L'économique - L'ouvrier dans l'Association Créditiste

Louis Even le samedi, 15 août 1942. Dans L'économique

L'ouvrier est, en général, un valet des trustards.

La plupart des ouvriers de nos villes industrielles, en effet, travaillent pour des grosses compagnies plus ou moins directement liées aux trusts.

Ce ne sont pas ces grosses compagnies qui vont se soucier de modifier le système pour affranchir le monde d'une dictature dont elles s'accommo­dent ou dont elles profitent. L'idée d'un dividende à tout le monde, d'un minimum vital garanti par le seul fait de la naissance, ne sourit pas précisé­ment à ceux qui exploitent le capital humain mis dans l'alternative d'accepter leurs conditions ou de mourir de faim.

Nous vivons dans un monde où l'argent est né­cessaire pour survivre d'un soleil à l'autre. Pour avoir cet argent nécessaire, l'ouvrier doit accepter un travail qui souvent ne lui va pas, ne l'intéresse pas. Ce n'est pas le résultat de son ouvrage qui tient l'ouvrier à son emploi, mais l'enveloppe de paie dont il ne peut se passer.

Aussi les magnats de l'argent font-ils faire ce qu'ils veulent, quand ils veulent, comme ils veu­lent. Aussi en est-on venu à un monde, pourtant servi par des machines puissantes, dans lequel des foules travaillent la nuit, parfois le dimanche, sans pour cela avoir la sécurité du lendemain.

Encore une fois, il serait stupide de compter sur les trustards pour changer cela. Puis, pour faire la lutte aux puissances d'argent, il faut ériger un pou­voir qui les combattra sur leur propre terrain. C'est ce à quoi travaille l'Association Créditiste, même si ses modestes débuts font sourire les sceptiques.

L'ouvrier a son grand rôle à jouer dans cette en­treprise d'émancipation.

L'ouvrier associé d'aujourd'hui

L'ouvrier, le salarié qui entre dans l'Association Créditiste, même sous sa première étape, l'étape actuelle, en retire un avantage immédiat.

On lui demande six dollars de contribution an­nuelle, un dollar tous les deux mois. Mais il reçoit dès son entrée un crédit proportionnel au nombre de membres de sa famille, et il peut se servir de ce crédit dans la proportion de 5 pour cent de ses achats.

Voici un employé, marié et père de quatre en­fants, qui touche $25 de salaire par semaine, ou $100 par mois. Disons qu'il est locataire et paie $20 par mois de loyer à un propriétaire qui n'est pas créditiste, qui n'accepte pas les transferts de l'Association.

Cet ouvrier, à son entrée dans l'Association, ver­se une première contribution d'un dollar pour les deux premiers mois. L'Association lui inscrit un crédit de $12 ( $2. par personne dans la famille).

Après avoir payé son loyer, il reste à cet ouvrier $80 de son salaire à disposer dans le mois. S'il les emploie à acheter chez des marchands associés, il va pouvoir employer $4.20 de son crédit, obtenant pour $84.20 de marchandises, au lieu de $80. De même le deuxième mois. De sorte que, lorsque viendra le moment de verser un autre dollar de contribution, il aura déjà bénéficié de $8.40 et re­cevra une nouvelle émission.

C'est l'équivalent d'un boni de 5 pour cent sur toute la partie de son salaire qu'il consacre à des achats chez des marchands associés.

L'ouvrier réalise donc un gain important immé­diat. Aussi comprenons-nous mal que les ouvriers de nos villes auxquels on explique l'Association Créditiste n'y entrent pas tous sans hésiter.

Il y a bien, dans la pratique, quelques sacrifices à faire, mais ils regardent surtout la femme de l'ouvrier : elle doit parfois changer de marchand, si le sien ne fait pas partie de l'Association, faire peut-être plus de chemin, organiser ses achats. Mais quelle femme normale n'apprécie pas assez la valeur du dollar pour fournir sa part d'efforts ? Puis, si elle est créditiste, elle réalise que ce sont ces actes-là qui vont mériter la grande libération plus tard, lorsque le développement aura permis d'entrer dans la deuxième étape de l'organisation.

Si les associés des villes ont soin d'acheter chez les marchands associés, pour bénéficier de leur cré­dit, cela aura l'avantage de fortifier la clientèle du marchand associé et lui permettre de compenser, par l'augmentation de ses ventes, pour un crédit qu'il ne peut pas écouler immédiatement. La per­sévérance du marchand dépend de l'action des as­sociés.

Le gain de l'ouvrier et l'orientation de la clien­tèle chez les marchands de l'Association ne sont pas la fin dernière de l'Association : c'est un moyen de financer ses membres  en même temps qu'un moyen de découvrir les faits économiques et de les aiguiller dans la bonne direction.

L'ouvrier tire donc dès aujourd'hui un avantage appréciable de son Association. Mais c'est surtout sous la deuxième étape qu'il accomplira son grand rôle et deviendra, sans souffrance et sans privation, le bienfaiteur de tous ses co-associés.

L'ouvrier associé de demain

Ouvrons la deuxième étape de l'Association dans un district qui compte 900 associés, 600 familles de salariés d'usines, quelques marchands, les autres des familles de cultivateurs ou de colons.

