La politique – Question fédérale ou provinciale ?

Louis Even le vendredi, 01 août 1941. Dans La politique

Le Crédit Social est-il du domaine fédéral ou provincial ? Voilà une question qui en intrigue certains et qui fait monter la température de quelques politiciens. L'un de ces derniers, intéressé à sa candidature provinciale sous une couleur de parti, disait récemment à un de nos amis : "Je suis bien pour cela, moi, le Crédit Social, mais au fédéral, pas au provincial."

Ces gens-là ne pensent qu'en termes d'élection. Ils sont tellement occupés de leur intérêt personnel qu'ils ne comprennent rien à ce qui s'appelle bien commun, bien social.

Le Crédit Social n'est pas une chose cantonnée dans un domaine de la politique, ni non plus une chose attachée à une campagne électorale.

Le Crédit Social est une philosophie, la philosophie de l'association. C'est la croyance, la confiance dans l'association. Chaque associé croit que, par l'association, il obtiendra plus facilement la satisfaction de ses besoins qu'en restant isolé. Et c'est cela qui tient l'association. Sans cette confiance, les associés n'ont aucun intérêt à demeurer unis.

Le Crédit Social est donc une chose inhérente à tout groupement. Le Crédit Social est donc fédéral, provincial, municipal. Il est associationnel.

Mais lorsqu'on parle de Crédit Social, est-ce que ce n'est pas de l'argent qu'on parle surtout ?

Oui, parce que c'est le désordre dans l'argent qui empêche toutes les associations d'accomplir leur objectif, de satisfaire les aspirations de leurs associés.

Le monde moderne est tellement organisé que, sans le crédit financier, le crédit social n'opère pas, la foi dans l'association est déçue.

On a confiance que le Canada peut fournir tout ce qu'il faut aux Canadiens. C'est le crédit social, le véritable crédit du pays, la véritable source de confiance dans le pays. Mais, quand bien même le Canada peut fournir tout ce qu'il faut aux Canadiens, les Canadiens n'obtiennent pas du Canada ce qu'il leur faut s'ils n'ont pas l'argent, le crédit financier.

C'est pourquoi on dit qu'il faut mettre le crédit financier en rapport avec le crédit social ; il faut mettre l'argent au Canada en rapport avec ce que le Canada peut fournir aux Canadiens. Et pour que les Canadiens, tous les Canadiens expriment au Canada ce qu'ils veulent avoir, il faut que l'argent soit entre les mains des Canadiens, de tous les Canadiens.

Ce qu'on dit du Canada, on peut le dire de chaque province et même de chaque groupement plus petit, dès lors que le groupe est capable de faire obtenir à ses membres ce qu'ils veulent mieux avoir en se groupant.

Si les créditistes s'en prennent au système financier, au système d'argent, c'est parce que ce système empêche les résultats de l'association.

L'entité économique idéale

Mais où va-t-on s'adresser pour exiger que le crédit financier soit au service du crédit réel ? Dans quelle juridiction va-t-on élever la capacité de payer au niveau de la capacité de produire ? Dans quelle juridiction va-t-on mettre l'argent au service des hommes, de tous les hommes qui composent l'association ?

Au fédéral ? Au provincial ? Au municipal ?

Au municipal, exception faite des grandes villes, les associés, ceux qui composent la municipalité, ont ordinairement l'avantage de tous se connaitre. Ils peuvent facilement se réunir pour étudier leurs problèmes. Aussi peuvent-ils, en association, régler rapidement une foule de problèmes locaux, s'ils ont assez d'esprit pour les aborder d'accord au lieu de se livrer à des luttes de clans aussi détestables qu'opposées au bien commun.

Mais, d'une municipalité, on ne peut dire qu'elle soit capable de fournir aux citoyens de la municipalité toutes les choses, ou à peu près, dont ils ont besoin.

Telle localité est agricole, telle autre papetière, une autre minière, une autre manufacturière, une autre poissonnière, d'autres mélangées mais pas complètes.

Il est donc impossible d'établir un système complet d'échange dans les limites d'une division municipale.

De plus, et peut-être un peu à cause de cela et des choses qui en découlent, l'administration municipale est considérée comme une extension du gouvernement provincial. Elle n'a de pouvoir que le pouvoir à elle délégué par le gouvernement provincial.

