sociale réclame une liberté politique pour tous les individus. Mais ils veulent que cette liberté politique soit doublée d'une sécurité écono­mique garantie socialement. En un mot, ils sont réellement des démocrates chrétiens.

Jamais il n'a entendu de la bouche de ces chefs créditistes la moindre allusion à des mesures extra­légales, à un recours à la force pour obtenir la ré­forme qu'ils préconisaient. Toujours ils ont insisté sur la nécessité de ne prendre que des moyens lé­gaux, de s'en tenir à des mesures paisibles, de main­tenir l'ordre. Le mouvement créditiste, à base d'é­ducation, est un mouvement d'ordre et de paix.

Il est presque superflu d'écrire ces choses, puis­que les actes posés par le mouvement créditiste dans tout l'empire britannique et au Canada sont là pour prouver qu'il n'a jamais causé de désordres publics.

Malgré les attaques dégoûtantes de la Finance et des journaux de partis, malgré la douzaine et de­mie de lois légalement mises dans les statuts de l'Alberta par la Législature provinciale, mais dé­clarées inconstitutionnelles par la Cour Suprême et le Conseil Privé ou désavouées par le gouverne­ment d'Ottawa, Mon. William Aberhart n'a ja­mais préconisé des mesures violentes, bien qu'il eût le pouvoir, la popularité, l'organisation et le peuple avec lui.

Et nous, de la Province de Québec, peut-on nous accuser d'avoir depuis six ans causé du désordre ? Y a-t-il une seule grève, une simple bagarre qui puisse être attribuée à l'organisation créditiste ? Combien d'émeutes fomentées ? Combien de vitri­nes cassées par les créditistes ? Les chefs ou les or­ganisateurs ont-ils préconisé la grève sur le tas ou la grève tout court pour atteindre leur but ? Non. Ils s'en sont toujours tenus à des moyens pacifi­ques. Voilà pour la valeur des chefs créditistes.

Nous ne sommes pas des révolutionnaires. Mais nous désirons, une révolution ordonnée qui débar­rassera le monde du chancre de la finance interna­tionale qui le ronge, une révolution qui apportera à l'humanité l'ordre dans la paix.

Armand Turpin

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