Chaque mois, les 600 salariés apportent un peu plus de la moitié de leur salaire à la caisse créditis­te, disons un total de $36,000. C'est $36,000 qu'ils vont dépenser dans le mois chez des marchands associés.

L'Association place au crédit de chacun une somme équivalente à l'argent apporté : en tout, $36,000.

Les ouvriers font leurs achats pour ce montant total de $36,000 au moyen de transferts de crédit qu'ils passent aux marchands.

Voilà donc $36,000 dans la caisse créditiste, $36,000 de crédit rendus dans les comptes des mar­chands, et $36,000 de marchandises entrées dans les maisons des ouvriers.

Les marchands s'approvisionnent où ils peuvent, mais de préférence chez des associés. Disons qu'ils trouvent à passer $12,000 de crédit seulement chez des associés et qu'il leur faut payer $24,000 à des non associés. Pour ces $24,000, la caisse les leur fournit. Il reste en caisse pour le mois $12,000.

Il est facile de conclure : il a fallu sortir $24,000 de la caisse pour supporter $36,000 d'achat : donc, avec les $12,000 qui restent dans la caisse, on pour­rait supporter $18,000 d'achat. C'est la règle de trois bien connue :

36,000 X 12,000

------------------   = 18,000

      24,000

Dans ces conditions, il est donc possible de dis­tribuer aux membres de l'Association un pouvoir d'achat total, exprimé sous forme de crédit, de $18,000. Et puisqu'il y a 900 familles dans l'Asso­ciation, cela fera une moyenne de $20 par famille. Cependant, on tiendra compte du nombre de personnes dans chaque famille : quelques-unes auront $8, d'autres $10, $15, $20, $25, $30, selon les cas.

Le mois suivant, les circonstances étant les mê­mes, les résultats seraient les mêmes.

Si les marchands pouvaient écouler plus que $12,000 en transferts de crédit, il resterait plus que $12,000 dans la caisse, la somme de pouvoir d'a­chat à distribuer serait plus considérable, les divi­dendes aux associés plus forts.

C'est pourquoi nous disons, dans un autre arti­cle, que les colons qui profiteront de ces dividendes pour se munir de moyens de production augmen­teront les disponibilités pour tout le monde en de­venant eux-mêmes fournisseurs des marchands as­sociés.

De fait, si l'économie interne était complète, si les associés obtenaient des autres associés tout ce qu'il faut pour répondre à leurs besoins, les échan­ges se feraient entièrement en transferts de crédit, et la seule limite aux distributions de pouvoir d'a­chat par dividendes et escomptes serait la limite de la capacité de production ou la saturation des consommateurs.

Dans ce mécanisme, l'ouvrier, le salarié agit comme un exportateur. Il exporte son travail et importe l'argent du trustard. Cet argent est mis en caisse pour monter un pouvoir qui fera la lutte aux trustards et affranchira l'ouvrier.

Vers la libération

L'ouvrier sera affranchi. En effet, l'Association orientera les achats des marchands vers des produits fabriqués par des associés. C'est surtout la partie de crédit distribué mensuellement sous forme d'escompte (ou boni d'achat) qui fera cette orientation.

Supposons que l'Association adopte une marque, par exemple "Nouvelle-France" pour distinguer les produits mis sur le marché par des associés, donc payables en transferts de crédit. C'est sur ces pro­duits que l'Association accorderait son boni men­suel, comme en Alberta. Lorsqu'un associé irait chez un marchand, il choisirait de préférence les produits "Nouvelle-France" pour avoir son es­compte au bout du mois. Le marchand serait bien obligé de commander à son tour les produits, Nou­velle-France. Le marché serait créé pour ces pro­duits, il ne resterait plus qu'à les multiplier.

Voici maintenant un ouvrier qui travaille le bois, mais au compte d'une compagnie, et à salaire. Qu'est-ce qui empêche cet ouvrier de travailler à son compte et de fabriquer des tables, des chaises et autres meubles "Nouvelle-France" qui ont un marché tout établi ?

Ainsi des autres genres de travail que les ou­vriers donnent aujourd'hui à des compagnies aux conditions d'asservissement qu'il plaît aux com­pagnies d'imposer.

Sans doute que ces ouvriers, en se détachant du service des trustards, cessent d'être les exporta­teurs qui apportent l'argent des trustards. Mais justement, dans la mesure où l'économie interne se développe, on a moins besoin de l'argent des trus­tards.

L'ouvrier qui se libère et travaille à son compte devient le fournisseur du marchand qui, de ce fait, fait plus d'affaires en crédit et tire moins sur la caisse d'argent. Tous les associés en bénéficient.

Courage donc, ouvriers créditistes qui compre­nez le sens de votre Association. Vous avez l'avan­tage d'en profiter immédiatement, mais le beau rôle de libérateur de vous-mêmes et de vos frères, qui vous attend, est encore beaucoup plus envia­ble.

Hâtez ce jour. Appliquez-vous à augmenter vos effectifs, enrôlez dans l'Association tous vos com­pagnons d'ouvrage chez qui reste un peu de pa­triotisme ; puis, ne manquez aucune occasion de gagner à l'Association les cultivateurs voisins, par­ce qu'il faut une économie assez complète, au moins dans le rayon de l'alimentation, pour entre­prendre dans votre district la seconde étape dont nous attendons de merveilleux effets.

Louis Even

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