Le soir du 18 octobre, l'Honorable Mackenzie King prononçait à la radio un discours annonçant une fixation des prix et des salaires.
Le but déclaré : arrêter l'inflation.
C'est donc que l'inflation commençait ou accentuait ses ravages. L'inflation, c'est l'ascension des prix et, par suite, la diminution de la valeur de l'argent.
Espérons que le public aura compris une bonne fois ce qu'il faut entendre par inflation : la course des prix vers des sommets de plus en plus hauts. L'inflation ne consiste donc pas dans une émission d'argent, comme on essaie de le faire croire dès qu'il est question de réforme monétaire.
Puis l'inflation est venue sans le Crédit Social, ce qu'il faudra retenir encore. Le système monétaire actuel n'est pas du tout scientifique, quoi qu'on veuille nous faire croire. Il est anarchique. Il ne pourvoit aucune relation entre le volume de l'argent et le volume de la production vendable et désirée. Il ne peut établir l'équilibre entre les prix et le pouvoir d'achat.
Impossible donc, sous le régime actuel, d'avoir de la stabilité. Aussi, ce que le régime monétaire anarchique est incapable de donner, le gouvernement s'impose la tâche de l'essayer à coups de décrets.
Sous le Crédit Social, les faits de la production et de la consommation dicteraient la position de l'argent. Ce n'est pas cela aujourd'hui. Mais, plutôt que de réglementer l'argent, on préfère essayer de réglementer les faits et les êtres humains. Préserver les privilèges des maîtres de l'argent et régenter le troupeau.
Déflation et inflation sont les fruits naturels du système. La guerre peut accentuer ces caractères ; mais on n'était pas en guerre, par exemple, en 1929, lorsque les prix croulèrent. On trouve que ça vaut la peine de mettre un plafond aux prix et aux salaires aujourd'hui ; pourquoi ne leur a-t-on pas mis un plancher en 1930 ? Est-ce que personne n'a souffert de l'effondrement ?
Ce serait le cas de rappeler l'anecdote qu'aime à raconter M. Grégoire dans ses causeries. Les cordes qui font sonner les cloches d'une certaine église sont trop longues et les gens s'y empêtrent les pieds à l'entrée ou à la sortie des offices. On se plaint. Les marguilliers délibèrent. Les uns proposent de hausser le clocher ; d'autres d'abaisser le plancher ; mais personne ne songe à couper les cordes à la bonne longueur.
Donc, un plafond aux prix. Et pour que les industriels ne fassent pas banqueroute, un plafond aux salaires. On a oublié le plafond aux taxes. Pourtant les taxes sont partie du prix. Et pourquoi pas aussi un plafond au tribut que le banquier charge sur le droit de travailler ?
À mesure qu'augmentent les taxes et les intérêts sur les dettes publiques, les coûts de revient du producteur augmentent et le pouvoir d'achat du consommateur diminue. Pour y faire face, le gouvernement propose certains secours à certaines classes de producteurs et oblige les patrons à payer des bonis de vie chère.
Mais, sous le système actuel, les octrois aux producteurs viennent de la poche des contribuables, ou des banques avec promesse de les reprendre, grossis, dans la poche des contribuables. Puis les bonis de vie chère font exactement la même chose qu'une augmentation de salaire : ils grèvent le prix de revient pour l'employeur. Que le salaire payé par le patron à un ouvrier soit augmenté de deux dollars par semaine, ou que le patron paie le même salaire, mais y ajoute deux dollars de boni — le résultat est-il si différent ? Ce n'est pas à changer le nom d'une chose qu'on en changera l'effet.
Le gouvernement nous avertit aussi qu'il prend des mesures pour détourner la production de biens de consommation vers la production d'instruments de guerre. Des canons à la place du beurre. Diminuer la quantité de biens de consommation n'est certainement pas de nature à faire baisser le prix. Au contraire : lorsqu'une manufacture diminue sa production, bien que les frais généraux demeurent à peu près les mêmes, le prix de revient de chaque article augmente nécessairement. Comme un plafond est fixé au prix de vente, il va rester, soit au producteur, soit au marchand, à encaisser la perte, même au risque de disparaître.
On ajoute quand même qu'il est indispensable, pour mener à bien la guerre, d'entretenir un moral élevé dans la population. Il faut que producteurs, ouvriers, marchands, consommateurs, tous, se sentent bien protégés, en sécurité, afin de se lever de grand cœur pour défendre leur bien-être. On prend les moyens !
Que de personnes au Canada ont dû trouver savoureuse cette réflexion de leur premier-ministre :
« Il va sans dire que nous ne pouvons espérer jouir de tous les biens et de tous les services dont nous avons pris l'habitude en temps de paix".
Nous. Qui, nous ? Qui a eu l'habitude, durant les dix années précédant la guerre, de jouir de tant de biens et de services ? La jeunesse à laquelle on demande de risquer sa vie aujourd'hui ? Les travailleurs relégués aux secours directs tant qu'il n'y avait pas de tuerie à organiser ?
Mais concédons que, dans les circonstances, il faut intervenir pour enrayer l'inflation. On n'a pas voulu toucher à l'absurde système monétaire, il faut bien recourir à d'autres moyens. On veut garder un régime qui engendre le désordre. Il faut bien gendarmer pour rétablir un semblant d'ordre. L'instrument monétaire se conduit mal. Plutôt que d'y voir, on prend des mesures, même vexatoires et irritantes, contre les producteurs, contre les employeurs, contre les employés.
Et jusqu'où ne va pas la contradiction ? Le même discours du 18 octobre nous dit que la main-d'œuvre manque, que le Canada est à court d'hommes. Est-ce pour cela qu'on enrôlera 5,000 fonctionnaires pour voir à ce que les réglementations nouvelles soient observées ? On aura bientôt, en temps de paix comme en temps de guerre, plus d'hommes à dire aux autres ce qu'il faut faire ou ne pas faire, qu'il y en aura à tirer du sol, de la forêt, de la mer, ce qui est nécessaire à la satisfaction des besoins de la population. Mais ce sera une force au service des faiseurs d'élections !
Nos ministres, le premier et celui des finances, trouvent que les Canadiens achètent trop de choses pour leurs maisons depuis que la guerre a mis de l'argent en circulation. Cela prouve au moins ce que les créditistes ont toujours affirmé : seul l'argent manque pour que les produits bougent. Malgré l'immense nombre de travailleurs — et des meilleurs — enrôlés dans l'armée ou employés dans des industries de guerre, il reste encore tellement de choses utiles offertes au public que le gouvernement juge à propos de placer l'embargo sur plusieurs produits et de tirer l'argent des poches du public afin que la production de choses utiles ralentisse à tout prix.
Qu'est-ce donc qui manquait auparavant, sinon l'argent, pour permettre à la production de marcher et aux hommes et aux femmes d'acheter ?
Nos ministres se démènent depuis deux ans. Mais où avaient-ils la tête avant la guerre ? Et où l'auront-ils après la guerre ?
Nous nous privions avant la guerre, pourquoi ? Et nous nous priverons après la guerre, pour payer les banquiers qui n'auront pas pu nous priver complètement d'argent pendant la guerre.