La politique – En marge de la conférence inter-provinciale

Louis Even le samedi, 01 février 1941. Dans La politique

L'Honorable Mackenzie King

Dans sa lettre de convocation, M. King avait écrit aux premiers ministres des diverses provinces :

"L'inaptitude des administrations locales et provinciales à régler le problème du chômage massif et celui d'une agriculture en détresse, les difficultés financières qui s'ensuivirent et les différends au sujet des responsabilités de la politique et de l'administration, constituèrent autant d'entraves sérieuses à l'unité nationale..."

La difficulté à régler le chômage par les gouvernements provient-elle de ce qu'il n'y a pas de travail à faire ? La détresse de l'agriculture provient-elle de la disparition des estomacs ou de grèves de la faim ? L'une et l'autre n'ont-elles pas la même cause — absence d'argent ?

En prorogeant la conférence le 15 janvier, le même premier-ministre disait, entre autres :

"Je regrette toutefois que nous n'ayons pu réussir à étudier plus avant les difficultés qui confrontent certaines provinces, étant donné que d'autres provinces seront un jour aux prises avec les mêmes difficultés."

Toujours l'unique problème : manque d'argent. Et l'on dit que c'est parce que le fédéral lui-même cherche de l'argent que l'Hon. Usley tenait à la conférence. Celle-ci ayant échoué, l'argentier fédéral va envahir le domaine provincial pour trouver des fonds.

Curieux tout de même : le gouvernement souverain du Canada sait parfaitement où trouver du matériel, des travailleurs. Il sait parfaitement comment faire produire des bateaux, des avions, des canons. Et il ne sait pas où trouver l'argent. Il ne sait comment faire produire de l'argent. L'argent est-il donc plus difficile à fabriquer qu'un avion de guerre, par exemple ?

En 1935, M. Mackenzie King prononçait des paroles célèbres qui se résument à dire que, sans le contrôle du crédit, la démocratie patauge. La preuve en continue.

L'Honorable Ernest Lapointe

Le ministre de la Justice remarque :

"On ne peut pas tuer des idées. Les idées ont la propriété de grandir, de se développer, de se répandre. Et un jour, si elles ont quelque valeur, elles sont acceptées."

C'est exactement ce que nous pensons. Et comme nous sommes persuadés qu'il y a beaucoup plus de vie et d'humanisme dans les idées du Crédit Social que dans les plans les mieux conçus pour s'accommoder d'une finance à étranglement, nous ne doutons aucunement de l'avenir du Crédit Social.

Ailleurs, M. Lapointe place en opposition des critiques d'Ontario et de Québec. Ceux d'Ontario accusant le rapport d'avantager Québec. Ceux de Québec y voyant une grave atteinte à leur autonomie. Selon lui, les deux ne peuvent pas avoir raison.

En supposant que l'Ontario y perde financièrement et que Québec y gagne financièrement (ce que nie d'ailleurs M. Godbout), les critiques d'Ontario seraient fondées. Et si, tout en y gagnant financièrement, Québec y perd en autonomie, s'il cède des libertés pour de l'argent, les critiques de Québec sont aussi fondées. Il n'y a pas tant contradiction, mais plutôt jugement d'après des critères différents, sur des paliers différents.

Nous avons cru comprendre, en lisant le rapport du discours de M. Lapointe, qu'il reçoit des monceaux de lettres et de pétitions, mais qu'elles proviennent de gens qui ne savent ce qu'ils disent ou écrivent. Aussi quel cas peut-il en faire ? Ce qui veut dire que, dans une démocratie d'ignorants, Guillot mène le troupeau sans trop s'occuper de ses bêlements. Aussi qu'arrive-t-il quand c'est Messire Loup qui s'habille en Guillot ?

L'Honorable Adélard Godbout

De ses maîtres d'Ottawa, M. Godbout semble avoir appris l'art de parler pour ne rien dire, de ne se compromettre ni devant les tireurs de ficelle ni devant les ficelés. M. Richer, dans Le Devoir, dit très justement que M. Godbout ne s'est montré "ni chair ni poisson".

