La politique - Bien commun et ordre social

Louis Even le lundi, 01 janvier 1940. Dans La politique

Le passage d’une année à une autre invitant à s’arrêter un peu pour faire l’orientation de la vie, nous croyons opportun de soumettre ici quelques réflexions propres à suggérer aux lecteurs au moins des essais d’orientation dans la vie politique.

L’HOMME EST UNE PERSONNE

Si l’on a bien suivi les articles du R. P. Landry, dont ce numéro de Vers Demain présente le cinquième, sous la rubrique Ordre social temporel chrétien, en page 2, on aura remarqué avec quelle clarté l’auteur construit sa thèse. Puisqu’il s’agit d’un ordre établi pour l’homme, il faut d’abord définir ce que c’est que l’homme.

On marcherait moins à l’aveuglette si l’on retenait, en politique comme en économique, que le milieu doit être adapté à l’homme et non l’homme déformé pour le milieu. Les systèmes existent pour l’homme, non pas l’homme pour les systèmes.

L’homme est une personne. Une personne, c’est un être intelligent, libre, immortel. L’homme est cela, pas l’animal, ni la chose, ni même l’argent qui commande tant de respect.

L’HOMME VIT EN SOCIÉTÉ

Mais du fait qu’il est une personne, l’homme est un être sociable. Toutes les personnes sont sociables par nature. Nous avons appris au catéchisme qu’il y a trois sortes de personnes dans l’univers : les personnes humaines, les personnes angéliques et les personnes divines.

Toutes sont sociables. Et plus on s’élève dans la hiérarchie, plus la sociabilité est remarquable. Les anges sont plus distincts les uns des autres qu’un nègre l’est d’un blanc, puisque chaque ange est une espèce : cependant ils vivent en société beaucoup plus intime et plus parfaite que la société humaine. Montez plus haut : les trois personnes divines, infiniment distinctes l’une de l’autre, vivent une société si infiniment intime qu’elles ne sont qu’un seul Dieu.

Le modèle de la société humaine est là :

"Mon Père, faites qu’ils soient uns comme Nous sommes Un."

Puisque la personne humaine est foncièrement sociable par nature, elle ne peut bien se développer que dans un ordre social.

Même dans la simple poursuite de biens matériels, l’homme sent le besoin de s’associer. Toute association suppose une communauté d’objectif.

Puisque l’homme est naturellement sociable, les biens qu’il recherche sont nécessairement des biens communs.

DIVERS GROUPEMENTS

La personne humaine poursuit divers biens, et s’associe avec d’autres personnes humaines pour poursuivre plus efficacement ces divers biens. Les associations sont diverses, comme le sont les biens communs poursuivis.

Dans l’ordre surnaturel, c’est l’association pour atteindre la fin dernière, le Royaume de Dieu ; cette association s’appelle l’Église.

Dans l’ordre temporel, il y a différents biens communs : le bien de la famille, celui de la profession, celui de la municipalité, celui de la province, celui de la nation, celui de la grande cité temporelle (l’ensemble des nations).

D’où autant de sociétés dans lesquelles se groupent les personnes humaines.

Chaque société poursuit un certain bien, c’est son bien commun.

Dans un ordre social bien établi, il ne peut y avoir conflit entre les divers biens communs, puisqu’ils répondent tous à des besoins de la personne humaine.

L’AUTORITÉ — LA LOI

La personne humaine est une personne déchue par le péché originel, et quoique rachetée par la grâce elle reste faible. Mais parce qu’elle vit en société, elle a ou doit avoir pour la protéger contre sa faiblesse l’autorité et la loi dans les diverses sociétés dont elle fait partie.

L’autorité est gardienne du bien commun. Dans la famille, l’autorité des parents défend contre les égoïsmes individuels. De même dans la profession organisée, l’autorité des officiers choisis par les membres de la profession protège ces derniers, par des règlements et des sanctions, contre les égoïsmes particuliers. Dans un ordre social complet et hiérarchisé, le conseil interprofessionnel exercerait le même service contre les égoïsmes collectifs de l’une ou de l’autre profession, ce qui déchargerait l’État d’une intervention à peu près toujours à la fois tardive et maladroite.

On connaît l’autorité municipale et les règlements municipaux ; l’autorité provinciale et les lois provinciales ; l’autorité fédérale et les lois fédérales.

"Faire acte d’autorité doit être avant tout faire acte d’intelligence," écrit le sociologue dominicain.

Elle établit de l’ordre pour que tous sous sa juridiction atteignent le bien commun.

"Elle entraîne vers un bien commun en mettant de l’ordre au sein d’une activité collective (Id.)

En cela, l’autorité aide simplement la personne humaine, car ce n’est pas le bien individuel qu’il faut d’abord chercher, mais le bien commun, puisque c’est dans le bien commun, dans l’ordre que la personne humaine se développera normalement.

DÉDUCTIONS

Une autorité qui ne fait pas acte d’intelligence est une prostitution. Une autorité qui, au lieu de veiller au bien commun, cultive les égoïsmes individuels ou collectifs est une dégradation.

Si l’autorité supérieure ne soutient pas et feint d’ignorer les autorités inférieures dans leurs ordres respectifs, l’anarchie aura beau jeu dans la multitude. Si elle veut supprimer les organismes inférieurs et dicter d’en haut, c’est la dictature, c’est la négation des divers biens communs de la personne humaine et des divers cadres dans lesquels elle devrait les poursuivre naturellement. C’est le totalitarisme d’État justement condamné.

À noter que, dans nos systèmes dits démocratiques, l’on remarque ce caractère tant reproché aux dictateurs : le gouvernement prétend tout faire, régir des détails qu’il abandonnerait avantageusement, non pas aux individus isolés, mais aux autorités des paliers inférieurs. C’est le fruit naturel d’une philosophie qui ne voit qu’individus d’une part et État d’autre part.

Comme, par ailleurs, dans un régime démocratique, le peuple choisit ses gérants, l’impossibilité d’obtenir l’épanouissement de la personne dans une agglomération chaotique pousse à des groupements en vue de conquérir le pouvoir et de favoriser les égoïsmes particuliers ou collectifs de ces groupements. Nous serions tentés d’écrire : autorité usurpée.

Les grands principes sont foulés aux pieds. La loi n’est plus

"un plan d’action concertée vers un bien commun" (Père Landry).

Ce n’est plus

"une technique rationnelle d’action commune, établie en fonction du bien social" (Père Laversin, o. p.).

Qu’on fasse application, par exemple, à la loi des banques, à la loi des compagnies anonymes. Qu’on remarque, d’une part, le réseau des lois établi pour protéger le capital argent et les sanctuaires de l’argent ; d’autre part, la pénurie ou l’absence de lois pour protéger le capital humain et la famille où on le prépare.

Nous invitons nos lecteurs à lire et étudier très attentivement les articles riches de doctrine du R. P. Landry. Ils y trouveront, exposés avec clarté et enchaînement, les principes d’un ordre politique sain, les considérations qui doivent présider à la structure d’un ordre social temporel chrétien. Lorsqu’il sera chrétien, il sera certainement humain, et il fera bon y vivre.

Louis Even

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