Riche, puisqu'il s'y trouve tellement de choses qu'on cherche où les exporter, qu'on invite les étrangers à venir les prendre sans travailler.
Riche de blé, dont les récoltes nouvelles désespèrent ceux qui n'ont encore pu écouler les précédentes.
Riche de vêtements et de chaussures, puisque les manufactures doivent fermer, tellement les stocks s'entassent.
Riche de maisons, puisque maçons et charpentiers doivent se reposer.
Riche d'hommes, puisqu'on se lamente sur les surplus humains, même après qu'on a disposé d'une tranche importante dans la guerre et les œuvres de guerre.
Ce pays riche peut s'enrichir encore. Parmi les facteurs d'enrichissement, le plus durable est sans doute l'extension du patrimoine agricole, l'ouverture de nouvelles terres. C'est ce qu'on appelle COLONISATION.
Les colons étant les meilleurs artisans de l'enrichissement du Canada, le Canada déjà riche, bien riche, va certainement choyer ses colons.
Voyons un peu ce qu'il en est de ces braves et dévoués fils d'un pays archi-riche. Ne parlons pas de la province de Québec, pour une fois. Nous ne blesserons ainsi ni la gente à M. Duplessis, ni la gente à M. Godbout. Parlons du nord de la Saskatchewan. C'est encore en Canada, le pays riche. Et citons simplement le député du district en question, Monsieur Nicholson (Débats de la Chambre des Communes, édition française, pages 621 et suivantes) :
Je tiens à la main la photographie d'un ancien combattant qui vint s'établir dans ma circonscription avec sa femme et ses huit enfants sous le régime du plan dit de $300.
La photo montre le sol couvert de neige. Cinq des enfants sont sans chaussures. Ces personnes ne se sont pas costumés pour l'occasion. Tout comme la plupart d'entre nous, elles se faisaient voir dans leurs plus beaux atours et la photographie les montre dans leur costume de circonstance et sans chaussures. Je serais heureux que le ministre du travail (M. McLarty) tentât de se voir lui-même à la place de cet ancien combattant.
(Pour nous, nous voudrions voir dans les mêmes circonstances tous les défenseurs du système bancaire orthodoxe qui trouvent qu'on ne manque pas d'argent au Canada).
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Voici une autre photographie qui permet de voir une autre famille dans des circonstances semblables. Je me rappelle la conversation qui suivit la séance photographique. Le père sortit. Il se révéla plutôt philosophe. Il me dit :
"Vous vous dites sans doute qu'il n'y a pas d'excuses pour que les gens soient malpropres. Croyez-m'en, la pauvreté et la propreté ne sont pas sœurs. Avez-vous jamais essayé de vous laver sans savon ?"
Je dus admettre que non.
— "Eh bien, ce matin, j'ai songé que je pourrais me laver, pour faire diversion. J'ai demandé à ma femme : Marie, où est le savon ? Elle me répondit : Il y a dix jours qu'il n'y a plus de savon à la maison."
Cet homme m'a dit : "Je ne fais pas usage de tabac. Je ne bois pas de liqueurs alcooliques. Quand vient l'allocation d'assistance, s'il reste une pièce de cinq cents, je dis au marchand d'ajouter un morceau de savon ou un fuseau de fil."
Je me demande si mes collègues se rendent bien compte de ce que c'est qu'une grande famille sans savon, des enfants en vêtements déchirés et le manque de fil pour la couture. Les honorables collègues sourient, mais je voudrais les voir essayer de vivre dans les conditions qui régnent dans le nord de la Saskatchewan. Dans la pauvreté, avec des enfants sans chaussures ni bas en hiver. La situation est loin d'être comique.
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Voici la lettre reçue le 14 avril de l'un de mes commettants :
"Nous avons grand besoin de vêtements. Nous n'avons pu acheter que pour $18 de vêtements depuis notre arrivée dans le Block. Vous savez que ce montant n'en procure guère. Mon mari porte ses bottes de feutre et ses caoutchoucs, ce qui est plutôt chaud à cette saison et nous avons besoin de bien d'autres vêtements. Il nous en faudrait pour $20."
J'ai répondu, lui conseillant de consulter l'inspecteur de service d'assistance pour la région. Elle l'a fait. Voici la réponse :
"J'ai demandé des vêtements et il dit qu'on ne peut en obtenir. Il semble donc que nous n'aurons rien à nous mettre sur le dos. Ils ont aussi réduit notre allocation d'épiceries, parce que nous avons perdu notre garçonnet. Nous n'avons ni lait ni pommes de terre, ni poules pour nous fournir des œufs."
(à suivre)