L’économique – Trésor commun

Louis Even le mercredi, 01 janvier 1941. Dans L'économique

Les catholiques qui récitent encore le Symbole des Apôtres y prononcent cette profession de foi : Je crois... à la communion des saints.

Les saints, ce sont les membres de l'Église, qu'ils soient sur la terre, dans le purgatoire ou dans le ciel. Le catholique croit à la communion des saints, il croit donc que tous les membres de l'Église forment une société et que, de cette association, chacun tire des avantages qu'il n'aurait pas isolément.

Nous avons un exemple de ces avantages dans ce qu'on appelle les indulgences.

L'Église possède un trésor spirituel fait, nous dit le catéchisme, des mérites surabondants de Notre-Seigneur, de la sainte Vierge et des saints.

À ce trésor contribuent donc les plus illustres producteurs de richesses spirituelles de l'Église.

Mais l'Église ouvre ce trésor largement à tous ses enfants. Elle nous invite à y puiser largement. Moyennant des conditions très douces en face des immenses résultats à obtenir, elle nous accorde des indulgences, partielles ou plénières, sans crainte d'épuiser son trésor. Nous dirions même que, plus on y puise, plus il grossit, parce que les âmes qui y recourent se purifient, se fortifient, se sanctifient et, à leur tour, contribuent au trésor commun.

Nous savons cela, même si nous l'oublions trop, et notre catéchisme et notre curé nous l'expliqueront bien mieux que le journal Vers Demain.

Où donc voulons-nous en venir ?

Trésor commun temporel

Il nous semble qu'une société temporelle qui copierait la société spirituelle ne serait pas trop mal avisée, puisque cette dernière est inspirée du Saint-Esprit.

Et nous croyons que, dans le temporel aussi, il existe un trésor commun. Et s'il y a des indulgences dans l'ordre spirituel, il devrait y avoir des dividendes dans l'ordre temporel.

Mais de quoi est composé le trésor commun temporel ? Voulons-nous prêcher l'abolition de la propriété privée et la mise de tous les biens en commun ?

Non. Nous maintenons qu'il y a des choses qui sont propriété privée et d'autres qui sont propriété commune. Et c'est pour cela que nous ne sommes ni des capitalistes individualistes ni des communistes.

L'école individualiste dit : Tout est privé. L'école communiste dit : Tout est commun. L'école créditiste dit : Il y a propriété privée et propriété commune.

On connaît assez la première. Parlons de la seconde. Quelques exemples de propriété commune.

Dans la province de Québec, entre autres choses, on a des forêts de la couronne et des chutes d'eau. À qui cela appartient-il ? L'honorable ministre des terres et des forêts est-il plus que vous ou moi propriétaire des forêts de la couronne et des chutes d'eau ? Il l'est autant que moi, je le suis autant que lui. Le dernier des pauvres loqueteux de la province de Québec l'est autant que le premier-ministre.

C'est là une propriété commune qui doit bien rapporter quelque chose tous les ans. Donc chaque citoyen a bien droit chaque année au moins à quelque chose de ce que rapportent ces propriétés communes, bien visibles.

Il y en a d'autres.

Si les trois millions de citoyens de la province de Québec étaient simplement juxtaposés dans le pays, sans aucune relation les uns avec les autres, sans aucune organisation sociale, sans aucun échange, chacun faisant tout pour soi-même, serions-nous bien riches ? Nous en serions sans doute encore à vivre de gibier ou de légumes grossiers, vêtus de peaux de bêtes et logés dans des huttes sans confort.

L'organisation sociale, les relations sociales, la civilisation, la division du travail, etc., ont fait produire mille fois plus et mille fois mieux que si chacun était isolé depuis le commencement du monde.

À qui appartient cette organisation sociale ? Cette valeur de l'association, qui cause le mille fois plus et le mille fois mieux, n'est-elle pas un bien commun ? Est-il donc juste que des membres de l'association soient complètement dépourvus, ne tirent absolument rien du fait de leur association ?

Que dire de la science acquise, transmise et augmentée de génération en génération ? Qui peut s'attribuer la propriété de cet inestimable héritage social qu'une génération transmet, grossi, à la suivante ? Comment, si c'est un bien commun, peut-il y avoir des membres de la société qui n'aient absolument rien ?

Salaires et dividendes

Mais il faut que des hommes apportent le travail de leurs bras ou de leur cerveau pour faire valoir cet immense bien commun ! Assurément, et en retour ils méritent une récompense : salaire, vente de leurs produits. Ils l'ont aujourd'hui.

Il reste tout de même que leur travail n'est pas le tout de ce qu'ils produisent. Il y a de la matière première commune, comme dans le cas des forces hydrauliques transformées en énergie électrique. Il y a le facteur science appliquée, propriété commune, qui entre de plus en plus dans la production et y supplante parfois considérablement le faible apport du labeur humain.

Si, par son salaire ou par la vente de ses produits, le travailleur reçoit la récompense de la part personnelle qu'il apporte, le propriétaire de la chose commune qui entre de plus en plus dans la production doit bien aussi toucher son revenu. Le moyen, c'est le dividende. Le dividende social à tout le monde, c'est la reconnaissance de chacun à sa part d'une propriété commune, comme le salaire et la vente des produits sont la récompense de la propriété privée.

Pour revenir à l'exemple de la communion des saints : les saints reçoivent leur récompense pour ce qu'ils ont fourni au trésor spirituel de l'Église. Chaque chrétien est récompensé selon ses mérites, mais tous et chacun ont accès au trésor spirituel commun.

Si nous poussions la comparaison plus loin, nous ajouterions que, dans le temporel comme dans le spirituel, au moins dans le monde de production abondante et facile que nous connaissons, le dividende à tous augmenterait la production de biens, parce qu'une production potentielle immense n'attend que les commandes.

Un homme qui s'applique, par son travail intellectuel ou physique, à développer les richesses naturelles, à augmenter la production du pays, aura sa récompense en vendant son travail ou son produit, pourvu qu'à cette augmentation de biens corresponde une augmentation de pouvoir d'achat. L'augmentation de pouvoir d'achat est justement opérée par le dividende. Et c'est ainsi que chacun va profiter un peu, et le travailleur beaucoup, de l'augmentation de richesse du pays. C'est ainsi que la propriété privée va se consolider en écoulant ses produits ; et, en écoulant ses produits grâce à un dividende sans lequel elle resterait paralysée, elle accomplira sa fonction sociale.

La communion des saints n'est pas le nivellement, l'égalisation. Ni le Crédit Social non plus. Mais la suppression de la communion des saints ferait dans l'Église ce qu'a fait notre capitalisme individualiste dans la société temporelle ; et ce serait désespérant pour les pauvres pécheurs que nous sommes, tout comme notre système économique est désespérant pour une foule de pauvres consommateurs.

En pensant aux indulgences, songeons au dividende du Crédit Social ; et plus tard, le dividende nous fera penser aux indulgences.

Louis Even

Poster un commentaire

Vous êtes indentifier en tant qu'invité.