L’économique – Pouvoir d’achat

le samedi, 01 mars 1941. Dans Citations, L'économique

Le pouvoir d'achat, c'est la capacité d'acheter. On a du pouvoir d'achat lorsqu'on a de l'argent, soit dans sa poche, soit dans un compte de banque.

Philippe n'a pas d'argent, il ne peut acheter. S'il possède des choses, Philippe peut certainement échanger ces choses contre d'autres, à condition qu'il trouve une autre personne ayant justement besoin de ce qu'il a et que cette personne produise justement ce dont Philippe a besoin.

C'est une double condition difficile à rencontrer entre individus. Aussi le troc n'est pas pratique entre individus. Il peut fonctionner entre pays, lorsque les gouvernements respectifs se font commerçants en gros.

Il reste que le pouvoir d'achat est lié à l'argent.

Vous pouvez acheter d'autant plus de choses que vous avez plus de piastres et que la piastre peut acheter davantage.

Si un dollar achète une poche de pommes de terre et que vous avez dix dollars, vous pouvez acheter dix poches de pommes de terre. Si vous avez vingt dollars, vous pouvez acheter vingt poches.

Par ailleurs, si les pommes de terre montent à $1.25 la poche, vous ne pouvez plus en acheter que huit avec $10.00 et seize avec $20.00.

Le pouvoir d'achat dépend donc de deux choses : la valeur de la piastre et le nombre de piastres.

La valeur de la piastre

La valeur de la piastre n'est pas toujours la même. C'est-à-dire que la piastre n'achète pas toujours la même quantité de choses.

Connaissez-vous des maisons qui valaient $10,000 il y a douze ans et pour lesquelles le propriétaire n'obtiendrait pas $8,000 aujourd'hui, même si ces maisons ont été améliorées ?

Connaissez-vous des fermes payées $5,000 il y a quinze ans et qui ne se vendraient pas $4,000 aujourd'hui, même si ces fermes ont été améliorées ?

La maison, la ferme n'ont pas changé de valeur. C'est la piastre qui a changé de valeur.

D'où cela vient-il ?

Argent rare

Lorsque les piastres sont rares et que les produits sont abondants, ceux qui ont des produits cherchent à s'en défaire pour avoir des piastres. Ceux qui ont des piastres hésitent à les laisser aller, car ils savent que c'est difficile d'en avoir d'autres : l'argent est rare. Ils se font prier et il faut leur offrir plus de produits pour obtenir leurs piastres.

Ainsi, quand l'argent est rare, la piastre a plus de valeur et le produit en a moins, les fermes en ont moins, les maisons en ont moins, le travail de l'ouvrier en a moins. Tout baisse de prix quand l'argent est rare. C'est le règne de celui qui a de l'argent et la ruine de celui qui n'a que son travail et le produit de son travail.

On appelle cette situation déflation — affaissement des prix en face de l'argent rare.

Vous n'entendez jamais les banquiers parler contre la déflation. Le monde souffre dans la déflation, mais ceux qui contrôlent l'argent sont les maîtres, ils obtiennent davantage pour moins. Cela fait leur affaire.

Par ailleurs, c'est dans ce temps-là que les gens, pour ne pas se laisser mourir, se tournent vers les gouvernements, les gouvernements vers les banquiers. Les banquiers font les termes aux gouvernements, les gouvernements font les conditions aux nombreuses gens dans le besoin. C'est donc le temps de l'avilissement, de l'enrégimentation, de l'asservissement des citoyens aux gouvernements, de l'asservissement des gouvernements aux banquiers. Cela fait l'affaire des puissances qui visent à contrôler le monde entier, et elles ont l'appui de politiciens bêtes ou crasseux qui servent de contremaîtres d'esclaves.

Expansion monétaire

D'un autre côté, si le nombre de piastres en circulation augmente, les gens achètent davantage. Les commandes pleuvent. Si les cultivateurs et les industriels fournissent les produits aussi vite qu'on les demande, ça va bien. On appelle cela prospérité.

