Si un habit coûte $40 et que le marchand le laisse aller à l'acheteur pour $30, c'est évidemment un abaissement de prix de $10.
Dans le commerce, on appelle cela un escompte. Un escompte de $10 sur $40, c'est un escompte égal au quart du prix. En arithmétique, on dirait que c'est un escompte de 25 pour cent.
Disons que l'acheteur, Monsieur Dupont, avait $100 en poche. S'il avait payé l'habit plein prix, il aurait déboursé $40 et n'aurait plus que $60. À cause de l'escompte, M. Dupont n'a déboursé que $30 et garde encore $70.
Il lui reste $70 au lieu de $60. Il pourra encore acheter pour $70 au lieu seulement de $60. C'est pour cela qu'on dit que l'escompte augmente le pouvoir d'achat. Le pouvoir d'achat de M. Dupont est augmenté de $10. C'est comme s'il avait payé le plein prix et qu'on lui aurait donné $10. L'escompte équivaut à un don en argent, excepté que pour avoir ce don, il faut acheter l'objet sur lequel porte l'escompte.
Les créditistes sont depuis longtemps habitués à entendre parler de dividende, de dividende national. Le dividende national, c'est de l'argent donné gratuitement à tout le monde. L'escompte équivaut à un dividende, mais il n'est pas donné à tout le monde, il est accordé à un acheteur.
L'effet de cet escompte sur M. Dupont est le même que l'effet d'un dividende. Dans l'un et l'autre cas, on lui donne $10.
Mais l'effet sur le commerce n'est pas le même. Lorsqu'on donne $10 de dividende direct à M. Dupont, M. Dupont peut le dépenser, mais il peut aussi l'épargner, le mettre dans un coin, l'employer à spéculer, ou d'une autre manière qui ne sort pas un seul article d'un magasin. Tandis que, pour avoir l'escompte de $10, M. Dupont a dû sortir d'un magasin un article de $40.
Le dividende n'est lié à aucun acte de la part du bénéficiaire. L'escompte est lié à l'achat d'un produit.
Dans le commerce tel que nous le connaissons aujourd'hui, les escomptes sont accordés aux acheteurs pour une raison ou pour une autre. C'est le marchand qui décide de donner un escompte. Il dit que c'est pour avantager les acheteurs ; mais comme la fin du commerce n'est pas de faire la charité, le marchand a certainement une autre raison. Il cherche pour lui-même un avantage ou la diminution d'une perte.
C'est peut-être que des produits accumulés risquent de se gâter complètement. Plutôt que de tout perdre, le marchand vend à sacrifice ; l'acheteur est content ; le marchand, sans être satisfait, est tout de même moins malheureux que s'il n'avait rien retiré.
C'est peut-être pour activer ses ventes, vendre plus d'articles. Si l'habit a coûté, au marchand $25, en le vendant $40, il aurait fait un bénéfice de $15 ; en le vendant $30, son bénéfice tombe à $5. Mais si le prix abaissé lui fait vendre cinq habits au lieu d'un, son bénéfice est cinq fois $5 au lieu d'une fois $15. Il gagne $25 au lieu de $15, tout en ayant aidé cinq personnes à s'habiller au lieu d'une.
Quels que soient les motifs qui font le marchand accorder un escompte, il envisage une compensation négative (diminution de perte), ou compensation positive (augmentation de gain). Il peut ne pas réussir à trouver cette compensation, mais il la cherche, il fait tout son possible pour l'avoir.
Cela, c'est l'escompte ordinaire dans le commerce ordinaire.
Mais revenons au Crédit Social, au crédit pour la société. Dans la technique du Crédit Social, l'escompte est national comme le dividende. C'est-à-dire qùe l'escompte est général comme le dividende : il est accordé à tous les acheteurs de n'importe quel article de consommation, tout comme le dividende est accordé à tous les citoyens sans exception.
Comme l'escompte est accordé par la nation (ou la province), c'est la nation qui doit voir à la compensation pour que le marchand ne soit pas lésé.
C'est pourquoi, l'office de crédit national, le même qui émet l'argent à tout le monde pour les dividendes, émet aussi l'argent aux marchands pour les escomptes qu'ils sont tenus de faire aux acheteurs.
L'acte de vente qui a livré l'habit à M. Dupont pour $30 prive le marchand de $10. L'office de crédit national, qui est responsable du cadeau à M. Dupont, doit compenser le marchand en lui envoyant un chèque de $10.
Sur quoi l'office de crédit national va-t-il tirer ce chèque de $10 ? Sur la capacité productive du Canada, exactement comme dans le cas du dividende.
Le marchand va maintenant avoir ses $40, comme il devait normalement les avoir, ni plus ni moins. C'est M. Dupont qui garde $10 de plus. C'est donc, en définitive, M. Dupont, l'acheteur, qui va tirer dix dollars de plus de la production du Canada.
L'escompte compensé est donc de l'argent nouveau donné au marchand, mais en faveur de l'acheteur.
Cependant, le marchand a bien aussi son avantage : cette assistance à l'acheteur augmente le nombre de ventes. Comme le marchand d'aujourd'hui qui cherche à activer son commerce, à vendre plus d'articles en accordant des escomptes, le marchand du régime créditiste obtient le même résultat sans courir de risques, sans sacrifier sur chaque article.
L'escompte compensé profite donc des deux côtés du comptoir. Et encore une fois, au point de vue du marchand, cela paraît mieux qu'un dividende, parce que le dividende peut rester oisif, tandis que l'escompte a nécessité un achat.
Toutefois, le dividende garde aussi son importance, même au point de vue commercial ; car, on a beau instituer des escomptes, si les non salariés n'ont pas du tout d'argent, ils ne feront pas d'achat, et les escomptes n'auront pas lieu. Les dividendes créent des bases à escompte ; les escomptes augmentent le pouvoir d'achat des dividendes, comme aussi des salaires.
Un escompte sans dividende équivaut à une augmentation de salaire. C'est insuffisant dans un monde où le progrès supprime continuellement des salaires. Un escompte avec dividende est encore une augmentation de salaire, mais c'est aussi une augmentation du dividende à tout le monde, salariés ou non.