On peut dire de l'État qu'il a quelque chose de Cyrano. Son long nez trempe partout dans nos affaires personnelles. De nos jours, l'État a le grand défaut de vouloir se mêler un peu trop de ce qui ne le regarde pas et de ne pas se mêler assez de ce qui le regarde.
Quant à la monnaie, inutile de vous dire qu'on ne la trouve pas partout. Tout le monde, y compris l'État, nous en demande, et bien peu nous en offrent. Entre l'offre et la demande, le divorce est complet.
L'État. Les uns se l'imaginent gendarme; les autres, patriarche. À tort ou à raison, le contribuable se dit: "Qu'en sa qualité de gendarme, l'État nous permette de vivre; et s'il n'a pas le courage de sévir contre ceux qui nous empêchent de vivre, eh bien! qu'en sa qualité de patriarche, il nous fasse vivre."
Devant une gendarmerie plus ou moins consciente de ses devoirs et de ses responsabilités, de plus en plus nombreux sont les adeptes du paternalisme d'État.
Même si nous en restons à l'État-gendarme, l'État, comme tel, a des pouvoirs sur et des devoirs envers la monnaie. De même qu'un gendarme "up-to-date" peut être appelé à surveiller la circulation au coin des rues, pour éviter les embouteillages qui entravent la course des véhicules et la marche des piétons; ainsi l'État doit surveiller l'instrument monétaire et voir à ce qu'il n'entrave pas la libre circulation des richesses. Il doit de plus adopter les mesures législatives qui s'imposent pour sauvegarder et protéger la valeur ou le pouvoir d'achat, intérieur et extérieur, de SA monnaie.
Nous disons SA monnaie, car un État qui n'exerce pas sa souveraineté monétaire est un souverain sans royaume.
État, te disons-nous, sois, non seulement en droit mais en fait, maître de ta monnaie, sinon tu seras l'esclave de l'Argent. Entre le blé, les chaussures et le travail de l'homme, ne l'oublie jamais, s'interpose constamment l'instrument monétaire. La monnaie, c'est le point de contact, le trait d'union qui les relie tous. Permets au producteur de produire, au consommateur de consommer, à l'épargnant de thésauriser, au débiteur de s'endetter et au capital de s'édifier.
La monnaie n'est pas partout, mais en demande partout, indispensable partout. Sur elle pivote les échanges et, en un mot, toute notre vie économique.
La monnaie peut être deux choses: marchandise ou symbole.
Si elle est marchandise (métaux précieux) , la souveraineté de l'État sera purement symbolique, puisque la monnaie tire alors sa valeur d'elle-même. Si elle est symbole (papier, écritures) , la souveraineté de l'État devra s'imprégner de réalisme, puisque la monnaie n'a alors qu'une valeur conférée. L'État doit se rendre responsable de la valeur conférée à l'argent; donc, sinon faire lui-même, au moins surveiller les émissions, en déterminer le volume, prendre des initiatives, diriger dans une certaine mesure.
Roger VEZINA