De l'insipide discours du premier-ministre de Québec, extrayons une vérité :

"Nous ne nous sommes fait aucune idée arrêtée sur aucune des questions soulevées."

Comment peut-on avoir une idée arrêtée quand on veut ménager à la fois une finance crucifiante et un peuple crucifié ? N'a-t-on pas besoin des deux pour prendre ou garder le privilège intéressant de présider aux cérémonies du sacrifice ?

Une bonne phrase, en toute justice :

"Je pense que nous devons faire face à une situation spéciale avec des mesures d'urgence, mais je ne crois pas que nous devions établir l'avenir du Canada d'après la situation de guerre qui existe à l'heure actuelle."

Par contre, une autre remarque de M. Godbout prouve qu'il en sait moins que bien des cultivateurs, des ouvriers, des journaliers et des colons de sa province sur la cause non nécessaire des dettes publiques :

"J'avais cru que nous aurions pu trouver ici le moyen de distribuer équitablement le fardeau."

Quel fardeau ? Qui l'impose ? N'y aurait-il pas moyen de s'en débarrasser au lieu de le répartir ? M. Godbout aurait bien dû profiter de la circonstance pour demander une entrée en matière à M. Aberhart. Mais les créditistes de la province de Québec la lui donneront en temps et lieu.

L'Honorable Mitchell Hepburn

M. Hepburn avait des idées plus arrêtées que M. Godbout. Il l'a démontré. Voici quelques points intéressants de son discours :

Contre les débats secrets :

"Les délégués ontariens désirent déclarer publiquement et brièvement qu'ils ne veulent être, en aucun temps, partie à un arrangement qui priverait la presse et le public des renseignements vitaux auxquels ils ont droit."

Contre la propagande organisée :

"Ceux d'entre nous qui croient en la démocratie ont en horreur le simple mot de propagande, parce que la mise en circulation d'idées toutes faites par un pouvoir centralisé est le pire ennemi de la civilisation."

Contre une presse hypocrite :

"Je saisis l'occasion d'avertir la presse purement financière et d'autres qu'ils ont forcé leur jeu en tentant de couvrir ce rapport du manteau du patriotisme, rapport qui, sous le couvert des nécessités de la guerre, causera un dommage irréparable et à l'unité et à la confiance nationales."

À l'adresse d'intérêts privés à l'affût :

"Le rapport reçoit, et c'est naturel, un appui puissant. De grandes entreprises financières et de riches individus qui détiennent des obligations provinciales appuient un projet qui placerait le crédit du Dominion en arrière des titres provinciaux dont la valeur marchande s'est grandement détériorée. Un courtier de Toronto a estimé que l'adoption du rapport pourrait ajouter 120 millions à la valeur des obligations des provinces des prairies."

Pour un enjeu de 120 millions, il n'est pas étonnant que ces milieux riches financent une propagande. On dit aussi que M. Hepburn fit à Ottawa cette déclaration :

"Nous devons nous débarrasser du système monétaire orthodoxe, et le plus tôt possible."

Décidément, les yeux s'ouvrent, même à Toronto.

L'Honorable William Aberhart

C'est le premier-ministre d'Alberta qui a dit le plus de vérités. Il ne sort pas d'une taupinière. On sait si le Crédit Social jette des lumières sur toute la chose publique.

Le Devoir, de Montréal, qui ne fut jamais bien chaud pour Aberhart et le Crédit Social, lui a fait les honneurs d'une colonne entière. Et dans une revue générale de la Conférence et des discours, Léopold Richer écrit : "Aberhart a prononcé un discours solide, brillant, débordant de bon sens." Le bon sens, mais c'est l'essence du Crédit Social.

Comme Hepburn, Aberhart dénonce la propagande organisée faite par des puissances intéressées à l'adoption du rapport. Puis voici quelques remarques du premier-ministre créditiste qui ne durent pas être sans impressionner même les esprits camisolés qui entouraient la table des délibérations :

"Je ne crois pas que notre constitution confédérative soit responsable des trois grands D qui ont marqué l'histoire industrielle de quelques-unes de nos provinces : Décadence, Débilitation, Décès menaçant. Je crois cependant que quelque chose en est responsable. C'est bien plus notre système économique que notre constitution qui demande un redressement."