S'il vient un moment où les cultivateurs et les industriels ne peuvent plus suffire aux commandes, s'ils n'ont pas assez d'ouvriers ou de machines pour fournir les produits, les produits montent de prix, parce qu'ils sont plus rares que la demande. Avec une piastre, on achète moins ; on appelle cela de l'inflation.

L'inflation, ce n'est pas l'abondance d'argent, c'est le manque de produits.

On peut augmenter l'argent sans inflation tant que la production est capable, avec ses hommes et ses machines, de fournir la demande. C'est quand on manque d'hommes, de matériels et de machines, comme en Allemagne au sortir de l'autre guerre, qu'il y a inflation si on continue à mettre de l'argent en circulation, parce qu'il n'y a rien à acheter avec cet argent.

M. Beaudry Leman est-il de notre avis ? Si oui, à quelle distance de nous est l'inflation ?

Si les piastres augmentent et que les produits augmentent dans la même proportion, les prix ne sont pas portés à augmenter ; ils sont au contraire susceptibles de baisser à cause de la grande quantité. Plus une entreprise fournit de produits dans un temps déterminé, surtout avec la mécanisation, plus elle peut vendre chaque article à meilleur marché.

Le nombre de piastres

Comme quoi on voit que le nombre de piastres a de l'influence sur la valeur de la piastre.

Si le nombre de piastres est tenu en rapport constant avec la quantité de choses offertes, la piastre a des chances de garder une valeur constante.

Et comme il y a beaucoup de choses offertes ou à offrir au Canada, cela voudrait dire beaucoup de piastres au Canada. Le pouvoir d'achat serait l'équivalent du pouvoir de production.

Pourvu évidemment que ces piastres soient à la bonne place, à la place où elles doivent être pour acheter : entre les mains des hommes et des femmes qui ont besoin des choses offertes.

L'argent qui n'est pas là ne tire pas sur la proproduction, il n'achète pas, il ne compte pas pour le pouvoir d'achat effectif.

Pourvu aussi que ces piastres viennent dans les mains des consommateurs en même temps que les produits viennent devant les consommateurs.

Si beaucoup de produits et peu de piastres se font face en janvier ; peu de produits et beaucoup de piastres en février — ça ne fera pas une valeur constante pour la piastre : ce sera déflationnaire en janvier et inflationnaire en février, même si le total des deux mois est le même dans la production et dans l'argent distribué.

L'équilibre

Si l'on veut que les produits s'écoulent normalement, que les consommateurs soient constamment satisfaits autant que la production peut les satisfaire, il faut donc voir à ce qu'il y ait constamment équilibre entre ces deux choses : les produits devant les consommateurs, l'argent entre les mains des consommateurs.

Cela peut-il se faire ? Oui si l'argent est aussi facile à faire que les produits et s'il y a en charge un organisme capable de compter.

On sait que l'argent est bien plus facile à faire que les produits, que l'argent moderne se fait instantanément par le moyen d'une entrée comptable autorisée.

On sait par ailleurs que la comptabilité est la science la plus exacte. Il n'y a donc aucune difficulté technique à établir cet équilibre qui signifiera la prospérité constante pour les Canadiens aussi longtemps que le Canada pourra fournir de quoi manger, s'habiller, se loger, se chauffer, se récréer.

Y a-t-il actuellement au Canada un office de comptabilité pour voir à cela ? Non.

Comment se font les deux choses en présence : la production et le pouvoir d'achat ?

La production se fait par le travail des hommes et des machines. À mesure qu'elle est finie, elle est offerte au public moyennant un certain prix déterminé par ceux qui la préparent.

Le pouvoir d'achat, lui, vient entre les mains du public qui travaille par les salaires, les gages ; entre les mains de quelques autres, par des intérêts, des dividendes. Un grand nombre d'hommes et de femmes ne reçoivent rien.

Est-ce que l'argent vient dans les mains du public acheteur en même temps que le produit vient devant lui ? La concordance exacte est impossible.

Des ouvriers reçoivent des salaires cette semaine pour de la production qui ne sera finie que dans un mois peut-être, parce qu'elle doit passer par d'autres procédés avant d'être offerte au public.

