L'économique - Pour un commerce créditiste

Louis Even le mardi, 15 septembre 1942. Dans L'économique

Malartic (Abitibi) compte quelque 380 familles dans l'Association Créditiste, soit environ les trois-cinquièmes de la population. Les trois-cinquièmes des consommateurs. Donc, logiquement, les trois-cinquièmes du commerce devraient être entre les mains des créditistes.

Mais, on sait que les choses ne vont point aussi facilement. Les consommateurs sont, certes, un élément important et doivent être la fin de toutes les activités économiques. Mais il faut aussi, dans les rouages, tenir compte du producteur, du transport, du marchand.

À Malartic, ville de mineurs, le problème de la production pour les consommateurs n'existe pas ; celui du transport, ne regarde pas non plus les associés de Malartic. Reste celui des marchands. Pour faire venir des produits de créditistes et les mettre en vente aux créditistes de Malartic, avec l'aide de la comptabilité créditiste, il faut des établissements créditistes : épicerie, boucherie, mercerie, pharmacie, ferronnerie, etc.

On ne peut compter, pour la promotion du commerce intercréditiste, sur des marchands qui n'entrent qu'à contre-cœur, qui gémissent sur chaque transfert de crédit qu'on leur présente, qui ne font rien pour favoriser la production créditiste, qui restent rivés à leur comptoir et à leur caisse, attendant simplement les catalogues ou les agents des grossistes et des manufacturiers.

Les créditistes sont bien déterminés à réussir. Lorsqu'il n'y a rien, ils bâtissent. Et voici comment les créditistes de Malartic entendent procéder, comment ils ont commencé à procéder.

Premier établissement

L'un d'eux, celui qui a lancé le mouvement créditiste à Malartic, M. Henri Fontaine, avait l'avantage de posséder un petit restaurant, donc une licence commerciale.

M. Fontaine a proposé aux créditistes de Malartic d'ouvrir pour eux une épicerie qui recevrait leurs transferts de grand cœur et chercherait des approvisionnements de producteurs créditistes. Joyeuse nouvelle pour tous, évidemment.

Mais il fallait des fonds. Sur la suggestion de M. Fontaine, un comité de finance se chargea de prélever les avances de capital : l'un fournit vingt dollars, l'autre trente. Les mille dollars vinrent.

L'argent est prêté à M. Fontaine, qui le rembousera dans dix mois, sans aucun intérêt. Le service créditiste, l'écoulement du crédit, la promotion de la production créditiste, valent beaucoup mieux que l'intérêt au taux le plus élevé.

Et l'épicerie de M. Fontaine a ouvert ses portes le 30 août dernier. Le comptoir est au milieu. Les étagères sont adossées aux deux murs latéraux : d'un côté, les produits obtenus des sources traditionnelles ; de l'autre côté les produits obtenus de sources créditistes, les produits "Nouvelle-France". Actuellement, c'est le côté "divers" qui est plein, le côté "Nouvelle-France" est peu chargé. Mais cela va changer. À l'heure où paraîtront ces lignes, M, Fontaine aura reçu toute une cargaison de conserves "Nouvelle-France" de l'associé Aristide Houle, de St-Germain de Grantham (près Drummondville).

M. Fontaine s'approvisionne aussi, pour ses pommes de terre, ses carottes, etc., des agriculteurs et colons des paroisses voisines.

Monsieur Fontaine est créditiste avant d'être marchand. Mais il est tout de même dans le commerce pour gagner sa vie, pas pour faire banqueroute, ce qui serait un désastre à la fois pour lui, pour ses clients créditistes et pour ses producteurs créditistes. Aussi M. Fontaine marque ses prix de vente à un chiffre qui couvre le prix d'achat, le transport et un profit brut de 20 pour cent. Il arrive que ses prix de vente sont, dans certains cas, supérieurs à ceux dés autres marchands ; dans d'autres cas, inférieurs ; dans l'ensemble, un peu en dessous.

C'est le chiffre d'affaires de M. Fontaine qui fera le succès du magasin. Si deux cents familles créditistes de Malartic prennent l'habitude d'acheter à ce magasin, créditiste par excellence, M. Fontaine, qui n'a pas l'intention de hausser son train de vie, mais de servir la cause créditiste, aura fait assez de profits d'ici quatre ou cinq mois pour financer l'établissement d'un autre magasin — cette fois une boucherie.

