L'économique - Qui nous le donnera ?

Louis Even le samedi, 01 août 1942. Dans L'économique

Vous voulez le Crédit Social. Vous voulez une comptabilité qui serve au lieu d'une comptabilité qui endette. Vous voulez un argent qui vienne d'après les choses, et non pas un argent qui limite ou interdise les choses.

Mais de qui attendez-vous cette inauguration ? Êtes-vous encore de ceux qui tournent les yeux vers le gouvernement, qui tressaillent d'espoir lorsque certains politiciens dérogeant à leur nullité habituelle prononcent quelques phrases en faveur d'une réforme monétaire, ou qui se lamentent et gémissent en souhaitant une élection miraculeuse­ment différente des précédentes ? Ou bien, êtes-vous plutôt de ceux qui comptent sur eux-mêmes et sur leur association avec des concitoyens épris du même idéal ?

Eux-mêmes ou le gouvernement ?

Un cultivateur veut un arpent de pommes de terre. Que va-t-il faire ? Son sol est prêt à fournir des betteraves, des carottes, des pommes de terre, du trèfle, du foin, ce que le fermier lui demandera, même du chiendent ou des "bouquets blancs" s'il ne lui demande rien. Mais ce sont des pommes de terre que veut le cultivateur. Connaissez-vous un cultivateur assez bête pour attendre que le gou­vernement vienne les lui donner, ou pour se fier à une prochaine élection fédérale ou provinciale pour avoir son arpent de pommes de terre ?

Voici un colon fraîchement arrivé devant la grande forêt. Il y est venu pour se tailler un do­maine bien à lui : quelque soixante acres de champs et de prairie, un bois entretenu au bout, sans oublier la maison pour une nichée d'enfants, les bâtiments pour élever des animaux et un po­tager pour la famille. Que va faire notre homme ? Désirer que les arbres tombent tout seuls, que les souches sortent de terre au geste, que la maison s'élève sur un signe, que les animaux surgissent sur un soupir, ou attendre que le gouvernement fasse sa terre, d'ici là préparer les prochaines élections ?

Non. Dans les entreprises privées, on ne pousse pas la stupidité jusqu'à cet extrême, bien qu'une multitude de désossés ou d'enchaînés n'aient plus le courage ou n'aient plus la liberté de se choisir une carrière et se fient, pour leur gagne-pain, à un emploi au service du gouvernement.

Associations privées ou gouvernement ?

Mais, même dans les choses à faire en groupe, par association, il est encore des Canadiens qui savent utiliser leur propre initiative, au lieu de tourner vers le gouvernement des yeux de mori­bonds.

On en trouve un bel exemple dans les caisses populaires ou dans les coopératives vraiment in­dépendantes.

Quarante hommes décident de placer leurs sur­plus dans une caisse administrée par eux, d'em­prunter de leur caisse et de rembourser à leur caisse, de faire fructifier par des membres de leur groupe les surplus mis en commun et d'en tirer des intérêts et des dividendes.

Pourquoi attendraient-ils que le gouvernement prenne la chose en main ou l'impose à toute la na­tion ? Non, ils le font eux-mêmes, et lors qu'ils ont appris à le faire, lorsqu'ils sont devenus leurs pro­pres banquiers pour leurs placements et leurs em­prunts, ils ne voudraient pour rien au monde voir le gouvernement s'emparer de leur institution. Ils ont cent fois raison. Le gouvernement pourrait-il faire pour eux mieux qu'ils font eux-mêmes ?

Si des hommes, comprenant l'usage de l'argent, peuvent ainsi s'associer pour se libérer des exploi­teurs en prêts et en placements, pourquoi des hom­mes qui comprennent la nature et la naissance de'l'argent ne s'associeraient-ils pas pour se débar­rasser des exploiteurs à l'origine de l'argent ?

C'est ce que font les membres de l'Association Créditiste.

Un point gagné

Il a fallu des énergies, des trésors de dévoue­ment et de ténacité pour faire tomber les voiles, pour dissiper le mystère dont on entourait la créa­tion et la suppression de l'argent. Aujourd'hui, personne n'ose plus contredire ce que les créditis­tes n'ont cessé de proclamé sur tous les tons, con­cernant la création et la destruction de l'argent par les banques. Il y a cinq ans, dans la province de Québec, on recevait plus sceptiquement les as­sertions des créditistes. "C'est trop fort pour être vrai", disait quelqu'un à Québec. L'automne der­nier encore, un défenseur attardé des banquiers, le "Fiat Lux" de Drummondville, publiait arti­cles sur articles pour démontrer que les banques ne créent pas d'argent. Il peut maintenant médi­ter non seulement les réponses de Graham To­wers rappelées en Chambre des Communes par Arthur Slaght le 15 juillet dernier, mais les décla­rations du ministre des Finances lui-même, l'Ho­norable Ilsley : "Lorsqu'au nom du gouverne­ment j'emprunte des banques à charte, disons $100,000, le banquier porte tout simplement au compte du gouvernement la somme de $100,000, et de ce fait le total des comptes de banque du pays se trouve accru de $100,000. En d'autres ter­mes, il résulte de cette transaction qu'il existe pour $100,000 de plus de monnaie nouvelle que si j'a­vais emprunté de mon honorable ami". (Hansard, p. 4739).