Des capitalistes reçoivent des dividendes le 30 juin sur de la production finie en janvier, en février, en mars, etc.

Des maçons, des charpentiers, des employés du bâtiment, construisant une usine, reçoivent cette année de l'argent sur une chose qui n'est pas mise en vente. L'usine, par contre, va produire des choses qui devront comprendre le prix de l'usine l'année prochaine et les dix ou vingt années suivantes.

Des cultivateurs, des pêcheurs apportent de la production sur le marché sans distribuer de l'argent nulle part pour l'acheter.

Des soldats, des pompiers reçoivent de l'argent sans qu'aucune production vienne sur le marché.

Des gros actionnaires reçoivent des dividendes importants, mais ne s'en servent pas comme pouvoir d'achat, malgré que le montant de ces dividendes entre dans les prix des produits placés dans les vitrines.

Une production immense de services professionnels est offerte à des prix vingt fois supérieurs à l'argent mis en circulation par ceux qui les offrent.

Un étudiant distribue de l'argent en payant son cours en 1941, et c'est de 1946 au bout de sa carrière qu'il placera des services en vente.

Nous pourrions continuer cette énumération ad infinitum.

Est-il possible de mettre de l'accord entre l'argent distribué à la bonne place et des produits et services offerts à la bonne place ?

Ni la facture des prix ni la distribution des salaires ne le peut. Si elles pouvaient, à la rigueur mettre de l'accord dans la quantité, elles ne pourraient certainement pas en mettre dans le temps.

Ce n'est donc pas à la facture des prix ni à la distribution des salaires qu'il faut demander de rendre la distribution idéale. Les socialistes prétendent y arriver par ces moyens : ils courent après la lune et n'aboutissent qu'à violenter les personnes.

Il faut un mécanisme scientifique exprès pour maintenir l'équilibre. Ce mécanisme existe-t-il ? Non. Jusqu'ici, on a préféré tourner en rond, sauter les uns sur les autres, plutôt que d'établir un mécanisme de comptabilité du pouvoir d'achat.

Il y a bien un certain mécanisme pour manufacturer de l'argent : la banque. Mais du côté de l'équilibre à établir, il est absolument anarchique. Le banquier fait de l'argent pour un temps déterminé : un an, dix ans, vingt ans. Qu'est-ce qui lui dit que, dans un an, dix ans, vingt ans, la production rendue possible par son crédit sera tarie ?

★ ★ ★

Le mécanisme à établir est d'une simplicité extrême, et c'est probablement le grand défaut que lui trouvent les critiques.

Point n'est besoin d'intervenir dans la production, dans la consommation. Point n'est besoin de régenter les producteurs, les consommateurs : choses à la fois difficiles et répugnantes.

Point n'est besoin de suivre l'argent dans le dédale de son cours ; de réglementer l'usage que devra en faire le riche Gordon ou le pauvre Baptiste.

Point n'est besoin d'enquêter pour savoir si l'argent a été distribué avant, pendant ou après la mise du produit sur le marché.

Point n'est besoin d'inquisition pour connaître la valeur morale de l'individu qui veut manger on prendre le train pour les Montagnes-Rocheuses.

Rien de cela. Un simple mécanisme correcteur du pouvoir d'achat. Une simple comptabilité pour faire les entrées du côté faible pour le monter au niveau du côté fort.

Mécanisme correcteur constamment à l'œuvre, pour maintenir constamment et scientifiquement le pouvoir d'achat en rapport avec le pouvoir de production. Opérant aussi de telle manière que c'est le consommateur qui commande à la capacité productive de son pays exactement ce qui lui convient.

En quoi consiste ce mécanisme si simple, si automatique, si respectueux des personnes ? Demandez-le au Crédit Social.

Louis EVEN


Notre système financier n'accomplit pas sa fonction ; je ne crois pas que personne conteste cette accusation. L'objection chrétienne fondamentale au système capitaliste actuel et au contrôle de l'argent par le banquier, c'est que ce système maintient les personnes dans la servitude vis-à-vis des exigences imposées par un objectif financier. (Mgr Le Fanu, archevêque primat d'Australie)

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