Autres établissements

Les profits ainsi accumulés ne seront pas le seul fait de la bonne administration du marchand, mais aussi et d'abord le fait de l'Association qui oriente la clientèle et organise le marché. Aussi M. Fontaine ne se considérera-t-il pas libre d'en user à son gré pour fins personnelles ni pour fins de placements à rendement monétaire. M. Fontaine cherchera simplement un bon créditiste expérimenté dans la boucherie et lui dira à peu près ceci :

"Ami créditiste, tu vas apporter ton expérience au service, non seulement de ton gagne-pain, mais de l'Association Créditiste, tout en t'assurant une carrière et la propriété d'un commerce. Voici mille dollars pour partir. Ils ne sont pas ta propriété ; ils ne sont pas à vrai dire la mienne, même s'ils sont un peu dus à l'administration de mon épicerie.

"Ces mille dollars, à cause de leur origine, doivent servir à l'expansion du commerce créditiste, dans un champ où je me reconnais incompétent. Les mille dollars te sont donc avancés pour lancer un commerce créditiste de viandes. Tu seras le propriétaire du magasin que tu vas administrer, mais avec une sorte d'hypothèque créditiste, comme la dette réelle que j'ai moi-même contractée envers les bailleurs de fonds d'août dernier. À cause du progrès de l'Association fait autour de l'épicerie, tu n'es pas obligé de recourir aux prêts individuels. Voici, encore une fois, les mille dollars tout trouvés. Fais comme moi. Conduis bien ton affaire. Sers bien les créditistes, en acceptant leurs transferts. Approvisionne-toi de créditistes, en passant tes transferts. La clientèle aussi est toute trouvée. Tu peux, comme moi, d'ici quelques mois, réaliser, outre tes moyens de vivre, un surplus de mille dollars qui te libérera et que tu mettras à la disposition d'un créditiste expert dans une autre ligne pour servir les créditistes dans cette autre ligne.

"Pendant que tu feras cela, je répéterai ce que je viens de faire en quatre ou cinq mois ; et ce n'est pas un, mais deux commerces nouveaux que nous pourrons faire lancer en même temps, un grâce à ton administration et un grâce à la mienne, les deux grâce à la fidélité de la clientèle créditiste.

"Puis, si nous sommes assez sages et assez heureux pour ne choisir que de fervents créditistes en même temps que des hommes expérimentés pour installer ces commerces nouveaux, la progression ira en augmentant jusqu'à ce qu'on ait tous les services établis.

"En ce temps-là, au lieu de songer à devenir des parvenus, nous les commerçants, nous pourrons songer plutôt à abaisser les prix de vente, ou à mieux rétribuer les producteurs, pour que tout le monde en profite. Nous avons le droit d'aspirer à hausser notre niveau de vie, mais à condition que tous ceux qui nous appuient, donc tous les membres de l'Association, producteurs et consommateurs, puissent en même temps hausser le leur. Je ne dis pas tous au même niveau, mais tous mieux, progrès pour tous et non pas seulement pour quelques-uns. C'est cela le Crédit Social."

Remarques

Le petit discours qui précède n'a pas encore été fait, parce que M. Fontaine en est encore aux premiers jours de son propre commerce. Mais il est tout préparé dans sa tête, parce que le moment viendra certainement où il pourra le tenir. Les 330 associés actuels de Malartic et Roc d'Or sont trop intelligents pour ne pas comprendre qu'il y va de leur intérêt à tous de soutenir la structure économique entreprise par l'Association Créditiste.

On voudra bien remarquer que ce n'est pas l'Association qui établit elle-même les magasins. Ce ne sont pas non plus les associés qui en sont les propriétaires collectifs. La formule de coopération du Crédit Social respecte et favorise la propriété privée, même dans le commerce. Mais l'esprit social insufflé par l'école créditiste fait des marchands privés serviteurs au lieu de marchands privés exploiteurs.

Notre coopération n'est pas une co-propriété ; mais les créditistes ont appris que le propriétaire privé, dès qu'il entre dans le palier des surplus, n'est qu'un gérant de ces surplus pour le bien de la collectivité. Nous croyons notre formule bonne, parce que nous attendons des résultats plus vite et mieux d'une responsabilité personnelle que d'une responsabilité émiettée ou dispersée. Pourvu, évidemment, que l'esprit créditiste continue d'inspirer ceux qui, avec la propriété privée, assument une responsabilité sociale.

La première étape de l'Association Créditiste, celle du modeste 5 pour cent, est justement un trieur qui va nous faire connaître les hommes sur qui l'on peut compter. Nous ne voulons pas plus des hommes à piastres dans le commerce que des politicailleurs dans la conduite du mouvement.

Le journal VERS DEMAIN continuera d'ailleurs d'éclairer et d'inspirer. L'Association Créditiste continuera de grouper, de veiller, de dénoncer au besoin, d'orienter toujours.

Ceux qui nous assimilent gratuitement à la C.C.F., ou même à de vulgaires partis politiques, ou ne nous connaissent pas, ou se soulagent simplement en déversant un trop-plein de leur fiel. Cela, d'ailleurs, n'arrêtera rien.

Louis Even

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