Donc, les créditistes ont gagné un point. Ils ont fait la lumière dans les esprits sur la question de l'argent. Ce sont eux qui ont fait cela. Eux, pas les professeurs des universités, ni les luminaires de la politique. Les petits créditistes, créditistes en salopettes d'ouvriers et créditistes en habits de paysans, créditistes bafoués et créditistes rebutés, créditistes calomniés et créditistes incompris, répé­tons-le, ce sont eux, les créditistes, qui ont sorti la vérité du puits.

S'ils n'y avaient pas apporté l'ardeur persistan­te dont on leur faisait un crime, le courage redou­blé après chaque coup même au risque de passer pour des orgueilleux et des insoumis, le monde en serait encore à croire que l'argent commence et fi­nit par des lois naturelles aussi inévitables que la révolution annuelle de la terre autour du soleil.

Un autre effort plus grand

Eh bien, il faudra un autre effort plus grand encore, de la part des créditistes, pour décider leurs concitoyens à sortir de la passivité et à pren­dre leurs propres affaires en main.

Par suite de quelle formation politique défec­tueuse, par suite de quelle apathie entretenue, la plupart des gens en sont-ils venus à ne plus croire en eux-mêmes, à tout attendre du gouvernement et à se contenter de plaintes lorsque le gouverne­ment ne fait rien ? Comment aussi en est-on venu à s'imaginer qu'une élection peut suffire à redres­ser des désordres accumulés par des décades d'in­souciance ou de luttes fratricides ?

La besogne sera faite à notre goût, lorsque nous aurons appris à retrousser nos manches et à la fai­re nous-mêmes. Et non seulement aurons-nous alors ce qui nous convient au lieu de subir ce que d'autres veulent bien nous imposer ; mais nous au­rons développé notre personnalité, notre esprit d'initiative, notre sens des responsabilités : nous pourrons faire de grandes choses pour notre pays. Deux hommes publics se rencontrent sur quel­que bateau ou quelque île de l'Océan et commu­niquent aux journaux le texte d'une charte de l'Atlantique. L'univers applaudit. Puis on attend passivement que s'ouvre l'ère nouvelle, tout en continuant de marcher exactement dans la voie de l'ère ancienne.

Que deux hommes du peuple se rencontrent, dé­cident ensemble de poser un acte, des actes, pour délivrer leurs frères de la dictature d'argent : mê­me si les journaux n'en parlent pas, ces deux hom­mes-là ont plus avancé l'avènement d'un ordre nouveau que tout le tintamarre fait aux quatre coins de l'univers autour de promesses vagues dont les financiers se chargent de payer les funé­railles.

Les actes de ces deux humbles hommes d'action, le développement de leur initiative personnelle, le rayonnement de leur charité, battent tous les ap­plaudissements et les extases calculées qui ne mè­nent à rien.

Ce qui faisait récemment écrire par le major Douglas :

"Lorsque, il y a quelque temps, "quelque part en Angleterre", une équipe d'ouvriers, découvrant qu'on les faisait travailler sur du matériel "sujet à l'inspection militaire japo­naise", refusèrent de continuer, ils firent quelque chose de plus important que la ré­daction de nébuleuses chartes de l'Atlanti­que"

Pourquoi ? Parce que ces ouvriers posèrent un acte raisonné, cessèrent d'être des automates et proclamèrent implicitement que les institutions sont faites pour servir les hommes, et non les hom­mes pour servir les institutions. Ils se prirent en main au lieu de se laisser porter sans réfléchir.

Nous aurons le Crédit Social, lorsque nous au­rons appris à nous mettre ensemble et à nous tenir ensemble, pour façonner nous-mêmes un régime créditiste, pour bâtir nous-mêmes une économie nouvelle, par des efforts soutenus, par des éner­gies ordonnées, par des actes répétés, au lieu de l'attendre niaisement du simple geste de faire, en passant, une croix au crayon sur un bulletin de vote.

LOUIS EVEN


Étapes d'un plan

1.—Restreindre la production de betteraves à sucre ;

2.—Introduire le rationnement volontaire du sucre ;

3.—Imposer le rationnement obligatoire du sucre ;

4.—Taxer le bonbon des petits enfants.

(Today and Tomorrow)

De Lord Athlone, gouverneur-général du Ca­nada :

"Nous devons voir à ce que notre système économique s'adapte aux exigences des con­sommateurs plutôt qu'à celles des produc­teurs."

Très bien. Mais lorsque les produits viennent par la machine, sans contribution personnelle de travail, donc sans salaires correspondants, va-t-on saboter la machine pour qu'elle ne produise plus, ou va-t-on donner aux consommateurs des divi­dendes pour acheter ce que la machine fait ?

Louis Even

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