Certaines régions, telle la région du Saguenay, formeraient une entité économique assez complète, strictement parlant ; mais elles ne sont pas une entité politique et ne peuvent légiférer.

Mais si l'on envisage la province, on trouve immédiatement, à la fois, une capacité productive suffisante pour répondre aux besoins économiques de ses habitants et un pouvoir politique complet : législatif, exécutif, judiciaire.

La province peut produire tout ce qu'il nous faut, et le gouvernement de la province a le droit de faire des lois, des règlements que les organismes inférieurs et les individus devront respecter dans l'exercice de leurs droits et privilèges.

La province peut certainement établir des règlements pour rendre les échanges aussi souples que la production. Elle peut établir une comptabilité qui enregistre et transfère les droits aux produits.

La province a le droit de prélever là où il y a engorgement, puisqu'elle a le droit de taxer. Elle a le droit de faire des cadeaux, de donner des dividendes, puisqu'elle a le droit d'octroyer. Elle a le droit d'écrire des promesses de payer, puisqu'elle a le droit d'emprunter. Elle a le droit de donner ces promesses de payer, puisqu'elle a le droit de les vendre (débentures). Les habitants de la province peuvent faire foi aux promesses de payer de la province, puisqu'ils font foi aux promesses de payer de la banque, qui est moins que la province, qui ne produit rien pour honorer l'argent.

Les créditistes saisissent tout ce qui est compris dans ces quelques phrases.

Mais ne serait-il pas mieux de recourir à la juridiction fédérale pour régler la question de l'argent et du crédit pour tout le Canada d'un coup ? Tous les Canadiens en profiteraient !

Tous les Canadiens, en effet, en profiteraient, et ce serait une excellente chose. Comme on peut dire que, si le monde entier réglait cette question, tous les citoyens de l'univers en profiteraient et ce serait merveilleux.

Mais c'est un problème à régler ; à régler par des hommes, non par les anges ; à régler par les intéressés, donc par les citoyens eux-mêmes, non par les exploiteurs ni ceux qu'ils ont soudoyés.

Et, comme le remarque le major Douglas, on n'avance pas la solution d'un problème en le grossissant. On a plus vite fait de déterminer un petit groupe à s'occuper de ses affaires que d'y déterminer un gros groupe.

L'idéal, c'est donc un groupe assez gros pour être à hauteur du problème et assez petit pour être organisable.

Dans le cas qui nous intéresse, l'idéal est un pays assez vaste et assez complet pour répondre aux nécessités économiques de ses habitants, mais assez limité pour que ses citoyens puissent facilement s'organiser et voir à leurs affaires.

Et selon nous, cette entité économique idéale, doublée d'un pouvoir politique suffisant, c'est la province.

Attendre que toutes les provinces bougent ensemble, c'est se condamner à ne pas bouger. Qui ne connaît la phrase chère aux politiciens qui veulent s'excuser de ne rien faire : C'est une question internationale ! C'est-à-dire : Cela ne nous regarde pas ou ne nous regarde que comme une fraction infinitésimale de l'univers ! Et comme tous les éléments disent la même chose, l'univers reste ce qu'il est.

C'est aussi pour mieux protéger leur monopole que les exploiteurs du crédit, les financiers internationaux, sont derrière le mouvement de soudure universelle de tous les pays en un seul, avec un gouvernement central ayant seul juridiction sur l'argent.

Lorsqu'on dira : "Canada, province de l'Union Démocratique, gardant le droit de taxer, mais avec défense de légiférer en matière monétaire ;" puis : "Union Démocratique, capitale Washington, avec centralisation dans cette capitale, sous la haute expertise de Baruch, Kahn, Kuhn et compagnie, de tout ce qui touche au système sacré de l'argent" — dans ce temps-là, on pourra s'extasier devant la puissance du grand État, mais les pauvres individus qui n'auront rien dans leurs poches pourront crier toute leur vie avant d'avoir l'ombre d'une chance d'émouvoir le colosse.

Nous n'en sommes pas encore là, Dieu merci, et nous espérons que la province de Québec saura assez tôt donner au monde l'exemple de l'ordre dans le système d'argent. Et ce sera un grand pas vers l'ordre universel dans l'argent, car dans le système d'argent même le bon exemple est contagieux.

Louis Even

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