Centralisation :

"Tout projet destiné à régler nos problèmes par la centralisation est opposé au grand idéal d'un gouvernement britannique."

La poursuite de la guerre, simple prétexte :

"Je ne vois pas que l'adoption du rapport Sirois donnerait au gouvernement fédéral un pouvoir qu'il n'a pas déjà pour diriger notre effort de guerre... Le gouvernement fédéral s'est déjà fait accorder tous les pouvoirs nécessaires, en vertu de la loi des mesures de guerre, pour mettre à profit toutes les ressources du pays durant le conflit."

Le système financier est le responsable :

"Le présent système financier ne peut supporter le fardeau qu'on lui impose. Il faut organiser un autre système financier et économique. Impossible même pour le gouvernement fédéral de régler le problème des chômeurs et du chômage sous le système actuel."

Le bon sens brille par son absence :

"Sous notre stupide régime d'accumulation de dettes, celles-ci seront devenues si grandes, après la guerre, que nous devrons bien alors voir à ce problème d'une façon globale. Si la Banque du Canada se juge capable de se charger de toutes les dettes provinciales, en retour du vasselage des provinces, pourquoi ne peut-elle pas permettre le remboursement des dettes provinciales par les provinces elles-mêmes, à des conditions raisonnables pour elles ?"

La population commence à voir clair :

"Lorsque la population s'est rendu compte que, avec l'adoption du rapport, le fardeau des dettes ne serait pas moins grand, qu'il serait plutôt plus grand, et que les seuls peut-être à pouvoir bénéficier des changements seraient les grandes compagnies et les institutions financières ; lorsque la population a compris que le standard des services sociaux lui serait enlevé et confié à la discrétion d'une commission financière semi-indépendante, elle s'est demandé qui voulait cette réforme à pareille heure."

Naturellement, les journaux laquais des partis, comme le Canada de Montréal, n'ont rien trouvé de bon à glaner dans les paroles d'Aberhart. Les banalités du pupille de Québec sont sans doute plus nutritives.

M. Maurice Duplessis

M. Maurice Duplessis n'était pas membre de la conférence. En sa qualité de chef de l'opposition, il a cru devoir faire une déclaration aux journaux.

En habitué, il cherche un avantage politique dans toute cette affaire. Mais au milieu de phrases sonores, où se trouvent des vérités que personne ne conteste et qui ne sont point son apanage, il laisse percer la même ignorance qui, presque générale chez nos politiciens, étonne de plus en plus le public qui s'instruit. Les jours de la cabale et de l'intrigue vont disparaître, les maîtres cabaleurs et intrigants avec.

M. Duplessis ne veut pas de la centralisation, c'est très bien. Il parle des fourches caudines des banques. Mais qu'a-t-il donc fait en trois ans, avec sa grosse majorité, pour réclamer le contrôle du crédit usurpé par les banques ? Duplessis parle, Aberhart agit.

Depuis le 25 octobre 1939, au moins, M. Duplessis aurait dû avoir un peu plus de temps pour s'instruire. Il en est encore à s'accrocher au système d'emprunts. "Avec le rapport Sirois, dit-il, la province ne pourrait plus emprunter à l'étranger."

Pourquoi la province devrait-elle avoir besoin de la plume de comptables de Boston ou de New-York pour appliquer sa main-d'œuvre libre à des ressources naturelles dont elle a reçu cadeau de Dieu ?

Pas plus, d'ailleurs que des plumes de Montréal ou de Toronto !

Dès l'avènement de son terme d'administration, M. Duplessis reçut des créditistes du Québec l'offre de lui indiquer le moyen de financer la province sans emprunt. Cela le fit sourire. N'avait-il pas dans le temps les bonnes grâces de la Montreal Light, Heat and Power, d'autres aussi, et toute une cour d'acéphales pour le soutenir ?... Deposuit potentes de sede...

Louis Even

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