L’économique – Le bien d’autrui

le dimanche, 15 septembre 1940. Dans L'économique

Il y a environ une dizaine d'années, M. le professeur Édouard Montpetit, en commençant son cour sur la banque à l'École des Hautes Études Commerciales, de l'Université de Montréal, dit à ses élèves : "La banque, c'est le commerce de l'argent des autres." Un élève, en me racontant cette boutade, ou cette vérité, ajoutait : "La définition n'est pas complète. Il aurait dû dire : La banque, c'est le commerce de l'argent et du crédit des autres." Naturellement, il s'agit ici du crédit financier seulement.

Mais en incluant le crédit dans la définition du terme argent, la boutade, ou la vérité, exprime une chose tellement réelle qu'on pourrait en faire un axiome et dire simplement : "La banque, c'est le commerce du bien d'autrui."

Pour vérifier cette assertion, voyons quel est vraiment l'objet du commerce de la banque.

Le premier actif de toute banque consiste en la première mise de fonds versés par les actionnaires. Le bureau de direction n'est pas propriétaire de ces fonds mais seulement dépositaire et administrateur. Les premières transactions de la banque sont donc de ce chef le commerce du bien d'autrui, du bien des actionnaires.

Puis la banque consent des avances de fonds, émet du crédit financier basé sur la valeur du crédit réel des emprunteurs, ou basé sur la valeur des biens qu'ils possèdent. Ces avances se font en pratique dans une proportion de dix pour un, c'est-à-dire que pour chaque dollar de réserve dans la caisse d'une banque, elle prête dix dollars. La monnaie ainsi avancée se trouve basée pour un dixième sur la réserve fournie par les actionnaires, et les neuf autres dixièmes consistent en de simples inscriptions dans les livres. C'est pour cela qu'on appelle cette monnaie, la monnaie de comptabilité.

Monétisation du bien d'autrui

Or, quelle est la garantie réelle de cette monnaie ? C'est la faculté de rembourser que possèdent les emprunteurs. Dans la transaction entre la banque et chaque emprunteur, celui-ci engage ses biens réels, ou des valeurs de tout repos qui lui appartiennent. Donc, ces fonds avancés sont la monétisation du bien d'autrui.

Quand les emprunteurs sont des gouvernements, c'est encore la faculté de paiement de chaque emprunteur qui sert de base à la transaction. Les fonds sont créés dans la même proportion de dix pour un, mais dans ce cas, le remboursement du capital reste à peu près toujours renvoyé à plus tard ; les emprunteurs se contentent de renouveler leurs emprunts et de payer un tribut annuel. Ce qui importe donc dans ce genre de transactions, c'est la capacité de taxer pour couvrir les intérêts annuels.

Dans ce cas encore, la monnaie émise et prêtée est basée pour un dixième sur le bien des actionnaires et pour neuf dixièmes sur le crédit de la société emprunteuse, sur le crédit global représenté par les biens réels de tous les membres de cette société.

Dans quelle mesure intervient le crédit de la banque elle-même ? Dans le cas des prêts aux gouvernements, le crédit de la banque n'est nullement en cause. Pour les prêts aux particuliers et sociétés commerciales, le crédit de la banque ne fait que soutenir ou étendre le rayon d'action du crédit des emprunteurs. Il n'est en cause que si le crédit financier des emprunteurs fait défaut, et alors la banque s'empare de leurs biens réels.

Donc la monnaie, l'objet du commerce de la banque, est un élément dont la valeur est entièrement basée sur le bien d'autrui. C'est ce qu'avait compris le pape Pie XI, quand il disait :

"...aux mains d'un petit nombre d'hommes qui d'ordinaire ne sont pas les propriétaires, mais les simples dépositaires et gérants du capital qu'ils administrent à leur gré. Ce pouvoir est surtout, considérable chez ceux qui, détenteurs et maîtres absolus de l'argent, gouvernent le crédit et le dispensent selon leur bon plaisir... (Quadragesimo Anno, page 43)

Ruche d'abeilles et nid de guêpes

Pour mieux comprendre le rôle de la monnaie, on peut l'assimiler aux abeilles. Celles-ci partent d'une petite réserve, la ruche, et vont butiner sur les champs voisins, sur les propriétés des voisins, sur le bien d'autrui. Elles vont de fleurs en fleurs qu'elles contribuent à féconder, non pas à cause de leur propre vertu, mais simplement par leur intervention physique, comme moyen de pollinisation.

Également, la monnaie, concentrée d'abord en une petite réserve, prend son vol, portée par la confiance publique, par le crédit de la société, tirant sa valeur du travail de la collectivité. Elle vole d'un travailleur à un autre, contribuant à féconder leur labeur, non pas à cause de sa vertu propre, car elle n'en possède pas, mais grâce à son intervention physique comme moyen d'échange, comme signe conventionnel de toute valeur tirée du travail. Elle se multiplie par la vertu du travail d'autrui dont elle devient la mesure reconnue. Puis, comme l'abeille, elle revient à sa réserve.

Mais la banque, point de départ de la monnaie sous notre système actuel, est comme une ruche sauvage ou un vrai nid de guêpes. Elle profite du bien d'autrui, mais en garde jalousement les revenus, à part un faible pourcentage rendu en taxes. Elle rend service, sans doute, mais son travail est exclusivement égoiste. Elle transforme la vie de la société en une lutte "dure, implacable et cruelle". Malheur à l'imprudent qui fait mine de l'attaquer ! La piqûre de la guêpe, avec son venin, est moins cruelle que les blessures, les avanies et les persécutions qui deviennent le plus souvent le sort de ceux qui attaquent la banque. Lincoln est l'un des personnages historiques dont la mort atteste l'action néfaste de la finance internationale. Ah ! c'est un fameux nid de guêpes que la banque !

Le système monétaire du Crédit Social, c'est la ruche scientifique avec tous les perfectionnements modernes ; c'est la ruche policée et coordonnée pour le bien commun. Chacun des travailleurs reçoit la récompense de son travail et jouit de la sécurité et de la liberté que procure la vie coopérative. L'entretien et le renouvellement de la vie sont pleinement assurés et protégés : toutes les réserves sont intactes. Mais dans le haut de la ruche s'accumulent le miel et la cire, le surplus de production qui sera distribué en dividendes à "tous et à chacun des membres de la société."

Quel système préférez-vous ? La ruche à dividendes ou le nid de guêpes égoïste et accapareur ?

Ancien de Laval, M.D.

Poster un commentaire

Vous êtes indentifier en tant qu'invité.