Combien de gens parlent d'inflation sans même savoir en quoi consiste l'inflation !
Et combien de gens crient à l'inflation lorsqu'ils entendent mentionner le Crédit Social, sans même savoir en quoi consiste le Crédit Social !
L'Écho du Bas St-Laurent, Rimouski, dans son édition du 13 juin 1941, page 2, écrit :
"Selon la doctrine chère aux partisans du Crédit Social, il aurait été plus simple pour le gouvernement d'imprimer de l'argent nouveau pour un montant de 600 millions de dollars plutôt que d'emprunter les épargnes du peuple."
Le rédacteur de ces lignes nous obligerait beaucoup en nous disant où il a appris que le Crédit Social demande de l'argent imprimé ; et quels créditistes acceptent que l'argent nouveau soit la propriété du gouvernement.
Un peu plus loin :
"Comme cet argent nouveau n'aurait pas créé un équivalent de richesse, il en aurait résulté que la valeur des biens d'échange aurait été frappée de majoration, c'est-à-dire que les prix auraient fait un bond proportionné à l'addition de monnaie fictive. Ce phénomène se serait produit, tout simplement parce que la monnaie fictive aurait déprécié la bonne monnaie."
Le rédacteur pourrait-il nous dire — puisqu'il s'en prend au Crédit Social — quand le Crédit Social recommande d'émettre de l'argent sans production correspondante ? Puis, où lui, le rédacteur, fait-il la distinction entre la monnaie fictive et la bonne monnaie ? Combien de bonne monnaie et combien de monnaie fictive au Canada ?
L'argent augmente bien quelquefois quelque part. Autrement, il n'y en aurait pas plus en circulation que le jour où Adam et Eve durent sortir du paradis terrestre. Alors, l'expert de L'Écho du Bas St-Laurent serait bien aimable de nous dire où et quand l'argent est venu au monde par une naissance naturelle, et où et quand par une opération fictive.
Il peut avoir raison d'écrire que si les produits manquent en face de l'argent, les prix monteront. Mais puisqu'il y a moyen de produire beaucoup plus, n'y aurait-il pas moyen d'augmenter l'argent au même régime que les profits, comme le demande le Crédit Social ?
En mal d'esprit, notre homme ajoute en terminant :
"L'inflation est la confiscation de l'épargne et la ruine de tous. Elle produit exactement le même effet que l'addition d'eau dans du bon vin."
D'accord, et c'est pourquoi le Crédit Social ne veut pas de l'inflation qui ruine l'épargne, comme il ne veut pas de la déflation qui ruine la production et bien d'autre chose.
Le Crédit Social ne suggère jamais d'adultérer le bon vin en y ajoutant de l'eau ; mais il demande d'ajouter du bon vin au bon vin, pour qu'il y en ait pour tout le monde.
Mais qu'est-ce donc que l'inflation ?
Le mot inflation est de la même origine que le mot enfler. Il suggère l'idée d'enflement, de gonflement.
Lorsqu'on parle d'inflation, on parle d'un mal, pas d'un bien, puisqu'on crie : Gare à l'inflation ! Il s'agit donc d'un gonflement qui ne fait pas de bien, d'un gonflement qui fait du mal.
Si maintenant on met de l'argent dans votre poche, si on gonfle votre poche, cela vous fait-il du mal ou du bien ? Ceux qui se défient de l'inflation se hâtent-ils de vider leur poche ou leur compte de banque, afin de se dégonfler ? Pas du tout. Ce gonflement-là n'a pas l'air de les rendre malades.
Ce n'est donc pas l'augmentation d'argent qui fait mal ? Mais non. Nous n'avons encore entendu personne se plaindre de toucher un trop gros salaire, pas même le gouverneur de la Banque du Canada, avec ses $30,000 par année. Aucun trustard ne s'empresse de réclamer une réduction de dividende pour ne pas souffrir de gonflement.
Quel est donc le gonflement qui fait du mal et dont le journal de Rimouski accuse les créditistes de se faire les agents ?
C'est le gonflement des prix. C'est lorsque les prix enflent que les gens se plaignent et disent : L'argent n'a plus de valeur !
Toutes les fois qu'on parle d'inflation, d'inflation néfaste, il faut donc comprendre l'inflation des prix, non pas l'inflation du porte-monnaie.
N'empêche que si les créditistes parlent de mettre un dividende dans votre porte-monnaie, banquiers et blancs-becs commencent leur tintamarre.
La femme, qui, après tout, doit être consultée puisqu'elle est en charge de la table familiale, la femme ne frissonne jamais lorsqu'on ajoute quelque chose dans sa sacoche ; mais elle est très irritée lorsque le sucre, les céréales, la viande haussent de prix.
Mais quelle est la cause, ou qu'elles sont les causes de l'inflation, du gonflement des prix ? Est-ce que le seul fait d'augmenter l'argent fait monter les prix ?
S'il en était ainsi, lorsque de gros dividendes sont distribués aux millionnaires qui résident dans Senneville, par exemple, cela ferait monter les prix dans les magasins de Ste-Anne de Bellevue. Il n'en est rien.
Lorsque ces gens sont satisfaits, ils placent le reste de leur argent. Le marché n'est pas affecté.
Mais si des conditions de température défavorables causent une rareté de pommes de terre, de tomates, d'œufs, de beurre, les pommes de terre, les tomates, les œufs, le beurre montent de prix. La même chose arrive, indépendamment de la température et de la production, lorsque des spéculateurs soustraient au marché des produits qu'ils accumulent dans des entrepôts, qu'ils ne laissent pas mettre en vente. Ils font cela exprès pour faire monter les prix, et les prix montent, même si l'argent n'a pas changé de niveau.
Qu'est-ce donc qui fait l'inflation, qu'est-ce qui cause le gonflement des prix ? C'est l'absence du produit en face de la demande.
Supposez-vous au pôle nord avec une allumette, une brassée de bois et une once de café. Vous ne céderez votre marchandise pour aucun argent. Vous en montez le prix aux nues, au-delà des nues. C'est de l'inflation. Quelle que soit la quantité d'argent en face de votre café, votre prix est tellement élevé que l'argent perd sa valeur.
Allez maintenant au Brésil, où il y a plus de café que vous en pouvez consommer. Vous aurez beau vous y promener avec des millions de dollars, le prix du café n'en sera guère affecté.
Ce n'est pas la présence de l'argent, mais l'absence du produit qui cause un gonflement du prix, une inflation.
Cette première cause de l'inflation, l'absence du produit, est-elle à craindre au Canada ? A-t-on à craindre que le blé devienne rare ? Que la viande, le beurre viennent à manquer ? Que les chaussures, les vêtements fassent défaut ? Que le bois, le charbon s'épuisent ? Que les médecins et les remèdes disparaissent ?
Normalement, non. Aussi, normalement, ne croyons-nous pas justifiés les cris à l'inflation dès qu'il est question de placer de l'argent en face de produits qui n'attendent que l'argent pour aller à leur destination.
Mais, dira-t-on, à chaque période d'augmentation d'argent dans la circulation, on a vu monter les prix ?
C'est possible. Mais est-ce bien parce qu'on a augmenté la circulation de l'argent, ou parce que l'argent a commencé à la mauvaise place ?
Aujourd'hui, les banquiers, seuls parents de l'argent nouveau, ne mettent celui-ci au monde que du côté de la production. Ils ne font l'argent, pour le prêter, qu'en faveur d'emprunteurs qui s'engagent à produire, puis à vendre leurs produits de façon à pouvoir rembourser capital et intérêt.
C'est donc le producteur qui met l'argent nouveau en circulation, en payant matériel et main-d'œuvre pour la production augmentée dont il dote le pays.
Mais tout l'argent nouveau qu'il distribue ainsi doit entrer dans les prix de vente. Et comme l'argent doit rapporter de l'intérêt à ses parents, les prix sont grossis plus que la distribution de l'argent. D'où l'inflation, puisque l'inflation dont on se plaint est une inflation des prix.
Ce mal, inhérent à la distribution de toute monnaie nouvelle dans le système actuel, est corrigé par la technique du Crédit Social qui met l'argent au monde, lorsque le niveau est trop bas, directement entre les mains du consommateur, sans passer par le producteur, donc sans entrer dans la facture des prix.
Si on peut à juste titre craindre l'inflation par le mode actuel d'émission de l'argent, cette crainte disparaît avec l'émission non inflationnaire préconisée par le Crédit Social.
On nous objectera une autre constatation : quelle que soit la source de l'argent et son mode d'émission, les produits cherchent le maximum d'argent qu'ils peuvent trouver ; si donc l'argent augmente, même du côté du consommateur, les prix vont courir après cette augmentation.
Dans un monde d'argent rare, où seul l'argent manque, cette course à l'argent s'explique. On ne fait pas la course sur ce qui est abondant, on se sert simplement.
De même, la puissance que confère l'argent — ce qui n'est point du tout son rôle normal — fait que ceux qui veulent sortir de leur assujettissement, aussi bien que les ambitieux qui cherchent à dominer, poursuivent l'argent partout où ils en voient.
Là encore, nous croyons que le Crédit Social guérira cette mentalité, justement en rendant l'argent aussi abondant que la production, ce qui n'est pas peu dire. Sans compter le développement intellectuel et spirituel, facilité dans une société où le problème de la vie matérielle n'absorbe plus tout le temps et l'esprit des hommes.
Par son mécanisme du prix assisté (escompte compensé), le Crédit Social lie d'ailleurs l'émission d'une partie de l'argent nouveau à un abaissement des prix, ce qui est exactement le contraire de l'inflation.
Si l'on veut juger des effets du Crédit Social, il faut le placer dans le milieu découlant de la nature même de ses opérations, non pas dans l'atmosphère empestée par le système bâtard actuel.